Hier, lundi 20 mars 2017, Magda est partie, elle est morte.
Libérée une seconde fois du monde et des cauchemars qui la poursuivaient, peut-être, depuis l’été 1944. Ce qu’elle racontait avait marqué les enfants qui l’écoutaient.
La petite fille curieuse avait demandé : c’est quoi ?
Elle montrait les chiffres inscrits sur son avant-bras. La mode n’était pas, comme à présent, aux tatouages sans raison, aux dessins et inscriptions sur les corps. Magda était-elle gênée d’avoir laissé voir ces signes apparents ? Indélébile, la marque d’accaparement par la machine infernale s’imposait, imposait un choix, en parler ou se taire.
Raconter aux enfants était sans doute plus facile.
Ils n’imagineraient pas davantage qu’elle ne leur dirait.
Inventer le pire est impossible sans l’avoir connu.
Etait-elle rassurée par cette idée ? Elle racontait.
C’était l’été, nous avions voyagé en train. Quel train ! Arrivé à sa destination finale, finale oui, il s’était arrêté et les portes s’étaient ouvertes. Ma mère et moi étions perdues entre les gens perdus, les soldats qui hurlaient, nous pressaient dans la cohue.
Pourquoi ? demande l’enfant.
Il fallait choisir, se décider, droite ou gauche, deux files, il fallait choisir.
Pourquoi ?
Il était là, à guetter dans le flot des silhouettes épuisées, apeurées. Les chiens, les armes, les coups.
Elle ne demande plus pourquoi.
Les chiens, les coups l’ont rendue silencieuse.
Menguélé.
Il était là, je parle à maman en allemand, je lui tiens la main.
Il s’approche en allemand dit par là c’est l’obscurité, ici la lumière.
Il m’oblige à choisir, la main, maman est loin déjà, entraînée vers la nuit.
Ils m’ont inscrit un numéro. Je n’étais plus qu’un numéro.
Maman est partie vers la nuit, fumée emportée par le vent.
La petite fille s’est tue.
Elle a entendu, plus tard, un borgne brutal déclarer que tout ceci n’était que mensonge et invention. Détail.
Elle n’a pas oublié. Bien sûr.
Elle se dit que lorsqu’il sera à son tour jeté dans la terre, il suffira de dire que lui aussi n’était que mensonge et invention.
Qu’il n’a pas existé.
Effacer l’inscription et détruire sa tombe l’effaceront pour de bon.
Comme il a voulu effacer la maman de Magda et la peine de Magda et ses cauchemars et son chiffre indélébile comme un témoin têtu.
Louis Albert Serrut
in FRACSTOUR Recueil de textes poétiques, p. 34.
Editions de la Rose, 2021.