Les classes conservatrices se sont toujours efforcées de couvrir de leurs voix celles qu’elles ne voulaient pas entendre. Les hérauts des catégories sociales indésirables ont été poursuivis par la haine des bourgeois et la justice aux ordres. Auguste Blanqui assigné en Bretagne pendant la Commune, Emile Zola, chantre du prolétariat condamné par les tribunaux, furent de ceux-là, ainsi que tous les anonymes qui subirent dans leur chair la brutalité du pouvoir.
Le processus est ancien mais sa vigueur ravivée dans les médias, majoritairement détenus par les capitalistes, devient telle à présent qu’elle doit nous alerter sur la possibilité du débat et la démocratie elle-même. Les signes nombreux se multiplient, leur rythme s’accélère, d’une dé-historisation générale et d’un contrôle accru de l’expression syndicale, associative et politique.
Une volonté constante
Nous savons que la Révolution ouvrière de février 1848 fut effacée par la réplique terrible de juin ; de quels dénigrements la Commune fut victime et l‘est encore aujourd’hui au point d’être effacée de l’histoire enseignée ; que la colonisation aurait été « positive »[1] et non criminelle, effacée avec tous ses opposants assassinés sous « une histoire d’amour »[2] ; que la France durant la seconde guerre mondiale fut résistante, à l’appel d’un général inconnu réfugié à Londres.
L’histoire officielle célèbre l’appel du 18 juin 1940 de De Gaulle, elle efface celui de la veille, du 17 juin 1940 que Charles Tillon, dirigeant du parti communiste, lança de France aux syndicats et à toute la classe ouvrière, appel à résister au fascisme hitlérien.
La mémoire de la Résistance, de ses victimes et martyrs, reste masquée par la propagande gaullienne qui s’efforce d’effacer l’action des réseaux ouvriers et communistes. Au mont Valérien, derrière les seize stèles du mémorial de la France combattante, derrière la porte étroite, ce sont les milliers de fusillés communistes qui sont rappelés à notre souvenir. Et aussi, les fusillés de Chateaubriant, Voves, Aincourt, Nantes et bien d’autres lieux, honorés chaque année par les amicales, associations, syndicats, salariés, par le mouvement ouvrier.
La classe politique capitaliste prétend aujourd’hui refuser aux partis de gauche d’être républicains. S’arrogeant d’être - seule - républicaine, elle voudrait leur dénier leur nature même, démocrate et républicaine, les disqualifier et les effacer de la scène politique. C’est oublier le sacrifice de générations de salariés, de travailleurs, de citoyens pour l’avènement, la sauvegarde et le maintien de la République aux périodes les plus troubles, durant toutes les guerres coloniales, en 1934 contre les fascistes, pendant l’occupation nazie, durant la guerre d’Algérie, et pour le rejet de Le Pen en 2002.
Une sémantique active
L’effacement se fait aussi par les mots, avec le recours à une sémantique performative. En traitant de factieux et séditieux le mouvement des gilets jaunes, le pouvoir politique asservi au capital a voulu dénier toute existence et tout droit de parole aux protestataires, taire leur expression. Il les a maltraités par la matraque avant d’effacer leurs traces sur les ronds-points et « noyer tout ça dans le blabla du grand débat », comme le dit François Ruffin.
En qualifiant d’extrêmes les partis de gauche à l’égal du rassemblement national, Macron et ses épigones dénaturent la réalité politique, manipulent l’opinion et les citoyens, tentent de disqualifier les forces progressistes pour les effacer en les assimilant, par amalgame, au parti raciste et xénophobe d’extrême droite. Par ces renoncements, Macron et les siens signent leur perte des principes républicains, ceux de l’Etat de droit et ceux des droits de l’homme. Macron et les siens s’efforcent d’effacer ce fait inédit dans la Vème République, la victoire d’un groupe de gauche contre le parti présidentiel.
Déclarer « la police tue » a suscité l’injonction immédiate par les conservateurs de retirer, d’effacer, ces mots. Pourtant la mémoire est encore fraîche, de Rémi Fraisse à Zineb, d’Adama à Éric Chouviat, de la longue liste des assassinats légaux de citoyens, militants, syndicalistes, protestataires, tous de la classe laborieuse, active et résistante à l'ordre capitaliste.
Les « quartiers populaires » dont abusent les orateurs qui n’en sont pas sont les mots des politiques discriminatoires pour masquer la réalité des zones déséquipées et sous dotées où sont reléguées les populations paupérisées, citoyens disqualifiés par l’inégale répartition de la richesse commune. Ces quartiers ne sont pas « du peuple » au sens de populaire, mais expriment bien l’effacement d’une partie du peuple de la vie collective.
La création d’un comité national de la refondation est la dernière offensive en date contre la mémoire collective du mouvement ouvrier. L’acronyme de ce projet reprend celui du Conseil National de la Résistance, CNR, pour mieux l’effacer en remplaçant l’ancien par un nouveau actuel. L’attaque est délibérée, elle démontre l’arrogance de son initiateur vis-à-vis du passé, son mépris pour ceux-là qui l’animèrent et le firent exister, dont nombreux furent assassinés, et son manque de considération pour les citoyens.
Mais la mémoire ne dépend pas d’un décret, elle ne se constitue pas à la demande et ne s’efface pas aisément. Le résultat des élections législatives de 2022 devrait être pour Macron une leçon, car ce score qui ne s’efface pas fait assurément déjà mémoire à son tour.
[1] A l'origine de la polémique, le "rôle positif de la colonisation" Le Monde, 7 décembre 2005. Loi sur les rapatriés du 23 février 2005, mentionnant le "rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord", adoptée par l'UMP.
[2] Propos d’Emmanuel Macron, chef de l’Etat, durant son voyage d’Etat en Algérie, du 25 au 27 août 2022.