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Billet de blog 28 septembre 2024

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Un diable peut-il produire un verbe saint ?

Dans un contexte politique haïtien tumultueux, Edgard Leblanc, figure centrale du Conseil de transition, incarne les paradoxes d’un système en quête de légitimité. Ce texte examine les dynamiques de pouvoir et les enjeux de dépendance qui alimentent une crise nationale persistante.

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On n’a pas besoin de contextualisation. On est tous dans cet enchantement d’une figure respectable et respectée. Bonne élocution. Vous pouvez appeler n’importe qui et poser des questions à propos d’un récent discours d’un homme politique, en Haïti ou aux États-Unis. D’abord, on vous répondra par le rire, comme un pot d’eau qui déborde maladroitement, mais rapidement, on finira par resserrer les dents pour dire que le discours était « bon et gros ». Ma mère, qui s’intéresse de plus en plus à la politique en Haïti à travers les réseaux numériques et sociaux, m’a fait un croquis du discours à sa manière. « Il y a encore des gens qui peuvent parler pour le pays. » Toutefois, avant même de m’expliquer, elle m’a demandé : « Mais… où était-il, celui-là ? » Ma mère n’a pas trop de tendresse pour Lavalas pour des raisons plus régionales qu’idéologiques. Nous sommes des Gonaïves et le gouvernement Lavalas de 2004 avait payé pour tirer sur les élèves de la ville. Ceux qui étaient contre le pouvoir et qui manifestaient. Voyez alors le désarroi des mères de la ville. Mais c’est un gars de souche d’un parti du même nom. Déjà, ma mère le voyait comme un bon candidat. Gentillement, je lui ai dit que c’était notre président, Marie Carmelle. Ancien sénateur. Lavalas de souche. Chef du parti OPL. Par principe, il ne pourra pas être candidat à condition qu’il démissionne. Puis, elle n’a rien ajouté. Un silence lourd a suivi son croquis d’un discours. Un silence aussi ferme que le discours. Moi, je n’ai rien voulu ajouter, car ma mère m’accuse souvent de récalcitrant en matière politique. J’ai préféré attendre pour comprendre ce qu’elle avait saisi du discours. Mais le silence s’est prolongé, étrange et pesant. Elle n’a rien dit de plus, peut-être parce qu’elle se trompait sur la figurine d’un Messi que monsieur Leblanc était en quelques minutes de paroles dans sa tête.

Moi, je le connais seulement comme le diable boiteux. 

Ainsi, j’ai pris le temps de revisiter le fameux discours, le parcours de l’Ecche homo. Écouter nos politiciens haïtiens faire des discours restent une torture depuis bien des décennies. Bon savant. Mais quel étrange personnage, ce Monsieur Leblanc. Un gaspillage de bonté humaine. Son éloquence n'est pas en adéquation avec ses talents de consultant, avec ses manières de servir… Il incarne à la perfection l’image du diable boiteux, semblant se mouvoir avec une aisance déconcertante dans les hautes sphères du pouvoir haïtien, malgré les secousses politiques. Il est tel un virtuose du système qu’on se souvient de l’appel désespéré de l’ancien président J. Michel Martelly. Depuis le retour d’Aristide, Monsieur a su servir tous les régimes comme consultant et conseiller, traversant les turbulences des trente dernières années sans jamais être écarté, comme s’il incarnait cet archétype de l’homme politique haïtien qui, quoi qu’il arrive, retombe toujours sur ses pieds. 

Aujourd’hui, le Conseil de transition qu’il dirige, cette arène où se joue l’avenir d’Haïti, n’est rien d’autre qu’une scène de comédie. Déjà, la lutte interne pour l’alternance du titre est un rendez-vous pour bientôt. Mais ce qui est sûr, c'est un conseil en mal de légitimité auprès des Blancs. Ce n’est pas un secret de dire qu’il y a un jeu de pouvoir entre Garry Conille et le Conseil. Un jeu d’écoute. Quelle est la marge de pouvoir du Conseil dans la gestion de la vie politique en Haïti ? Aucune. Même en Haïti. Le discours à l’ONU n’est rien d’autre qu’une passe d’armes entre la voix d’un Conseil de présidents sans presidentialité, en quête de reconnaissance, face au bon nègre technocrate de Washington. Doit-on revenir sur les péripéties de Monsieur Leblanc et de son équipe pour joindre la délégation ? La position de Washington quant à la sécurité du président et du premier ministre Le secrétaire d’État américain a commis un impair diplomatique, une faute de procédure, en considérant qu’un Premier ministre est plus important à sécuriser qu’un président. Dans son pays, cela n’est pas possible, même pour un ancien président. On le sait, jamais dans toute diplomatie un Premier ministre ne devrait surpasser un président en termes d’importance. Monsieur Leblanc aurait dû lutter d’abord pour sa dignité de chef. Car être président d’un conseil de présidents d’un pays n’est pas une simple fonction honorifique. Il y a aussi le symbole. Il y a le pays. Mais Monsieur Leblanc a, dans un geste presque absurde, imploré l’aide du secrétaire d’État américain pour assurer sa propre protection au même titre que son premier ministre. Quelle ironie pour un homme qui se réclame de la fierté d’un peuple libéré du joug colonial de parler au nom d’une nation qui a marqué l’histoire contemporaine! Doit-on rappeler que la dignité et le respect du bien-être de l’autre sont les valeurs qui ont conduit le combat pour l’indépendance ? Quelle ironie de voir que l’homme qui utilise l’histoire comme règle ne l’a pas tracée dans sa vie comme principe. Ici, Monsieur Leblanc ne fait que confirmer la dépendance qui, comme un refrain, rythme la vie politique haïtienne et le Conseil. Un jeu d’écoute. Quelle est la marge de pouvoir du Conseil dans la gestion de la vie politique en Haïti ? Aucune. Même en Haïti. Le discours à l’ONU n’est rien d’autre qu’une passe d’armes entre la voix d’un Conseil de présidents sans presidentialité, en quête de reconnaissance, face au bon nègre technocrate de Washington. Doit-on revenir sur les péripéties de Monsieur Leblanc et de son équipe pour joindre la délégation ? 

Monsieur Leblanc fait montre d’une ruse incroyable lorsqu’il s’agit de reprendre des stratégies du passé. Comme un bon ancien Lavalas. Une instrumentalisation de l’histoire comme arme de combat. Tout à coup, le chantre de tous les pouvoirs et régimes en Haïti devient sincère. Doit-on oublier que ces gangs ont été armés par les deux pouvoirs PHTK ? Lui aussi, on vient de le dire, il était parmi les conseillers de la gente à Martelly… Ce serait méchant si j’affirme que c’était son idée. Doit-on travailler avec un gouvernement de bandits si on n’est pas d’abord un dans l’âme ? Aussi, s’il faut faire une anatomie de la gangerisation d’Haiti, on doit poser des questions à son ancien patron, Jean Bertrand Aristide, ancien bon nègre un peu rebelle, un peu dans le vice. Il est l’exemple même de l’invention des « chimères » en Haïti. Que veut dire de sincère discours de monsieur Leblanc sur les gangs en Haïti ? Derrière les décors rhétoriques se cachent des intrigues dignes de celles du diable, simple rapport de position. 

Aujourd’hui, Monsieur Leblanc entend dévoiler les mesquineries, la méchanceté des anciens colons qui ont validé son accession au conseil. Pourquoi donner de l'espoir avec tant de maux cachés ? Monsieur Leblanc et le Premier ministre Garry Conille, dont le pouvoir commence à éclipser celui du Conseil, hormis les minutes du discours, se trouvent dans une dynamique presque shakespearienne, où l’ego prend le dessus sur la collaboration, et où les rivalités personnelles sapent toute possibilité de gouvernance cohérente. Comme le diable boiteux qui se joue des hommes, Monsieur Leblanc manœuvre, calcule ce discours comme un fouet pour le bon nègre technocrate et son patron. Mais à quel prix? 

Monsieur Leblanc n’échappe pas non plus à cette ironie fondamentale qui traverse la vie politique en Haïti. Lui qui, pendant des années, s’était montré réticent à la question des réparations, qui avait rejeté l’idée de demander des comptes à la France pour la dette imposée après l’indépendance, se fait désormais le champion de cette cause dans les tribunes de L’ONU: il parle de justice historique, de la nécessité pour Haïti de récupérer ce qui lui est dû. Quel revirement ! Doit-on en rire ou en pleurer ? Est-ce là un sursaut de conscience, un levier ou simplement un autre masque que le diable boiteux a jugé bon de porter pour rester dans les bonnes grâces d’une opinion publique de plus en plus exigeante ? Est-ce un moyen de dire le bon nègre et son patron : « Vous savez, je tiens là par le collet. » Le Peuple vous a à l’œil. Toute tentative contre le conseil sera reliée à ce discours. En vérité, ce n’est pas tant les restes de l’idéologie lavalassienne de Monsieur Leblanc (tout Lavalas est un malheur pour l’avenir d’un vrai dialogue social en Haïti) que je remets en question, mais bien la sincérité de ses actions. On sait tous que le blanc a une peur bleue de la question de la dette de l’indépendance. Cette question est plus morale. À quoi bon de parler de justice historique si, en parallèle, on se livre déjà à des jeux de pouvoir internes qui fragilisent l’unité même du Conseil, qui est censé être le pilier du redressement d’Haïti ? Monsieur Leblanc, en tant que président du Conseil de transition, incarne ces contradictions que l’on retrouve chez tant de politiciens haïtiens de ces dernières décennies : une rhétorique brillante, des promesses grandioses, mais des habitus et des praxis qui trahissent des ambitions où les apparences masquent souvent des réalités bien plus sombres. Avant de faire ses comptes avec le Blanc, le combat est entre nous. Je veux parler entre Monsieur Leblanc, son conseil et le gouvernement de Conille. Mais il va sûrement continuer de jouer son rôle jusqu’à ce que le Blanc l’écoute. Et puis basta. C’est aussi un piège pour les rumeurs de la volonté du Blanc de fondre le conseil. 

Le silence de Marie Carmelle peut dire long. Ce pays est fatigué. Il a besoin de sa voie. Non une instrumentalisation. Son silence pointe les fissures des masques de nos soi-disant intellectuels sans l’intelligibilité de leur pensée. Des savants sans scientificité de leur science. Son silence me dit qu’il faut les déterrer tous pour rendre inintelligible l’idée qu’ils sont. La discorde, l’importance de la parole de Washington de protéger et de sécuriser tant à l’extérieur que de l’intérieur n’est que le reflet de cette lutte de pouvoir qui impose la nécessité de lire les discours et la politique en Haïti d’une manière. Celle d’un jeu des leviers. Aussi, parce que des personnes comme Marie Carmelle auraient, à ce moment-là, voté pour lui si monsieur Leblanc avait été candidat. Cela m'interpelle sur la notion de « bon ». Non pas pour affirmer que cela fonctionne, mais pour comprendre la bonté qui anime son discours. Il s'agit aussi de commencer à examiner la sincérité de la rhétorique en relation avec les différentes pratiques sociales de nos intellectuels. Le cas de Monsieur Leblanc, qui s’adresse aux Blancs (ceux de Washington en particulier), sans pour autant être à lui-même une forme de pureté, en reprenant l’histoire comme un instrument d’attaque non pour changer la vue des méchants, mais pour rediriger l’aiguille et les malkut. En vérité, en vérité, il est crucial de commencer à interroger les figurines faisant auteur de savoir comme monsieur Leblanc et leurs connivences avec les Blancs, qui réinvestissent le passé comme une arme, quand et pourtant, lorsque leur pouvoir est en crise de légitimité auprès des patrons de Washington. 

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