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Billet de blog 21 février 2025

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Bétharram : faire le procès de l’autoritarisme

Élève du lycée de Bétharram à la fin des années 1990, j’étais comme beaucoup au courant des différentes accusations dont faisait l’objet l’établissement, mais entre les sévices physiques et les agressions sexuelles, je n’ai jamais posé de frontières, tout participait du même système, celui d’un culte de l’autorité.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En retrouvant de vieux écrits d’alors, j’ai réalisé que j’en “savais” déjà beaucoup. Élève entre 1998 et 2000, en classes de seconde et première au lycée Notre-Dame-de-Bétharram, ce que je “savais”, c’est ce qui se disait, soit dans la cour, soit à l’extérieur de l’établissement. Je savais évidemment pour le père Carricart et une première agression sexuelle dont il fut l’auteur, c’était partout dans les médias et tout le monde en parlait. Je savais également pour la baffe qui avait fait perdre une part de son audition à un élève (je croyais que c’était arrivé à deux élèves, aujourd’hui Mediapart évoque quatre cas), je “savais” par la rumeur qu’un élève de 6e en avait violé un autre, je “savais” par les on-dit qu’il existait ce qu’on appelait la punition du perron, quand en plein hiver, un élève pouvait se trouver de nuit en slip sur un balcon.

Les adultes “savaient”

Autour de moi, les adultes savaient pour ce qui était médiatique. Leur compassion allait d’ailleurs toujours pour l’établissement et ses représentants. Pauvre père Carricart, qui fut meurtri des accusations au point de s’en donner la mort. Quant à la victime de la baffe, nul doute qu’il a menti ou exagéré sur sa perte d’audition. Jamais je n’ai entendu un mot de compassion pour les victimes. Pour les enfants qui avaient été violés par le père Carricart, je n’ai pas entendu un seul mot tout court.

Certes, à la fin des années 1990, Bétharram essayait de changer, d’évoluer. Un laïc avait pris la tête de l’institution, le collège était devenu mixte, le catéchisme n’était plus obligatoire. Mais le système n’avait pas changé, lui, car il n’a jamais été interrogé. Et pour cause, le problème n’est pas l’aveuglement, il est pour moi, et c’est aujourd’hui évident, idéologique.

Des méthodes des années 1950

La plupart des scandales sont survenus à l’internat. C’est là que des enfants, à partir du CM2, étaient élevés dans des traditions perverses et passéistes. À l’internat, les plus jeunes étaient encadrés par des lycéens, eux-mêmes à l’internat depuis leurs 10 ans, qui ont été eux-mêmes éduqués dans la violence et les brimades par des lycéens eux-mêmes élevés dans ces conditions. Et nous pouvons remonter aussi loin que l’institution existe. Cela explique la reproduction des mêmes schémas par des personnes différentes.

Concernant l’aveuglement, il faut d’abord oser dénoncer la nostalgie d’une éducation qui serait “moins laxiste” que de nos jours, nos jours étant à actualiser chaque décennie, nous étions nous-mêmes, enfants des années 1980 et 1990 taxés d’enfants rois, de pourris gâtés. Cet idéal de l’éducation par l’autorité, on le retrouve dans de nombreux discours, mais aussi dans des décisions politiques, tels le retour de l’uniforme à l’école et la mise en place du service national universel (SNU). Le SNU a d’ailleurs conduit à la même forme d’abus, agressions sexuelles, sévices corporels, punitions nocturnes… Les mêmes causes produisent les mêmes effets. 

L’idéologie autoritaire

Bétharram reposait sur l’idée qu’il fallait dresser les élèves déviants, les remettre par la force sur le droit chemin. C’était toujours eux les responsables de leurs propres souffrances, c’est pour cela que jamais les notables locaux n’ont levé le moindre sourcil à l’évocation des souffrances des enfants, c’est pour cela qu’ils pouvaient envoyer sans s’inquiéter outre mesure les leurs dans cet établissement : les violences, les souffrances, c’était pour les autres, les déviants, les mauvais enfants.

L'enfant était méprisé à Bétharram, sa souffrance négligée, sans importance. L’adulte, lui, n’a aucun compte à rendre. Ainsi à Bétharram régnait l’arbitraire. Tout était autorisé à celui qui avait la position d’autorité. 

L’anecdote prête à rire, mais elle est édifiante : mon ami Pierre, qui avait les cheveux longs, s’était vu interdire de les attacher. Pourquoi ? “Parce qu’on est là pour travailler, pas pour s’attacher les cheveux”, lui avait-on expliqué, tandis qu’il voyait passer Laurent, avec son magnifique catogan et ses 20/20 dans toutes les matières. On aurait pu lui dire qu’il aurait le droit une fois ses notes remontées, mais même pas, ça aurait demandé un effort pédagogique qui n’a jamais été exigé de qui que ce soit à Bétharram.

Bétharram est le symbole de l’autoritarisme, une idéologie qui veut mettre au pas tous ceux qui sont différents, soient-ils des enfants. En d'autres mots, “tu défies l'autorité, on t'apprend à la respecter.”

Moi ? J'ai mis le bazar (un peu)

Mon Bétharram à moi n'a pas été horrible. J'ai été pris sous son aile par le fils d'un notable local, d'une infinie générosité et d'une gentillesse dont j'imagine sans peine qu'elle demeure aujourd'hui. J'ai été un petit con, je me suis rebellé et j'ai mis (un peu) le bazar. D'abord en classe, puis dans l'établissement en obtenant qu'un professeur malheureusement alcoolique se voie retirer les classes de terminale. 

Mais c'est après mon départ que j'ai causé le plus de tort, en créant un site Internet "pour" Bétharram. Sur cette page, je traitais l'établissement de "dictature fasciste" et j'avertissais mes éventuels lecteurs des violences (le supplice du perron, les baffes qui ont fait perdre une partie de leur audition à des enfants), un des viols perpétrés par le père Carricart et le viol d'un enfant de 6e par un autre.

Tout cela n'était alors que rumeurs et l'injure bien trop grave. Sous la menace d'un procès perdu d'avance, j'effaçais (pas totalement, Internet n'oublie rien) cette page de mon site. "On" m'a rapporté qu'une réunion pour en parler avait été organisée et qu'un camarade de classe avait donné mon nom. Il faut dire qu'elle était arrivée en 2e page de Google, ça commençait à faire mauvais genre. 

Aujourd'hui, je ressens un grand soulagement de voir que ces affaires sortent, que les adultes vont devoir pour la première fois répondre de leurs actes. J'ai même eu le bonheur fugace d'un message de ma chère mère : "tu avais raison !" Cela n'a pas de prix. 

J'espère, même si j'en doute, qu'on s'interrogera non seulement sur ce que Bétharram est, mais aussi ce dont il est le nom : l'oppression des enfants par la classe des adultes.

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