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Billet de blog 7 mars 2022

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Macron, les dénis de démocratie

Lors de ses vœux le 31 décembre 2021, le président Macron a fait son autopromotion électorale sans être déclaré candidat à l'élection. Il a mis ainsi en évidence le défaut majeur de son gouvernement, les dénis de démocratie chaque fois accomplis pour imposer ses choix.

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Lors de ses vœux le 31 décembre 2021, le président Macron a fait son autopromotion électorale. Satisfait de son action, il a énuméré « à la cavalcade » une série de mesures choisies pour en convaincre les citoyens. Il a mis ainsi en évidence le défaut majeur de son gouvernement, les dénis de démocratie chaque fois accomplis pour imposer ses choix.

Démocratie institutionnelle

Macron use comme ses prédécesseurs du régime politique de la Vème République, constituée sans constituante, où la démocratie parlementaire est réduite à confirmer un magistère omnipotent et solitaire, celui du Président, dont les pouvoirs discrétionnaires ne sont soumis à aucun contreseing ministériel ni contrepouvoir.

Macron a amplifié ce mode de gouvernement d’un seul, contradictoire au principe démocratique. Il s’agit bien de gouvernement où les ministres et secrétaires d’État, premier ministre compris, sont soumis aux directives et décisions du Président. Le conseil des ministres est réuni chaque semaine à l’Elysée par le Président, non à Matignon par le premier ministre réduit à n’être que chef second de gouvernement, voué à exécuter. L’affaiblissement de la démocratie est inscrit dans la Constitution qui organise la consultation des citoyens tous les cinq ans.

Alors qu’une majorité à l’Assemblée nationale lui est acquise, Macron s’est affranchi du pouvoir législatif. Un mois après son élection, dès juin 2017, il fit voter une loi d’accréditation l’autorisant à gouverner par ordonnances. Le gouvernement par ordonnances, sous contrôle du parlement qui les autorise et ensuite les accrédite, est un mode d’évitement du débat démocratique. Pour l’état d’urgence sanitaire - régime d’exception - la loi d’accréditation a été réputée acquise a priori par le Conseil constitutionnel, chaque ordonnance ayant désormais rang de loi. En octobre 2021 le Sénat s’est opposé à la poursuite de ce régime des ordonnances, alors au nombre de trois cent trois. Ce changement de la règle législative entérine la volonté de Macron de tenir à l’écart les institutions, les rendre inefficientes et s’affranchir du régime démocratique.

L’état d’exception d’urgence sanitaire, prolongé jusqu’au 22 juillet 2022, et les dispositions qui l’accompagnent constituent un nouveau recul de la démocratie. La loi de sécurité globale, les violences policières et institutionnelles contre les citoyens ou les migrants actent une régression démocratique. Les trois décrets qui élargissent le fichage et les données collectées dans le cadre d'enquêtes menées par la police, la gendarmerie ou l'administration placent les citoyens français sous surveillance généralisée. La cellule Démeter, créée sans débat, met la gendarmerie au service de la Fnsea pour contraindre au silence toute critique de son type d’agriculture intensive.

La Nouvelle Calédonie, ou Kanaky, est l’un des dix-sept territoires à décoloniser au sens du Comité spécial de la décolonisation de l’ONU. Les partis indépendantistes ont demandé, pour cause de covid 19, le report du troisième référendum prévu par les accords de Nouméa au second semestre 2022. En refusant, Macron prive le peuple de Kanaky de son droit à se déterminer qui fonde la démocratie. Par les accords de 1988, la France s’était engagée à être impartiale et équitable. Macron a renié la parole collective et détourné la voie de la démocratie.

Démocratie sociale

Le démantèlement de la démocratie sociale - syndicats de salariés et associations sont des acteurs de la démocratie - a été l’un des premiers actes du président Macron. La première série de ses ordonnances, par des mesures techniques, a profondément modifié le Code du travail et restreint les droits des salariés. La loi Pacte a achevé d’accorder aux employeurs tous les pouvoirs au détriment des salariés. Ces changements aboutissent à une désorganisation, un affaiblissement et un épuisement de la représentation syndicale. Le gouvernement a tenté en vain d’y ajouter une interdiction de manifester, pourtant droit constitutionnel.

Les réformes de la justice ont mis à mal la justice de proximité dans ses capacités de fonctionnement et privé les citoyens d’un accès égalitaire. Elles ont aussi mis à mal  la justice prud'homale en freinant son fonctionnement et rendant plus difficile le recours à ses instances par tous les salariés. L’ordonnance portant « partie législative du code général de la fonction publique » du 5 décembre 2021 de la loi de transformation de la Fonction publique du 6 août 2019 inverse les fondements de la fonction publique par lesquels le fonctionnaire est titulaire de son grade et non de son emploi. Ce renversement de hiérarchie supprime de facto la fonction publique, et l’indépendance du fonctionnaire vis-à-vis du pouvoir politique est remise en cause. Le lien insécable en France entre la forme des services publics, l’égalité des droits des citoyens et le statut des fonctionnaires chargés de les faire fonctionner constitue une vision politique démocratique de la fonction publique. Le gouvernement Macron entend supprimer ce lien démocratique.

Écrire l’exposé des motifs d’un projet de loi, distribuer les professions de foi électorales aux citoyens, commander des masques, organiser les campagnes de vaccination, gérer les dossiers des inscrits à Pôle emploi avec l’objectif d’en réduire le nombre, ou la plateforme des données de santé de toute la population, de plus en plus de missions de service public sont confiées à des cabinets de conseil, tel l’américain McKinsey, ou des entreprises privées telles Adrexo, Microsoft, etc. Le coût exorbitant de ce recours est pourtant exclu de la discussion démocratique, tout comme le dommage collectif de la perte de savoir-faire qui en découle.

Pour contourner les institutions, Macron use aussi d’autres moyens qui surgissent inopinément au gré des besoins et des thèmes. L’organisation de conférences ou conventions de citoyens, de comités divers, d’états généraux de la santé, de la justice, de la biodiversité, de l’économie sont de ceux-là où le président agit, pèse, décide hors de la représentation civique. Le choix de traiter l’épidémie de covid 19 comme crise économique et non de santé publique s’est fait sans débat. Le conseil de « défense », créé de toutes pièces, dont nul ne connaît la composition, dont il est interdit de divulguer les délibérations et qui décide de ce que les citoyens doivent accepter sans débat, s’ajoute aux instances préexistantes qu’il écarte de la décision publique. Opaque et secret, ce conseil est un cas-type de procédure extra-démocratique.

Mme Pénicaud, brève ministre du travail, a œuvré à affaiblir les droits et libertés individuelles et collectives des travailleurs. Néanmoins, Macron la propose à la direction de l’Organisation internationale du travail (OIT). « Mme Pénicaud serait amenée à prendre la tête d’une organisation qui enquête sur la légalité internationale des dispositions qu’elle a promues dans ses précédentes fonctions » écrivent dans une tribune publiée par Le Monde du 10 décembre 2021 un collectif de personnalités. Sont en cause ici et la démocratie du travail et la représentation de la France dans une instance dont elle est cofondatrice.

Les inégalités ont cru plus que jamais, principalement par les effets de la fiscalité. La suppression de l’impôt sur la fortune, remplacé par un impôt sur l’immobilier, n’a pas eu  d’incidence sur elles. La criminalité fiscale ou financière sont traquées par le Trésor ou la Justice mais ces organismes sont sciemment démunis de moyens pour accomplir leur mission. Quant aux inégalités de richesse, elles retrouvent en 2020 les niveaux de 1914. Une des principales causes, selon une note du CAE, la fiscalité de l’héritage, n’est pas remise en cause par le gouvernement.

Le prix de la démocratie

La valeur de la démocratie pourrait s’apprécier par l’évaluation financière des inégalités, au coût des avantages concédés aux entreprises, aux dépenses de groupe de pression (lobbyistes) au niveau de la pauvreté dans la population, aux dépenses par la collectivité en frais de justice pour contester des mesures hâtivement décidées et des textes légaux bâclés dans la précipitation, aux déséquilibres dans la propriété des moyens d’information.

La valeur de la démocratie pourrait aussi s’apprécier dans les décisions de Macron sur la scène internationale. Son goût pour les autocrates est avéré de longue date, ses relations à Poutine, Trump ou Orban le confirment. A quelle conviction démocratique peut-il prétendre alors qu’il les considère comme interlocuteurs ?

Durant sa visite aux trois D (Dubaï, Doha et Djeddah), Macron a entériné la vente d’équipements militaires pour vingt milliards d’euros. Ignore-t-il que ce sont les mêmes qui soutiennent les régimes autoritaires en Egypte, au Soudan, en Syrie, en Tunisie, contre les révolutions et les forces démocratiques ? Vingt milliards, est-ce le prix auquel il abandonne la défense des principes et de la démocratie ? Ce marchandage est-il une évaluation de la démocratie ?

La justice, seul contre-pouvoir

Les ordonnances ainsi que leurs décrets ont été souvent contestés en droit devant la justice administrative, seul recours possible contre les abus du pouvoir politique. Saisi par les organisations de citoyens et les syndicats de salariés, le Conseil d’Etat a souvent qualifié les textes du gouvernement d’illégaux. Ce fut le cas lorsque Macron tenta d’interdire de manifester.

Les conseils de Prud’hommes ont souvent ignoré ou refusé d’appliquer le « barème » Macron d’indemnisation des licenciés. Les tribunaux judiciaires et les Cours d’appel ont confirmé ces décisions. En effet ce barème est injuste, mais il est surtout illégal en ce qu’il contredit une convention internationale de l’OIT que la France a ratifiée.

Les organisations de citoyens ont sans cesse dû saisir, pour rétablir l’effectivité démocratique dont les institutions sont vidées, les tribunaux et les juges pour contester ou faire modifier la loi de sécurité globale, les ordonnances, les excès policiers, les abus de pouvoir des élus, les détournements de fond. C’est ainsi que divers ministres, secrétaires d’Etat, conseillers ont été entendus, mis en examen ou le sont encore, et certains condamnés.

C’est par l’action des citoyens que ceux qui formèrent durant cinq ans (2007-2012) le cœur de l’exécutif tout puissant du régime sont sous contrôle ou sous examen judiciaire. C’est la démonstration des défauts intrinsèques de la Vème République et de la nécessité de changer ce régime par nature autocratique.

Par divers moyens, Macron a œuvré à poursuivre l’affaiblissement démocratique en réduisant les capacités du pouvoir législatif, des corps intermédiaires et de la fonction publique. Il a repris à son compte les méthodes de Ronald Reagan en 1981 contre la démocratie aux Etats-Unis : diminution des impôts des riches, destruction des syndicats. Macron met la France sur la même trajectoire d’une nation inégalitaire, archaïque, antidémocratique et oligarchique.

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