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Billet de blog 27 novembre 2024

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Mazan : le procès du consentement

Nous pensons si peu que la femme doit aussi pleinement désirer pour qu’une opportunité sexuelle existe, que des hommes ne se rendent même pas compte qu’ils violent – simplement parce qu’elle n’a pas dit non.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Au moment de la prononciation des réquisitions dans le procès de Mazan, on continue de s’indigner devant la ligne de défense d’accusés qui nient toute intention de violer Gisèle Pélicot. On s’émeut de certaines conclusions d’experts psychiatriques qui écartent le diagnostic de profils d’agresseurs sexuels. On est perplexes face au soutien inconditionnel de familles qui mettent en gage leur sincérité en multipliant les preuves de bonne foi de leur proche, qui serait un père aimant et un voisin serviable, mais certainement pas un violeur. Nous sommes devenu, stupéfaits, les témoins nationaux  - et parfois, les jurés virtuels - d’une cour qui cherche à révéler, qui de la horde des visiteurs du soir ou du mari bourreau, ment.

Moi, je crois ces hommes quand ils déclarent ne pas avoir eu l’intention de violer. Je crois ces hommes, incapables de reconnaitre le viol qu’ils ont commis – pas simplement au sens de la reconnaissance pénale de leur acte, a postériori - mais de l’avoir perçu comme tel, d’avoir identifié le viol au moment où ils l’ont commis. 

Dans Les choses humaines, Karine Tuil racontait cette dissonance entre l’expérience vécue par la victime – un rapport brutal, forcé, tétanisant – et celle rapportée – avec une sincérité révoltante – du garçon : l’étreinte fugace, l’absence de l’expression d’un quelconque refus : un rapport tout à fait normal – consenti - entre deux jeunes gens.

 Si le viol relaté dans Les choses humaines et l’horreur vécue par Gisèle Pélicot pendant 10 ans ne sont évidemment pas semblables, je pense que tous deux racontent une réalité que nous n’avons pas encore collectivement affrontée : nous pensons si peu que la femme doit aussi pleinement désirer pour qu’une opportunité sexuelle existe, que des hommes ne se rendent même pas compte qu’ils violent – simplement parce qu’elle n’a pas dit non.

Cette idée de l’absence de refus comme condition unique d’accès au corps de l’autre élimine tout autre axe et surtout celui d’une rencontre des désirs : on cherche ainsi moins à créer la rencontre de deux sujets également actifs et désirants que l’accès consenti au corps de l’autre – ou plutôt l’accès au corps de l’autre en l’absence de l’expression d’un refus.

Et que sont d’autres les viols répétés de Madame Pélicot sinon l’opportunité d’un accès au corps d’une femme sans l’expression de son refus ?

La vérité, c’est que le désir sexuel féminin – dans le cadre de l’hétérosexualité- reste encore un invisible, un inexistant de notre société. Il est écrasé par une autre fonction, celle du consentement au désir de l’homme. Même en dehors des situations de rapports forcés, le peu d’attention accordé - dans nos récits, nos éducations, nos mots - à la femme comme un sujet actif véritablement désirant sexuellement au même titre que l’homme, nourrit le récit d’une fonction sexuelle féminine limitée à l’accueil – ou au refus – d’un rapport. Les femmes n’étant pas considérées comme des êtres sexuels et désirants au même titre que l’homme, nous pensons si peu que leur désir est une condition primaire– et non pas juste une condition heureuse - à la rencontre des corps, que seule l’expression explicite, ferme, confrontationnelle d’un refus équivaut à l’absence de consentement. Ce qui n’est, on le sait, pas toujours le cas.

Les femmes connaissent toutes ces histoires. Ce sont les rumeurs que nous avons entendues, parfois sur nos propres amis, des histoires d’audaces déplacées et de femmes trop alcoolisées, trop surprises, ou trop endormies, pour exprimer un refus. Des histoires d’hommes qui ont eux la conscience tranquille d’avoir eu accès à une opportunité de rapport sexuel aboutie sans encombre. Peu importe le niveau de désir brillant dans l’œil de l’autre.

Ce qu’ont vu ces hommes, c’est une opportunité de rapport sexuel avec une femme.

Ce que ces hommes n’ont pas vu – parce qu’il n’a pas existé -  : c’est l’expression d’un refus de consentir à un acte. L’équation s’arrête la. La prise en compte du désir, du plaisir ou du déplaisir de l’autre s’arrête là. Ajoutez à cela l’autorité d’un mari à la fois rassurant et dirigiste - quoi de plus autoritaire pour un homme que le commandement et l’approbation d’un autre homme ? - et alors il devient possible que tout préjudice porté à la femme présente, en l’absence de l’expression claire de son refus, et en dépit des signaux pourtant extraordinaires de l’impossibilité d’une telle expression, ne soit même pas conscientisé par l’auteur des actes.

Les accusés du procès ne sont pas des « violeurs ». Ce sont des hommes qui ont violé. Notre besoin de déposséder les hommes qui ont violé d’une autre identité que celle la – alors qu’ils peuvent être dans le même temps des pères aimants, des voisins serviables, de bons amis – écrase ces hommes et contribue à l’impossibilité qu’ils reconnaissent l’acte qu’ils ont commis. Il contribue également à absoudre les autres hommes de se sentir concernés – puisqu’eux ne sont certainement pas des violeurs- et nous empêche de reconnaitre la prégnance et la banalité du viol, et d’en faire un défi collectif à affronter.

L’on verra la signification que la cour choisira de donner à ces viols, que la sociologue Irène Théry qualifie de « viols d’opportunité ». Mais ce procès historique, et le cadeau que nous a fait Madame Pélicot en le rendant public nous intime le devoir d’oser affronter ces tabous, et nous offre l’opportunité de révolutionner notre vision du consentement, et du désir. En osant rêver à un monde dans lequel les hommes aspireraient à être désirés des femmes plutôt qu’à avoir accès à elles. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.