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Billet de blog 3 décembre 2018

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Gilets Jaunes, les trois baisers de la mort

Quand on tente d’analyser le mouvement des gilets jaunes, on prend le risque de tomber dans trois pièges. Trois analyses erronées comme trois baisers de la mort pour l’écologie, le mouvement des gilets jaunes et le gouvernement.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

  • 1. La hausse du prix du carburant n’est pas une taxe écologique.

Que cette hausse de taxe soit écologique impliquerait deux choses : soit un impact sur les comportements, soit une utilisation des revenus générés pour l’écologie.

Evacuons tout de suite ce deuxième point. Actuellement, comme le pointaient les Décodeurs du Monde, « seuls 7 milliards des 34 milliards d’euros récoltés avec la taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques (TICPE) sont par exemple directement "fléchés" vers la transition énergétique. »

Une taxe partiellement écologique, donc la hausse de taxe ne devrait pas l’être davantage. En cohérence, le gouvernement s’est montré timide sur le plan de l’urgence écologique (glyphosate, huile de palme) et empressé sur le plan du rétablissement des comptes publics.

Etant établi que cette hausse des taxes ne sert pas à financer la transition énergétique, reste l’influence de la taxation sur les comportements.

Pour l’écrasante majorité des Français, l’utilisation de la voiture n’est pas un choix. Le gouvernement n’essaye d’ailleurs même pas d’avancer l’argument des solutions alternatives à la voiture, peu cohérent avec la fermeture des petites lignes et en l’absence de toute incitation au covoiturage.

Il met en revanche en avant les aides pour changer de véhicule. Or cela concerne seulement la catégorie des gens qui, bien qu’ayant les moyens de changer de voiture, ont toujours un véhicule gourmand en carburant, ces gens qui profitent de l’opportunité d’une prime pour en changer. C’est oublier ceux qui ne peuvent pas sortir 1000 ou 2000 euros pour payer une voiture à 6000 et ceux qui ont déjà une voiture moins polluante et qui vont simplement payer leurs déplacements plus chers. Un comble quand on constate l'aggravation de l'éloignement géographique d’un certain nombre de services publics.

Le premier baiser de la mort est donné par le gouvernement à la fiscalité écologique qui, ainsi parodiée, dévoyée, est pointée du doigt. L’augmentation du prix à la pompe n’est pas une taxe écologique, mais en se servant de cet argument, le gouvernement alimente les slogans du type « non à l’écologie » et les tribunes opportunes de ceux qui combattent la transition écologique.

  • 2. Ce n’est pas un mouvement politique.

Voilà de quoi menacer l’existence des gilets jaunes : tenter d’en faire un mouvement politique, une force de proposition. Cela implique de choisir un programme commun, des représentants, là où ce mouvement est une nouvelle donne de la politique française : il est l’expression d’une colère. Cela vient juste avant les syndicats, porteurs de revendications, quand viennent ensuite les partis politiques, censés être porteurs de solutions.

A vouloir se structurer, les gilets jaunes prennent surtout le risque de se diviser, de rendre leurs différences trop insupportables, et donc le mouvement prend le risque de mourir. Pas étonnant donc qu’ils y soient encouragés par un gouvernement qui dit vouloir discuter avec des représentants.

Le seul véritable point commun entre tous les gilets jaunes est cette colère, ce ras-le-bol. L’argument selon lequel le gouvernement actuel hériterait de la situation de ses prédécesseurs, que la hausse de la taxe sur les carburants est faible, tend à faire oublier une donnée importante : cette augmentation est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La taille de la goutte importe dès lors bien peu.

Il convient donc non pas d’essayer de lire dans les gilets jaunes des revendications concrètes, mais au contraire d’analyser les raisons de la colère. Beaucoup sont déjà dites, mais encore une fois, il manque une donnée, si honteuse qu’elle pourrait signer à la fois la mort du mouvement et l’essor plus grand encore des extrêmes dans la politique française.

  • 3. Ce ne sont pas les pauvres qui manifestent.

La sociologie des manifestants est variée. Au grès des pérégrinations dans la foule, on croise ici des infirmiers, là un chef d’entreprise, là encore des salariés ou des artisans. Ils ont en commun de trouver les fin de mois difficiles, parfois cette fin de mois commence le 20, mais ils ne sont pas pauvres, ils sont les véritables classes moyennes de ce pays.

Ce mouvement dit l’appauvrissement des classes moyennes, un appauvrissement permanent dû à l’inflation, à l’absence d’augmentation des revenus de Français largués par la croissance et accablés par la hausse des frais fixes : loyer, gaz, électricité, péages, transports en commun, essence, produits de première nécessité, loisirs… Tout augmente car tout a besoin de croître, mais les travailleurs indépendants, petits salariés et chefs d’entreprises, eux n’ont pas ce luxe.

La réponse initiale du gouvernement était une parodie de ce qu’on a pu connaître en politique ces 40 dernières années : après avoir décidé d’une taxe, le gouvernement (qui a allégé la fiscalité des plus riches) décidait de compenser cette hausse en subventionnant les plus pauvres (prime pour changer de voiture). Résultat, les classes moyennes sont une nouvelles fois les dindons de la farce. A câliner les plus riches et à aider les plus pauvres, le gouvernement a comme ses prédécesseurs décidé de faire peser l’ensemble de la fiscalité sur les classes moyennes. De plus, en passant le message « nous allons aider les plus pauvres », le gouvernement en envoie un autre plus insidieux : « si vous n’avez pas droit à ces aides, c’est que vous n’êtes pas si pauvre. Vous ne devriez pas vous plaindre, il y a bien plus malheureux que vous. »

Or ce message culpabilisateur ne passe plus. A être victime et dans l’interdiction de se dire victime, le réflexe naturel est d’épouser le reproche, de l’intégrer à sa personnalité. Sorte de prophétie auto-réalisatrice, celui à qui on dit qu’il n’a pas de cœur, qu’il hait (les étrangers, les grands patrons…) le devient et vote en cohérence car il n'a pas d'autre moyen autorisé d'exprimer son mal-être.

Non seulement le gouvernement se met en danger de perdre les prochaines élections, mais il met en danger la démocratie même, tentée en désespoir de cause par le vote extrême.

  • 4. Des gilets jaunes à comprendre, à prendre en exemple ?

A ce titre, et pour conclure, les revendications des gilets jaunes - sorte de gloubi-boulga de promesses non tenues et de promesses de candidats non élus, mélange de besoin de justice sociale et de sécurité, agrégation des désirs suscités par tout le spectre politique – sont un exemple presque sans précédent de consensus. Comme pour mieux contredire mon deuxième point, les revendications des gilets jaunes, que d’aucuns considéreront irréalistes, parviennent à rassembler même les électeurs les plus extrêmement éloignés.

Point de magie là-dedans. Les électeurs ne sont pas comme leurs élus, ils ne sont pas extrémistes. Ils cherchent tous sincèrement à améliorer les choses, à faire que notre destin commun soit plus doux. Un exemple ? Là où l’extrême droite politique et les associations d’aides aux migrants sont absolument irréconciliables, à savoir la question de l’immigration, les gilets jaunes ont sorti quatre revendications :

« -Que les causes des migrations forcées soient traitées.
-Que les demandeurs d'asile soient bien traités. Nous leur devons le logement, la sécurité, l'alimentation ainsi que l'éducation pour les mineurs. Travaillez avec l'ONU pour que des camps d'accueil soient ouverts dans de nombreux pays du monde, dans l'attente du résultat de la demande d'asile.
-Que les déboutés du droit d'asile soient reconduits dans leur pays d'origine.
-Qu'une réelle politique d'intégration soit mise en œuvre. Vivre en France implique de devenir français (cours de langue française, cours d'histoire de France et cours d'éducation civique avec une certification à la fin du parcours). »

En quatre revendications, les gilets jaunes ont accepté de dire clairement que les migrations peuvent être forcées, qu’il faut accueillir dignement ceux qui ont risqué leur vie pour venir, que ceux qui n’ont pas vocation à rester soient renvoyés dans leur pays d’origine et que ceux qui restent doivent apprendre les valeurs et la langue française afin de favoriser leur intégration.

Une vraie leçon de consensus.

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