Je suis prof dans le 93 depuis un an et demi, c’est ce que je voulais, travailler dans le 93, avec des élèves vivants, drôles et qui comprennent tellement, sans parfois avoir les mots pour le dire, les multiples formes de violences auxquelles ils et elles sont soumis.es. Ma rentrée 2022 a commencé par une grève au collège : pas d’assistante sociale, une infirmière à mi-temps, et ça, depuis presque 3 ans, et ça, dans l’une des villes les plus pauvres de France. On a rien obtenu. 10 jours de grève, de mobilisation, de piquet, de discussions, de rage, rien.
L’année continue, arrive la fameuse réforme des retraites. La grève, je l’avais pas trop faite avant le 49.3, je me disais : de toutes façons c’est plié, ça va passer sa réforme qui nous enlève deux années de vie, qui enlèvera deux années de vie à nos élèves, et qui plus largement repose sur un projet de société dont la base est l’exploitation des travailleurs.ses au profit des capitaux et des ultra riches. Travailler plus, dans des conditions toujours plus mauvaises, se tuer à la tâche et tout et tout. J’étais globalement résigné, morose, « marasmé » car franchement je voyais pas de porte de sortie : on est rien, les ouvrier.es sont rien, les profs sont rien, les élèves sont rien, les éboueurs sont rien, personne n’est rien à part les puissants, les riches, et ça va continuer comme ça en fait. Pourquoi ça changerait ? Pourquoi ce système qui fonctionne avec 90% de chair à canon « emballée c’est pesé » changerait ? Pourquoi ?
Puis y’a eu le 49.3, et en soi, c’est pas le 49.3 qui m’a fait me mobiliser, parce que 49.3 ou pas de toute façon on se fait toustes niquer, tout le temps. Ce qui m’a fait retrouver la rage, c’est de voir que tant de gens l’avaient cette rage, cette belle rage, cette rage commune, cette rage de vivre bordel ! On veut vivre, pas survivre, pas prendre des coups et rien dire, pas être malheureux.ses, tristes, en burn out, cassé.es par le travail, cassé.es par l’absence d’horizon viable, vivable. Bref, c’est le pouvoir du collectif, l’impression de plus être seul avec ça, c’est ce qui me porte en ce moment.
La semaine dernière je suis allé plusieurs fois sur le piquet / blocage des éboueurs à Aubervilliers, à 5h30 (d’accord, parfois 6h…), putain c’était beau. C’était ces profs, ces AED, ces AP, dont tout le monde se fout qu’on fasse grève, on obtient rien, tout le monde s’en balek, bah là, les profs putain, leur grève elle sert à quelque chose ! Nos corps ensemble, pour bloquer les camions qui vont nettoyer chez les riches, nos techniques pour repousser la police, ces bras qui s’agrippent, cette force bordel ! Et Jeudi la police a chargé (ok, sans matraque, mais quand même), et on chantait « On est là !!! On est là !!!! » et on poussait, et on sautait et putain, on les a repoussés ! Cette convergence avec les éboueurs, les gars derrière la grille qui nous encouragent, qui flippent aussi mais qui nous encouragent, c’est tellement beau !
Après le piquet gagnant de jeudi, je suis allé à l’AG de Gare de Lyon, puis à l’action, le blocage des trains par la déambulation sur les rails, puis dans la rue, et on était ensemble, les cheminot.es, les technicien.nes d’Enedis, des profs aussi, et plein d’autres camarades. La force à nouveau. Ensuite la manif, et celle là je pense que beaucoup d’entre vous l’ont sentie cette force, cette rage de vivre, cette envie d’une autre société, plus juste bordel, de défaire un système capitaliste aliénant et mortifère.
Vendredi je suis retourné au blocage de la déchèterie d’Aubervilliers, on était pas assez, on s’est fait virer en deux secondes par la police mais on a de la chance, pour l’instant ils sont pas trop violent : pas de matraque, pas de gaz, ils poussent et tirent, c’est tout. Avec les camarades présent.es on a discuté, on s’est dit, on revient lundi en force, pour montrer aux éboueurs qu’on continue, pour continuer le mouvement, pour continuer à discuter, à échanger, à créer des liens. Parce que ce qui se passe là, en fait, c’est la création d’une énorme toile d’araignée de convergence de luttes, des réseaux se créent, des corps communs se constituent et ça, personne pourra les détruire.
Après le piquet de vendredi je suis allé au Havre avec d’autres camarades rencontrées sur le blocage, on a pris des bus affrétés par Révolution permanente et le réseau grève générale pour aller soutenir les travailleur.ses de la raffinerie de Gonfreville qui avaient été réquisitionné.es. Des réquisitions ! Des putain de réquisitions ! Mais on est où ? On est quand ? Des travailleur.ses escortées par la police pour aller bosser ? Quand on est arrivé.es, les gendarmes avaient repris le piquet. On était 150 environ à être venu.es de Paris. Bah 10 min plus tard le piquet était repris, la grève était reconduite, les raffineur.ses avaient les larmes aux yeux. C’était beau, c’était la force, c’était la convergence.
Bref, tout ça pour vous dire : reconduisez, venez sur les piquets, convergez, bloquez y’a un truc dans l’air, un truc dans les corps, des étoiles dans les yeux et la rage dans le cœur.
On reconduit lundi, mardi, pareil mercredi puis jeudi…. On lâche rien, on crée ensemble. Bordel, on va la reprendre la vie !