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Louis Albert SERRUT

Auteur, essayiste. Docteur en sciences de l'Art (Paris 1 Panthéon Sorbonne)

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Billet de blog 2 mars 2024

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CE QUI RE-VIENT

L’exploitation, la domination, organisées par le capitalisme absolu, libéré de toute nécessité de se justifier, atteignent à un niveau désormais sans limite et sans borne. Les inégalités aussi, dont s'accommodent le capital et ses alliées les extrêmes droites, qui instaurent tous ensemble le retour du fascisme.

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(Publié par L'Humanité jeudi 9 mai 2024)

Ce qui vient est déjà-là.

L’inégalité, qui n’a jamais cessé, est désormais institutionnalisée, normée, normale et habituelle, hiérarchisée dans tous les coins et recoins de la vie : inégalité civique, droits rognés, soumis à des acceptations et des renoncements, des engagements et des conditions ; inégalité sociale, reconfigurée à l’aune de la productivité, de la rentabilité, de l’efficacité ; inégalité économique, constituée de l’asservissement à l’argent et au pouvoir - illégitime - qu’il confère à ses détenteurs ; inégalité culturelle où l’accès au savoir est conditionné, encadré, vérifié, la connaissance elle-même censurée.

La solidarité, mot désuet comme un vieil étendard délavé et déchiré, contrevient aux mots d’ordre nouveaux d’autonomie, d’individualité ; dans son effacement, tous les biens communs sont mis à l‘encan, jusqu’à la connaissance, jusqu’à la parole, jusqu’à la pensée, contrôlée, imposée, fabriquée.

La liberté mesurée, comptée, restreinte sans cesse par des donneurs de leçon sans vertu ou corrompus, effrayés de l’autonomie du vulgum pécus, la multitude ignorante qui prétend avoir voix au chapitre, au laisser faire et laisser vivre.

Ce qui vient, c’est la destruction déjà engagée, mise en acte, actée et accomplie, de ces idées simples et belles, liberté, égalité, solidarité, déclarées révolues. Ce qui vient, c’est la contrainte à l’obéissance servile, sous risque de perte, perte d’emploi, de revenu, de logis, de droits, du statut même de citoyen, d’humain. Ce qui vient, c’est sous la menace, la servitude à la machine capitaliste et l’ogre dont elle s’accommode, dont elle s’est toujours accommodée, qui l’accompagne, le monstre, la bête violente du fascisme. Les extrêmes droites ont toujours été les attentives compagnes du capital, hier comme aujourd’hui.

 Ce qui re-vient, qui vient à nouveau.

Ce qui vient à nouveau, ce sont les milices violentes qui attaquent la démocratie par ses représentants, les maires, les élues et les élus, les associations, leurs militantes et militants, les citoyennes et citoyens. Ce sont les groupes auto-proclamés d’ordre public, qui se répandent dans l’espace public ou privé avec la haine et le crime comme moyens de terreur.

Ce qui re-vient, c’est le discours mensonger d’une société fermée au monde et la haine de l’autre, du différent, de l’étranger. Ce qui re-vient, c’est le refus de la démocratie et la revendication de l’ordre ancien, celui de l’arbitraire, de la force, du chef et de la hiérarchie. Ce qui re-vient, c’est le refus de la République égalitaire et démocratique. Ce qui re-vient aujourd’hui, c’est la réaction, qui n’a jamais cessé, contre la Révolution de 1789 et ses principes d’égalité et de liberté. Ce qui re-vient, c’est la tentative du retour à un ordre archaïque.

Le capitalisme débridé, libéral ou néolibéral, le nom n’y change rien, soutient le retour à un régime arbitraire et totalitaire, comme il a soutenu le fascisme en Italie en 1920, les nazis en Allemagne en 1933, la réaction en 1934 en France, Pinochet au Chili ou Poutine en Russie. Le capitalisme est aveugle, il va où son expansion est facilitée sans autre projet que l’accroissement des profits. Mais le capitalisme n’est pas un mot vide, il est constitué de toutes les entités, groupes, entreprises, sociétés, leurs actionnaires et dirigeants, tous ses affidés qui prospèrent de l’exploitation, de la domination, de l’asservissement des multitudes. Le fascisme est favorable à ces exploiteurs et prédateurs, il est leur allié dans la constitution du fascisme social, où, comme l'a élaboré Boaventura De Sousa Santos dans Épistémologies du Sud en 2016, "le régime est régulé par des différences de puissance extrêmes ou des hiérarchies d'un nouveau genre."

Ce qui demeure

Contre ce qui re-vient est ce qui demeure et persiste.

Ce qui demeure, aussi permanente que la vie, c’est l’exigence des droits fondamentaux de liberté de penser et d’égalité des citoyennes et des citoyens. Ce qui demeure, c’est le rejet du pire qui est déjà-là, c’est la résistance sociale, politique, intellectuelle, culturelle à la norme néolibérale de la marchandisation et de la concurrence générale qui font le lit de l’idéologie fasciste. Les manifestations contre la réforme des retraites ont montré une société en révolte, mais aussi la force, l’intelligence, l’humanité de l’action collective. Ce qui demeure, plus vif à présent, c’est la colère des citoyens pris dans des actes de guerre à Sainte Soline, celle des plus jeunes dans les banlieues en réponse à l’assassinat policier de Nahel. Ce qui ravive la colère, c’est le dévoilement jour après jour de la connivence et la duplicité de Macron avec les extrêmes droites.

Car ce qui persiste au-delà de tout, c’est le refus du fascisme, de sa violence et sa terreur intrinsèque. Ce qui persiste, c’est l’opposition à son ordre injuste et illégitime. Ce qui persiste, c’est la conviction que le pire n’est pas inéluctable, qu’il revient aux citoyens de combattre cette idée qu’infusent les médias, de rompre et bifurquer, de ne rien accepter qui ne soit leur invention.

Ce qui persiste définitivement, c’est la capacité populaire à ne pas se laisser priver de son autonomie et de sa légitimité de citoyen.

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