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Billet de blog 5 juin 2025

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La santé mentale, grande cause nationale en 2025 ou en 2050 ?

10 à 24 mois, c’est ce qu’il vous faudra patienter pour être pris·e en charge dans un établissement de soins en santé mentale. Mon fils passera-t-il donc une quatrième année au fond de son lit en attendant une solution ? Et pourtant, parmi les 4 priorités du plan santé mentale se trouve « l'amélioration de l'accès aux soins partout sur le territoire français ».

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10 à 24 mois, c’est ce qu’il vous faudra patienter pour être pris·e en charge dans un établissement de soins en santé mentale. Mon fils passera-t-il donc une quatrième année au fond de son lit en attendant une solution.

Et pourtant dans les 4 priorités du plan santé mentale se trouve : l'amélioration de l'accès aux soins partout sur le territoire français [1] . De qui se moque-t-on ?

Le gouvernement le dit lui-même cette question touche 1 français sur 5 [2] . 1 personne sur 5 en France serait donc malade et aurait besoin de soins en santé mentale. Si elle n’attente pas à ses jours entre temps, elle devra donc patienter entre 1 et 2 ans pour être prise en charge. 

Au bout d’années d’errance médicale, mon fils de 19 ans a obtenu une orientation de la maison départementale des personnes handicapées, nécessaire sésame à son accompagnement. Je viens d’appeler plusieurs établissements dont l'établissement soins-études dont il rêve pour reprendre ses études et être soigné, on m’annonce un délai de 10 à 24 mois pour sa prise en charge, suivant les structures… Je ne sais même pas comment lui annoncer qu’il ne reprendra pas ses études, qu’il ne sera pas aidé par qui que ce soit hormis son psychiatre, débordé, qui le reçoit toutes les 3, 4 semaines et sa mère épuisée.

Depuis plus de 10 ans, R. souffre de problèmes de santé mentale. En CE2, à 8 ans, il a commencé a éprouver des difficultés à se rendre à l’école. On découvrira plus tard qu’il était victime de harcèlement, aujourd’hui on parlerait de grossophobie, car comme beaucoup d’enfants il a d’abord grossi puis grandi. Dans cette période maudite où il a commencé à aller mal, notre famille a subi des décès, des accidents et séparations qui l’ont traumatisé. Alors pour ne pas en rajouter, ce harcèlement, il l’a tu pendant presque 3 longues années. On l’a traité pour son surpoids, aujourd’hui encore, il pense, à tort, être gros. Puis on l’a détecté précoce, à haut potentiel…. La seule chose que je peux dire c’est qu’il est effectivement intelligent et en capacité de comprendre et utiliser des notions complexes comme un gamin de son âge. Il parle un anglais très correct, a appris le chinois en 6ème 5ème et s’intéresse au japonais, fait des maths, de la physique…bref il « fonctionne » parfaitement de ce point de vue.

La 6ème et la 5ème ont été difficiles, le collège a tenté d’aider beaucoup, avec peu de moyens. L’éducation nationale n’est pas une grande cause nationale non plus visiblement.

Ignorante de ce qui lui arrivait réellement et qu’aucun thérapeute ne m’a aidée à reconnaitre, pour sa 4ème, j’ai proposé un internat bienveillant un peu loin de chez nous, car il avait tellement envie d’être comme tout le monde et d’aller à l’école (Un établissement privé à quelques centaines d’euros par mois). Il s’est courageusement levé à 5 heures du matin (moi aussi) tous les lundis pour prendre le train jusqu’à craquer complètement quelques semaines avant le COVID et à passer sa journée à la gare de sa ville d’internat. Le confinement par-dessus, et le voilà scolarisé pour sa 3ème, via le CNED avec une association qui le suit pour l’aider dans ses cours et ses devoirs (l’asso très compétente et aidante représentait un engagement financier important – encore quelques centaines d’euros par mois plus les transports et la voiture les jours où je devais l’accompagner car il n’arrivait pas à aller en cours). 17 de moyenne générale avec le CNED et cette association …. pour les devoirs qu’il a pu rendre car il y a les bons et les mauvais jours où il ne peut rien faire ou presque. Malgré un second trimestre incomplet et un troisième à peine mieux, le CNED ne veut pas le faire redoubler, il est donc admissible en 2nde.  Convaincu d’avoir la capacité de reprendre une seconde générale, il a craqué le premier jour. Il avait croisé ses harceleurs de primaire dans la cour, et même si aujourd’hui, du haut de ses 2 mètres, il a les dimensions d’un frigo américain comme il le dit lui-même et pourrait être largement d’être tranquille dans une cour de lycée, il est rentré se recroqueviller dans son lit.

Pendant toutes ces années, nous avons erré chez des psys, des psychiatres, des sophrologues, des hypnothérapeutes, des assos, des maisons des ados… il a parlé, j’ai parlé, notre médecin traitant a erré avec nous.

Il y 3 ans, je remplis seule, avec le médecin traitant, un dossier de demande de reconnaissance de sa maladie et du handicap qu’elle représente… et il est admis en hôpital de jour en région parisienne et vit chez des amis de notre famille. Rien ne fonctionne, il fait une deuxième tentative pour un lycée… il aurait dû être accompagné par une structure spécialisée, un SESSAD, dans cette reprise de scolarité mais avec 18 mois d’attente pour une place… c’est encore raté pour le lycée. Nous en sommes cette année à la troisième tentative sans plus de succès, ce sera donc la 3ème année qu’il passe principalement dans son lit hormis, les bons jours, quelques sorties avec moi ou les copains qui lui restent et qui eux continuent leurs études. Il a enfin un suivi psychiatrique sérieux et des médicaments depuis octobre dernier, une reconnaissance de son handicap entre 50 et 80% depuis une semaine et aucune formation ou structure[1] ne pourra l’accompagner avant ses 21 ans ! Va-t-il passer une 4ème année au lit ?

Je l’ai appris il y a 2 heures et ne sais pas comment le lui annoncer, lui qui attend de l’aide depuis si longtemps.

On ne pourra pas non plus augmenter le dosage de son médicament pour l’aider à encaisser le choc, comme beaucoup de médicaments, « le sien » est en rupture de stock depuis des semaines et je vais être obligée de le faire venir de l’étranger à mes frais. Les pharmacies, ici, dans une grande ville comme Bordeaux, ne savent pas quand elles en auront…

Alors maintenant que j’ai épuisé toutes les solutions, mes finances, mon énergie, ma vie professionnelle, que dire à mon fils ? que la santé mentale est sérieusement la priorité de notre gouvernement en 2025 ?

[1] source : https://www.info.gouv.fr/actualite/la-sante-mentale-grande-cause-nationale-en-2025

[2] Ibd.

[3] L’une des structures à 100 dossiers en liste d’attente pour la commission d’admission. L’autre n’a aucune visibilité sur les places et recontacte les « candidats » tous les 6 mois pour savoir s’ils maintiennent leur candidature.

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