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Billet de blog 30 janvier 2018

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En 2018, un autre monde reste possible !

Dans cette tribune, nous présentons nos « alter-voeux » à ceux des « grands du monde » réunis à Davos la semaine dernière. Merci à ces messieurs d’avoir réveillé nos âmes engagées pour un monde plus juste, équitable et soutenable. Il ne tient qu’à nous de le rendre possible en 2018 ! by Fred Guerrien & Lora Verheecke, citoyens du monde.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Notre Dame Des Landes, CETA, Lactalis : en ce début d'année, les sujets qui tiennent (tenaient ?) à coeur aux mouvements altermondialistes occupent le haut du pavé de l'actualité politique, sociétale et militante nationale. Des questions et mobilisations de même nature ont cours partout en Europe et dans le monde. Mais pourquoi ceux-là et où en est le mouvement par lequel nous nous sommes immiscés dans les débats publics et d'une certaine manière politiques ? Fidèles au leitmotiv "un autre monde est possible", nous entamons cette nouvelle année convaincus que le système capitaliste et financier est à bout et que c'est le moment de faire et encore refaire ce nouveau monde ! Belle année 2018 à toutes et à chacun, partout sur notre petite et unique planète.

Happening à Seattle, 1999 © LV

Ce 21e siècle : si j’aurais su, j’aurais pas v’nu !

Au tournant de l'an 2000, dix ans après la chute du mur de Berlin et du système dit "communiste" dans les pays du bloc de l'Est, le mouvement altermondialiste regroupait des individus et des organisations très variés, mus à la fois par l'instinct que les particularismes et la diversités des peuples étaient menacés par le mode de vie standardisé, façonné par les intérêts économiques et financiers, et imprégné de libéralisme cherchant à s'imposer partout sur la planète. D'instinct nous pressentions que les plus pauvres et les plus fragiles en seraient les premières victimes. La préoccupation écologique (ou plutôt environnementale) existait mais elle n'était pas (encore) centrale : elle était une composante du problème, faisait partie d'un tout au même titre que la culture, les langues, etc. Le moteur de la contestation (et de la volonté d'affirmation résumée par le slogan rassembleur "un autre monde est possible") étaient avant tout d'ordre social et économique, pour les plus exposés face aux puissants et aux mutlinationales.

Une vingtaine d'année plus tard (eh oui, déjà !), l'avènement de ce nouveau monde dit "globalisé" est une réalité. Ce n'est pas celui voulu et imaginé par les "altermondialistes". Au contraire, les multinationales et les capitaux privés se sont renforcés au point que même les pouvoirs politiques désireux de les encadrer, voire les contrer, sont devenus incapables de le faire dans un monde occidental se revendiquant "démocratique" (qu'on peut assimiler à l'OCDE pour faire simple) et que alors que les marchandises et les capitaux circulent sans entraves, les victimes des ravages de la mondialisation (réfugiés de guerre et climatiques notamment) errent, désoeuvrés et en grande partie abandonnés des pouvoirs publics et politiques, dans tous les recoins des cinq continents, montrés du doigt en Europe par des populations craignant d'être déclassées elles-mêmes ou, pire, désireuses de pouvoir profiter des potentiels que pourraient leur offrir l'exploitation économique de l'Afrique et de l'Asie.

Richesses culturelles et identités: des labels marketting idéaux ?

Et c'est là l'ironie de la situation dans laquelle se trouve notre monde. Alors que les richesses naturelles "autochtones" sont souvent pillées au bénéfice des intérêts privés mondialisés de quelques uns, les particularismes culturels locaux défendus par les altermondialistes ont trop souvent été reconnus par l'économie libérale globalisée comme ... des produits marketing ou "marques" exploités par une industrie touristique ou commerciale bien huilée. Prenons un exemple parmi tant d'autres : alors que la Pampa argentine a été transformée en un vaste champ de soja OGM biberonné aux pesticides, que les réputées vaches argentines ne broutent plus dans les plaines mais se pressent dans les affreux enclos en "feed-lock" (littéralement "serrures d'alimentation"), et que les capitaux internationaux ont racheté des milliers et des milliers d'hectares de terres pour y planter des vignes de façon industrielle, le monde est envahi par les belles bouteilles de vin argentin et de la viande estampillées de belles étiquettes exploitant l'image romantique du "gaucho" et des plaines sauvages de la Patagonie, symbole ultime de la nature à l'état brut. Manifestement, les génies du marketing considèrent que les valeurs traditionnelles font vendre ... En ville, où vivent la plupart de celles et ceux qui liront ces lignes, pendant que les centres historiques se vident de leur vie et de leurs habitants, qui ne peuvent plus en acquérir les logements et doivent les céder aux fonds spéculatifs mondialisés, des prospectus en ligne et les nouvelles plateformes du tourisme de masse globalisé comme Air Bnb vantent les charmes authentiques des rues du Marais à Paris, du Melting Pot à New York, ou de la Condessa à Mexico, pour convaincre le touriste de venir partager le quotidien de celles et ceux qui ne peuvent plus habiter leurs propres quartiers. On pourrait malheureusement multiplier les exemples à l'infini.

Environnement et urgence climatique : l’éveil des consciences

Au cours des vingt dernières années, un problème nouveau, urgent, pressant et ôh combien global a éclaté à la face du monde : le changement, ou dérèglement, climatique. Grâce aux travaux du GIEC et à la prise de conscience progressive des populations, plus personne n'en nie désormais l'existence et il s'impose à tous. Il nous menace tous aussi, quoi que certains le soient plus que d'autres. Et pourtant, le moins qu'on puisse dire est que les mesures à la hauteur des risques identifiés tardent à se concrétiser. Les "politiques" louvoient, les représentants des intérêts économiques et financiers pèsent en coulisse pour empêcher toute réglementation trop contraignante et les mouvements citoyens et militants crient au loup depuis tellement longtemps que l'attention qu'on leur accorde est variable. Il faut pourtant être aveugle ou faire un gros effort pour ne pas voir l'évidence : les enjeux climatiques et environnementaux sont le facteur qui provoque le rejet le plus fort des ravages du système globalisé actuel.

Prenons le cas du CETA, traité de libre-échange dit de "nouvelle génération" entre l'UE et le Canada, un format inventé pour contourner l'échec de l'OMC, l'Organisation Mondiale du Commerce, grâce notamment à la mobilisation des "atlermondialistes". Cet héritier de la philosophie libérale et dérégulée a été négocié en catimini entre les autorités européennes et canadiennes de concert avec les grands groupes économiques des deux ensembles. Il a fait l'objet d'une mobilisation citoyenne européenne sans précédents et de mobilisations politiques conséquentes partout en Europe. Or, plus que les (légitimes) inquiétudes sur ses impacts sociaux et le débat idéologique sur l'intérêt pour les économies de s'ouvrir à l'échange, c'est avant tout la peur de voir importer du saumon OGM, de s'alimenter avec du boeuf nourri aux hormones et l'incompatibilité de ce traité avec le respect des accords de Paris qui ont canalisé la crainte des peuples européens. C'est à dire des enjeux d'ordre environnemental.

Plus près de nous dans l'espace et dans le temps, les crises et scandales alimentaires à répétition (lasagnes à la viande de cheval, Fipronil, "lait" pour enfants Lactalis) ont mis en évidence les dérives d'un système agro-alimentaire qui a créé un univers invisible entre les produits de la terre et celles et ceux qui dans l'ignorance la plus totale consomment des produits qui ont parcouru des milliers de kilomètres et dont ils ne soupçonnent même pas la réelle composition, tandis que l'intensité et l'immensité des moyens industrialisés et mondialisés de transformation des produits alimentaires les amènent à se répandre comme une traînée de poudre dans une quantité incroyable de pays et de réseaux de distribution. A chaque scandale alimentaire, certes les intérêts financiers et la puissance de frappe des grands groupes sont révélés au grand jour mais c'est la santé environnementale qui fait réagir puissamment les citoyens et les consomm'acteurs.

On pourrait là aussi malheureusement multiplier les exemples de scandales et inquiétudes mêlant intérêts économiques et destruction environnementale mais en ce début 2018, on ne peut passer sous silence ce qui a représenté la victoire d'une mobilisation juste ayant traversé les époques et qui a duré un demi-siècle : l'abandon du projet d'aéroport Notre Dame des Landes en Loire-Atlantique. Le Larzac duquel est issu José Bové, l'une des figures emblématiques du mouvement altermondialiste, était le symbole de la paysannerie et du patrimoine rural français. Notre Dame des Landes y ajoute la préservation des terres agricoles et de milieux naturels riches : les "ZADistes" doivent sans doute en grande partie leur victoire à la prise de conscience croissante des enjeux environnementaux en plus du refus de tout sacrifier sur l'autel d'enjeux économiques et de "prestige", au détriment des identités et particularismes locaux.

Democracy vs WTO - Seattle 1999 © LV

Plus forts et résilients dans la diversité et la solidarité

Ces exemples démontrent que l'intelligence collective et les mobilisations citoyennes demeurent vives pour refuser une généralisation des échanges sans entraves qui bénéficierait à quelques uns au détriment du plus grand nombre et dont les puissants vecteurs d'uniformisation des modes de vie se ferait au détriment de toute la richesse et la diversité des peuples et des milieux naturels de notre planète. Au détriment aussi des conditions de vie, parfois de survie, de nombre d'espèces et de groupes ethniques ancestraux. Et dans de nombreux domaines, chaque fois que la mobilisation des citoyens a été forte et a permis de refuser l'exploitation outrancière des ressources naturelles et humaines de notre planète, les préoccupations ont fait converger enjeux sociaux et environnementaux. Car pour les peuples du monde, ceux dont les altermondialistes des premières heures voulaient porter la voix et les valeurs, l'enjeu de la mondialisation (et de son corollaire le changement climatique) n'est alors même plus de se faire entendre et de valoriser son identité dans un monde globalisé mais c'est celui de la survie et du risque de conflits croissants pour la survie entre délaissés et fragiles. Les pauvres et les plus fragiles se retrouvent les plus exposés et les premières victimes du monde globalisé. Vieux comme le monde, comme dirait l'autre ...

Parce qu'il n'est pas encore trop tard, parce que la mobilisation des hommes et la croyance en des valeurs d'équité et de justice sont de puissants moteurs, parce que la mondialisation a aussi permis de développer son lot de nouveaux moyens d'expression, parce que les sphères de négociation nationales et internationales sont en pleine mutation et peut-être surtout parce que le système actuel marche tellement sur la tête qu'il implosera maintenant très vite et qu'alors celles et ceux qui auront préparé l'alternative sur la base de valeurs humanistes et respectueuses de chaque individu et de la nature devront être prêts à convaincre, à soigner les blessures, à construire un monde meilleur, ...

... Pour toutes ces raisons, nous serons cette année encore et toujours mobilisés partout où nous le pourrons au quotidien pour alimenter l'espoir et préparer cet autre monde. Parce qu'il est possible !

Au plaisir de le faire ensemble, partout dans le monde.

Bonne alter-année 2018 !

Lora Verheecke, citoyenne du monde, chercheuse militante au Corporate Europe Observatory à Bruxelles

& Frédéric Guerrien, citoyen du monde, élu du 20 arrondissement de Paris

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