Je vais droit au but: Deux éléments m’ont particulièrement interpellé récemment : un commentaire d’un ami sur un groupe d’étudiants en France, à propos du discours du président Edgard Leblanc Fils lors de la 79e Assemblée générale des Nations Unies. Il a fait une remarque ironique en disant que j’avais tellement noirci l’image de Sir Leblanc Fils qu’il ne saurait comment, Sir Leblanc Fils, va se laver. En fait, cette image d’un homme sale résume bien le vide qui entoure le pouvoir, à la fois comme une démonstration d’illusion et un reflet d’une population mal-dirigée.
Sincèrement, où sont passés les intellectuels de ce pays? Se sont-ils tous transformés en rentiers de ce gouvernement? Comment un discours truffé de clichés peut avoir autant d’écho?
Un chef de rédaction d’un journal réputé saluait la victoire d’un ancien dictateur, ignorant la position de son propre média en 2003-2004. Comment se fait-il que ce pays, et même ses journaux, souffrent d’une mémoire si courte ?
Pourquoi JBA a-t-il été salué comme le champion du peuple ? S’agit-il d’une volonté de revivre les anciennes gloires ? Les élites haïtiennes utilisent leurs discours pour détourner le pouvoir des institutions et le concentrer entre les mains d’un petit cercle, à l’abri des regards.
Quand Sir Leblanc Fils, à son retour, a déclaré que son discours avait été rédigé par des membres du ministère des Affaires étrangères, il a tenté de brouiller les pistes, semant la confusion sur qui détient le véritable pouvoir. Malheureusement, je crains que SEM Leblanc Fils ne soit qu’un pantin dans cette mise en scène. La demande de révocation d’un ministre par son chef de cabinet ne fait qu’enfoncer le clou.
Le président aurait dû exprimer sa colère contre le secrétaire d’État américain au lieu de s’en prendre à un ministre. Qui a écrit ce discours pour lui ? Eux? Mais Pourquoi convoquer une réunion après ?
Cette allocution, même bien construite en apparence, soulève une performance vide, un masque dissimulant un immobilisme politique. Pire est la confusion entre “restitution” et “réparation”. Ce n’est pas un simple faux pas, mais un reflet de la violence symbolique qui, sous couvert de diplomatie, efface les luttes légitimes du peuple haïtien. Nous, haïtiens, ne demandons pas des réparations, mais la restitution de ce qui nous est dû. Leblanc Fils a demandé de l’argent aux puissants. Nous, Haïtiens, croyons à la restitution.
L’article de Roberson Geffrard publié à propos de la tension et la convocation du ministre dans le journal Le Nouvelliste semble dire quelque chose de ce que l’éditorialiste du plus ancien journal d’Haïti a célébré comme victoire. Mais quelle victoire ?
Les intellectuels haïtiens, ceux réputés comme infatigables, sont très silencieuses sur ce gouvernement reproduisent dans le rapport avec le pouvoir un d’habitus. Simple manière de bien s’entourer. Recevoir un peu privilège. Ceux qui, comme Leblanc Fils, sont issus d’une mobilité sociale ou d’un héritage, manipulent les mêmes codes de pouvoir que leurs prédécesseurs. Dans ce cadre, le changement d’Haiti n’est qu’une illusion.
Les conséquences ne tardent pas après une semaine. À peine le discours digéré, un conseiller convoque une réunion pour demander la démission du ministre des Affaires étrangères. Comment un conseiller, représentant périphérique, peut-il exiger cela ?
Comme le dit souvent Lyonel Trouillot, “ce n’est pas un pays, c’est un business.” Je ne sais pas s’il considère ce business comme rentable ou déficitaire, mais je souhaite reformuler son idée : Haïti est devenu une start-up pour ses élites. Je suis prudent quant à la citation des auteurs, même de ceux que j’admire.
Honte à ceux qui ont reproduit ce discours comme vérité. En le partageant, ils profitent tant aux héritiers qu’aux opportunistes du système parce que derrière les coulisses du pouvoir, une économie parallèle s’installe, transformant Haïti en un instrument d’enrichissement pour quelques-uns. Les élites économiques et politiques entretiennent ce commerce du pouvoir, où les rivalités de classe ne sont qu’un masque dissimulant des intérêts communs.
Je ne développerai pas davantage ce point ici ; cela nécessiterait un examen plus approfondi.
Cependant, ce qui est alarmant, c’est l’effondrement des lignes de pouvoir et l’institutionnalisation de l’arbitraire. Ce pouvoir est provisoire. Le président du conseil et son chef de cabinet le savent, tout comme ils savent qu’ils ne détiennent aucun pouvoir réel. Pourquoi agir comme s’ils en avaient ?
La réunion convoquée par un conseiller révèle un dysfonctionnement structurel profond : un État où les conseillers, plutôt que les ministres, détiennent le véritable pouvoir. Le concept de “champ” bourdieusien s’applique ici : dans ce champ politique, les positions sont acquises non par le mérite, mais par des relations et des accords invisibles au public.
Derrière cette façade légitime, Haïti devient avant tout un instrument de reproduction sociale pour les élites. Les enfants de la révolution de 1804, les “héritiers” de la fierté haïtienne, utilisent ce capital symbolique pour asseoir leur domination. Qu’ils soient issus des familles Dejoie, Duvalier ou d’autres lignées, ces élites maintiennent l’ordre tout en feignant de travailler pour le changement. Entre Dessalines et Pétion, le problème était social et racial ; aujourd’hui, entre les post-Dejoie et les post 86, il s’agit d’un rapport de classe et de manipulation politique.