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Billet de blog 17 octobre 2024

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Les coûts du devenir chef en Haïti

Les rouages du devenir chef en Haïti sont des ficelles d’Ariane, les nominations et les alliances se tissent autour de transactions obscures, et une forme d’atavisme d’une élite politique. Comment comprendre aujourd’hui le sens du scandale de la demande du Conseil de couper la tête du ministre et les accusations de pots-de-vin?

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 On connaît tous le prix que les hommes d’État coûtent à Haïti. On a tous lu ou entendu une fois la somme que les présidents du Conseil demandent pour reconduire tel ou tel directeur général. Les petites combines pour nommer tel ou tel particulier dans des postes subalternes de tel ministère. Ces pratiques sont courantes. Mais une chose qu’on ne prend pas toujours en compte existe dans les conditions de possibilité du “devenir chef”, comme par exemple le coût du devenir chef des membres de ce conseil. Au nom de quel principe peuvent-ils révoquer un ministre?

Pour être “chef” en Haïti, il y a toujours une condition. Si on analyse de près la nature de la naissance du conseil, tout est là pour indiquer clairement ce qu’il pouvait être : un espace de transactions. Au sein des partis, il y a eu des transactions. Au sein des comités de nomination, il y a eu aussi des transactions. Avant d’arriver au sommet, ces nominés arrivent dans un espace où ils ont déjà trop de transactions à valider. Donc, ils sont tous endettés. C’est comme l’étudiant en médecine ou les étudiants des Ivy League aux États-Unis. Avant de commencer à travailler dans le métier pour lequel ils ont étudié, ils se retrouvent déjà endettés de centaines et des centaines de billets. Le devenir chef en Haïti est un métier qui a un parcours similaire. Nos nominés n’ont pas juste été choisis dans leur lit ou sur la base de ce qu’ils ont accompli dans la société. Pour être là, ils ont accepté des choses et ont exercé des pressions pour évincer d’autres. C’était sur fonds de menaces, peut-être, que la ministre Dominique Dupuy dit avoir renoncé à un poste de présidente dans le système, par exemple. Elle était peut-être cette bonté humaine qui avait des volontés au-delà d’être ministre : elle s’occupait d’une certaine image du pays.

Pour caricaturer le problème, certains d’entre eux ont payé pour leur poste. C’est pourquoi, peut-être, ils s’acharnent à trouver où se cache l’argent, ils voyagent pour pressurer, pour recevoir plus de marges de pouvoir, car les gens qui ont voté pour eux demandent qu’ils soient exonérés, qu’ils reçoivent les paiements qui leur sont dus.

C’est une pratique dans l’administration en Haïti, les postes politiques sont des postes achetés. J’espère que personne ne soutiendra ici que c’est mon opinion. Mais ce que je veux dire, c’est plutôt les raisons de la coercition auxquelles les membres du conseil font face quant à leur rapport à la corruption et la nécessité de garder leur poste, n’est pas une chose liée à leur rapacité. Ils étaient forcés de faire des compromis. Maintenant, ils doivent simplement payer. Ils sont forcés d’amasser le plus qu’ils peuvent. Même à humilier un pays. Qui se souvient encore quand Laurent Lamothe disait à Martelly qu’il était là à cause de son argent et non sur un rapport de couleur? Par conséquent, il restera là comme ministre jusqu’à ce qu’il amasse l’argent qu’il avait investi dans la campagne électorale. J’espère que personne ne dira là encore que j’ai fomenté l’idée de la phrase. Bien que je l’aie reformulée. Mais ce qui importe ici, c’est l’intention. Mais qui pourra dire que ce n’était pas le principe même du parlement haïtien ! Des histoires de blocs de députés et de sénateurs! Dans l’administration haïtienne, si tu veux être nommé, il faut que tu payes, littéralement et dans tous les sens : sexe, argent, etc. En d’autres termes : “Ou dwe sèvi” pour durer ou garder un portefeuille de ministre, un poste de consul général.

 Que le président de la République dominicaine demande la tête du ministre sur un plateau ne doit étonner personne. Cela devrait de préférence clarifier la place que la République dominicaine occupe aujourd’hui dans l’administration publique en Haïti. Cela devrait également mettre en lumière le coup et la déception que la ministre, Dominique Dupuy, lui a infligés dans les rencontres des organismes internationaux de défense des droits humains. Ce qui doit déranger, c’est que les politiciens haïtiens ont toujours eu des goûts plus exquis pour leur bien-être et leur avenir. Pourquoi la République Dominicaine? Je ne sais pas ce que le président de la République dominicaine peut offrir sur papier et pour la postérité. Mais comme la taille de l’accusé, c’est un homme bas, comme les yeux de l’accusé, l’esprit qui sous-tend cette entente est une bride...

 Rien ne doit conduire à l’étonnement, les membres de l’élite politique vivent sous la menace constante de devoir trouver un patron plus puissant qu’eux-mêmes pour financer leurs crimes. Lesly Manigat, de regrettée mémoire, avait utilisé un concept biologique pour expliquer cette nécessité de trouver un blanc, un maître, un patron. Il l’avait désigné comme une forme d’atavisme : une disposition à chercher un maître même quand le besoin n’existait pas. Le politicien haïtien veut toujours que quelqu’un lui dise quoi faire, comme au temps de l’esclavage. L’étonnement vient du fait qu’aujourd’hui, le maître vient de la République dominicaine. C’est une sidération.

 Aussi, on ne va pas faire semblant que la honte que nous, Haïtiens, vivons dans les pays où nous sommes, où nous travaillons, étudions avec l’idée de retourner servir le pays, est uniquement quelque chose qui arrive en République dominicaine. “Nos compatriotes subissent le racisme au quotidien aux États-Unis, en France, en Russie, en Turquie, etc. À la différence des autres pays de l’Occident que la RD entend imiter, elle assume son narratif raciste. Il est plus exacerbé et plus direct.

En effet, le problème de la corruption de nos dirigeants est dans ce long continuum de rentiers où peut-être les membres du conseil se retrouvent, ils doivent trouver de l’argent par tous les moyens pour payer ceux qui les ont nommés. Vous allez peut-être dire que j’essaie de couvrir ou de trouver une raison pour expliquer la corruption de Lesly Voltaire ou les autres membres du conseil. Mais ce que j’essaie de montrer, c’est une pratique dans la gestion du pouvoir en Haïti. Historiquement, Haïti est une histoire remplie d’exemples de ce genre. On l’a connu avec les Allemands ! Avec l’Angleterre. Qui encore se souvient de la frustration d’un ambassadeur du Canada contre un citoyen, dignitaire de l’administration, qui osait questionner son propos ? Qui encore se rappelle de la colère d’un ambassadeur américain contre un ancien premier ministre ? En fait, ils ont tous été démis de leur fonction. Quel est le destin de la ministre?

J’ai rencontré un homme d’une certaine vivacité, diplômé de la faculté de droit et des sciences humaines. Comme les étudiants de la faculté d’ethnologie, il est resté un Cro-Magnon dans ses idées marxistes. Détenteur de deux masters, un obtenu en Haïti à la FE et l’autre à l’Université de Strasbourg. Beau parleur, avec de bonnes idées sur la littérature classique, il parle quatre langues. Profil idéal pour un diplomate. Il avait des idées justes sur ce que peut être la direction d’un consulat et avait été promu pour devenir consul. Mais avant que sa lettre de créance ne lui soit accordée, le patron lui avait proposé des conditions. Un montant à envoyer tous les mois… L’argent qu’on lui avait demandé pour le poste l’avait surpris ; il ne savait pas qu’un poste de consul pouvait générer autant d’argent et se plaignait de comment il allait rentrer toute cette somme. Le lendemain, à sa grande surprise, un autre camarade avait été nommé consul général. Comment s’étonner de la position de Lesly Voltaire contre une ministre qui défend un peuple et un pays ?

 Ce qui m’a fasciné, c’est le regret qu’il exprimait d’avoir refusé. S’il avait su que les États-Unis étaient ce “type de pays”, il aurait accepté de payer l’argent qu’on lui avait demandé, au lieu de vivre cette misère existentielle. À un certain âge, ou après avoir vécu certaines expériences, un homme peut perdre toute l’éthique de la conviction qui a fait de lui un homme avec une colonne vertébrale. Il aurait accepté les conditions lui permettant de vivre comme chef. De rouler en quatre-quatre, payer ses maîtresses, bâtir des maisons dans les hauteurs, amasser le plus qu’il peut, car sa condition de chef peut toujours changer. C’est un pays où l’élite vit dans des transactions. Je te donne cela. Je dois recevoir cela. C’est peut-être le cas pour Lesly Voltaire, et les autres membres du conseil acculés dans des scandales de corruption. Mais jamais je n’ai imaginé que la République Dominicaine aurait des frais pour les coûts du devenir chef en Haïti. Peut-être que la ministre est en train de payer sa déclaration que Haïti ne veut pas des soldats dominicains comme membres de la mission ! Mais qui se souvient de cette photo de Leblanc Fils en tête-à-tête avec le président de la République dominicaine avant de mentionner que Haïti allait recevoir de l’aide de la République dominicaine ? Mais on connaît tous le besoin de la République dominicaine de montrer qu’ils sont tous des blancs. Peut-être que la ministre est en train de payer la fierté de tout un peuple. Haïti restera-t-elle dans ce tableau désenchanté d’une classe politique haïtienne piégée par elle-même dans des pratiques nauséabondes, un système de clientélisme et de dépendance qui mine toute possibilité de renouveau?

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