Les Molières ou le souffle d'une nouvelle ère
la nomination d'une chère amie dans la catégorie des révélations féminines m'a décidée à allumer ma télévision lundi soir.
Je pensais dépérir d'ennui ou d'agacement en regardant cette cérémonie que j'imaginais convenue et snob et ai été en définitive très heureusement surprise.
J'ai été saisie je crois par ce changement de paradigme qui s'est incarné à l'écran.
Ce paradigme d'une négation de la femme comme être humain plein et entier, dont l'existence est constamment justifiée par son soutien à un homme - quel que soit son état, enfant, adulte ou mort -, dans lequel j'ai vécu depuis ma naissance, m'est apparu inopinément modifié.
J'ai connu un monde dans lequel, les arts majeurs, les fonctions importantes et prestigieuses étaient dominées par les hommes.
Les femmes en lumière - à l'exception de quelques unes destinées à caractériser l'exception qui confirme le principe - n'avaient en définitive que peu de place en dehors de leur rôle principalement décoratif.
Lundi, j'ai senti ce changement de paradigme.
Les différentes figures féminines qui sont intervenues me semblaient pleinement présentes et cohérentes dans la globalité de leur être.
Tout cela peut sembler un peu ésotérique ou fumeux et je vais tenter ici de m'expliquer par l'exemple.
La reine Ariane Ascaride tout d'abord.
Elle est venue, avec toute sa lumière et sa grâce, dire le respect que nous devons aux comédiennes qui mènent une tâcher ardue mais nécessaire.
Elle a dit des choses très simples, des choses qui concernent toutes les femmes.
Et dans sa bouche, ces femmes qui assument toutes ces choses dévolues au féminin dans le silence ou le désarroi sont apparues héroïques.
Les nominées de la troupe du Shakespeare "Comme il vous plaira", Ariane Mourier, Barbara Shulz, Léna Bréban, étaient toutes trois bouleversantes de cette reconnaissance qui leur était donnée par leurs pairs et ont su faire voir cette reconnaissance qu'elle se devaient les unes au autres.
Isabelle Huppert a eu la délicatesse extrême de venir retirer le Molière remis à un autre, de rire d'elle-même à la saynète pré-enregistrée par le nommé, et s'en aller sans un bruit.
Etre là pour un autre, jeune confrère, et ne rien tirer à soi.
J'ai aimé ça.
Laetitia Casta est apparue telle une déesse faire cet hommage à Jacques Weber et chacun a pu retenir son souffle.
J'ai aimé cette apparition féminine pleine d'elle-même, sûre de sa force, de sa beauté, mais également complètement libre de toute forme de servilité à un désir masculin.
Isabelle Carré, la Présidente de cérémonie, a su fermement rappeler la nécessité du théâtre.
J'ai aimé sa voix tranquille et la tranquillité vis-à-vis d'elle-même.
Je n'ai pas ressenti chez elle ce trouble envahissant face au spectacle de sa personne.
Elle n'a pas été encombrée par elle-même car elle a su saisir que son rôle ici était de porter les autres.
Andréa Bescond est venue dire une nécessité.
Elle est venue dire devant cette assemblée que les propos de Lucchini, qui était venu rendre hommage à Michel Bouquet et avait au passage cru plaisant de comparer sa veuve aux victimes du mouvement me too pour ridiculiser ainsi les complaintes prétendument infondées de ces dernières, n'étaient pas acceptables.
Il en faut encore aujourd'hui du courage pour dire ça, devant ce parterre, à l'encontre de cette personnalité venue rendre hommage à cette immense figure du théâtre qu'est Michel Bouquet.
Ce que j'ai aimé est que tout ça a traduit de la sororité, de la délicatesse, de la bienveillance.
Ces nouvelles vertus viennent-elles cependant réduire la place dévolue aux hommes ?
Cet empowerment féminin réduit-il les hommes ?
Je ne le crois pas.
Alex Wizorec a été à mon sens très juste dans son rôle.
J'ai été heureuse de le voir mener cette séance avec ce juste équilibre entre cette nécessité d'implication personnelle par son humour mais de savoir également laisser la lumière aller aux autres.
Le visage de Jacques Weber a été infiniment touchant et beau lorsqu'il vibrait à l'écoute de l'éloge fait par Casta.
Alex Lutz a été parfaitement drôle.
Je ne crois pas que la force et la place retrouvée des femmes constitue un frein à l'épanouissement des hommes.
Je pense que chacun est meilleur ensemble sans la crainte de la violence.