Le procès des viols de Mazan est en cela révélateur. Il ne faudrait d'ailleurs pas parler de viols tant que la justice ne l'aurait pas établi, pas plus que de victime ou de coupables, il faudrait laisser la justice faire son travail et laisser les avocats se déverser en les plus minables stratégies d'un point de vue moral dans le but, noble, de défendre leur client.
Ainsi nombre se sont offusqués de cet avocat qui dit "il y a viol et viol", que cet autre ait traité Mme Pelicot d'exhibitionniste, que ce procès serait violent pour la présumée victime. "Oui, un procès est violent", se fend l'un de ces justes, oubliant ainsi 90 % des enjeux pour ne se concentrer que sur le procès en cours et ses émanations éruptives.
Mais reprenons.
"Il y a viol et viol"
Peut-on s'offusquer qu'un avocat tienne de tels propos ? Si l'on s'offusque de ceux qui s'offusquent, je n'ai lu aucun avocat dire à quel point l'argument est faible et ne revêt aucune vérité juridique. Le viol est défini par la loi, pourquoi les avocats, sinon par confraternité, ne pointent pas l'absence de fondement juridique de tels propos ? Trop occupés à faire la leçon, ils ne prennent pas le temps de la pédagogie véritable.
"Auriez-vous un penchant exhibitionniste que vous n'assumez pas ?"
Un avocat a bien le droit de tout dire, mais le cadre judiciaire doit garantir la sérénité des débats, et c'est aussi la mission du juge. Cet avocat a traité Mme Pélicot d'exhibitionniste, c'était une insulte. Moi qui ne suis pas au procès, comment puis-je oser l'affirmer ? Simplement parce que le fait qu'elle soit ou non exhibitionniste n'a aucun lien avec l'affaire, elle pourrait aimer s'envoyer en l'air avec des dizaines d'inconnus que ça n'aurait aucun lien avec l'affaire. Ici, on juge les faits, à savoir son consentement et donc la connaissance de son consentement ou non par les accusés. La question de l'avocat de la défense n'avait autre objet que de jeter l'opprobre sur la victime présumée, entacher sa réputation. Le juge aurait dû intervenir, ce qu'il n'a pas fait, les indignés de Twitter que nos avocats numériques aiment contredire n'ont fait que rappeler cela : ces propos n'étaient pas acceptables et n'auraient pas dus être acceptés.
"Oui, un procès, c'est violent"
Ce qui éclate au grand jour, c'est la violence d'un procès, quel qu'il soit, pour la victime. Pour elle, c'est une nouvelle épreuve. Pour l'agresseur, c'en est une, mais c'est la première. Ainsi comprend-on mieux pourquoi nombre de victimes se refusent à subir cette deuxième violence et renoncent ainsi à leur plainte. La crainte légitime d'une deuxième violence fait renoncer à obtenir justice. Et c'est ce point très important qu'oublient les avocats de Twitter : la justice.
Les avocats sont des citoyens, la justice est un idéal républicain
La réalité insupportable est qu'un procès tel que celui-ci n'est pas un exercice de justice, c'est un règlement de comptes. Il ne s'agit pas de trouver la vérité, mais de départager une fois pour toute. Ce que ce procès nous rappelle, c'est que le système est fait pour les puissants et les agresseurs, pas pour les faibles et les victimes. Le procès règle des conflits, tentant d'offrir à chacun les mêmes chances de se défendre et d'être entendu. Mais ce faisant, il oublie la spécificité des violences sexistes et sexuelles : les agresseurs ont avec eux le patriarcat, les victimes une évolution récente et contrariée des mœurs.
Cachez ce blanc seing que je ne saurais voir
Le dispositif de justice repose sur l'illusion que tout le monde serait à égalité. Sauf que comme rappelé précédemment, il s'agit de la deuxième épreuve pour la victime, la deuxième violence, alors que pour le coupable, il ne s'agit "que" de la première. Le ver est dans le fruit. Par un conservatisme coupable, les avocats de Twitter oublient la fonction sociale de la justice. Mme Pelicot ne pourrait pas survivre à un tel procès sans les nombreux soutiens dont elle bénéficie, y compris d'anonymes. Quand on condamne avec rage les propos des avocats de la défense, il ne s'agit pas d'une méconnaissance du droit, il s'agit d'une connaissance de la société, d'une connaissance des mécanismes cachés du patriarcat. Savoir si elle est exhibitionniste, c'est comme demander si elle portrait une jupe et la longueur de celle-ci. Aucun avocat ne se hasarderait à demander cela, mais on peut encore en 2024 se demander si elle n'a pas des mœurs qui auraient pu conduire ses violeurs à être un peu moins coupables. Les avocats de la défense n'en appellent pas aux faits, ils en appellent aux présupposés patriarcaux, et cela ne semble pas gêner le juge. Démonstration faite qu'il est bon de rappeler que même dans l'enceinte d'une cour de justice, il est des propos qui ne sont pas acceptables. Le juge n'a pas interprété la question de l'avocat comme une insulte, il a fait ainsi la démonstration que la culture, ici patriarcale, ne s'arrête pas à la porte des tribunaux.
La réalité est que le droit n'est pas en dehors de la société et que la justice est largement perfectible. On reproche aux gens de vouloir faire justice sur les réseaux sociaux ? On n'interroge pas le fait qu'elle ne se fait pas assez dans les tribunaux. Ces phrases, choquantes, des avocats ont bien une fonction, celle de défendre les accusés en jetant l'opprobre sur la victime présumée. Si ces procédés, qui font appels aux bas instincts patriarcaux, sont utilisés, c'est qu'ils fonctionnent, au moins potentiellement, au moins les avocats qui en usent en font-ils le pari. Cela doit nous interroger.
La justice doit évoluer pour protéger la santé mentale des victimes présumées comme celle des accusés à tort. En jouant les candides experts, ces avocats plaident en réalité pour conserver un système qui conduit, in fine, 94 % des victimes (étude sur les femmes ayant subi des violences sexuelles en 2021) à renoncer à porter plainte, une responsabilité sociale qu'il serait bon qu'enfin ils assument, au prétoire comme en ligne.
Erratum : j'ai parlé à tort de procès civil. La cour criminelle juge les crimes, c'est bien du pénal, le texte a été édité pour retirer la mention erronée !