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Louis Albert SERRUT

Auteur, essayiste. Docteur en sciences de l'Art (Paris 1 Panthéon Sorbonne)

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Billet de blog 9 avril 2024

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Le choix des mots contre les extrêmes droites 2/4

Le texte est riche par l’exigence de précision et long par souci d’être complet. Il balaie des thèmes étroitement intriqués qui ne peuvent, pour la compréhension de l’ensemble, être séparés. Ce sont successivement : 1- L’antisémitisme, historique et moderne 2- La notion de race et l'usage de son terme 3- Les caractéristiques des extrêmes droites 4- Le mot précis pour les nommer

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LE RACISME, IDÉE DE CE QUI N'EST PAS

La race comme catégorie humaine n’existe d’aucune manière, ni biologique, ni génétique, ni juridique, ni philosophique. Le génome des humains est identique à 99,9 %. Le terme de « race » n’est pas une catégorie avérée ni un concept puisqu’il n’est pas démontré ni expliqué par rien.  Les grecs de l’antiquité nommaient « barbares » les habitants des autres cités ; les romains appliquaient le même mot à ceux qui vivaient au-delà des limes ; plus près de nous au XVème siècle, Erasme déplorait que les anglais et les français se détestent du simple fait d’être français ou anglais, et ainsi pour les italiens ou les espagnols. Nulle trace de la race, elle était absente des pensées des hommes, elle n’existait pas pour les humains. La lignée, l’hérédité tenaient lieu d’explication, qui valait avant tout pour les animaux.

Le sociologue péruvien Anibal Quijano écrit « L’idée de race est l’instrument de domination sociale le plus efficace jamais inventé au cours des cinq cents dernières années »[1]. Il confirme là que l’idée de « race » est en effet un artefact, une invention apparue à la fin du 15ème siècle, après l’arrivée de Colomb à Hispaniola en 1492, concomitamment à l’élaboration du capitalisme et l’extension de la domination coloniale européenne. Il confirme aussi que les catégories ne préexistant pas au rapport qui les institue, c’est le rapport à l’autre, au différent, qui a créé ce signifiant. Cette idée est alors appliquée aux déportés africains, confortée par tous les procédés que les théologiens chrétiens ont simultanément déployés pour stigmatiser les juifs d’Espagne (expulsion, conversion forcée, règlement de la pureté du sang…)[2] constituant une matrice ineffaçable qui stigmatisera les esclaves de génération en génération.

Au XIXème siècle, Arthur de Gobineau établit des catégories humaines approximatives selon un schéma de caractérisation, différenciation et hiérarchisation arbitraire. La délimitation de ses pseudo-catégories reste impossible à déterminer et pour cause : aucune barrière physiologique, culturelle ou sexuelle n’empêche les passages et les échanges entre les groupes, sauf à les inventer. Nul besoin de l’exercice intellectuel de la comparaison, le monde cosmopolite nous démontre au quotidien la réalité de l’égalité des hommes et des femmes. La conscience d’être, les compétences humaines sont présentes chez tout individu quel qu’il soit, où qu’il soit, identiquement. Vladimir Jankélévitch le dit aussi : « le vouloir est la grande spécialité universelle de tous les hommes, l’aptitude également départie à tous les agents ; si contradictoire en effet que cela paraisse, le pouvoir-de-vouloir est un privilège universel, et ce privilège appartient à l’homme « en tant qu’ » homme, »[3]

Enfin, « La différence entre la notion de « race », relevant de l’imposture biologisante, et celle qui renvoie au racisme subi par certaines minorités »[4] n’est pas plus pertinente. Le mot ne saurait être faux ici et vrai là. Le mot ne peut couvrir deux champs, le naturalisme ou la biologie d’une part et la qualification sociale, voire identitaire d’autre part, sans échapper à des transferts de significations de l’un à l’autre, qui ne sont pas étanches. Et ce faisant, perdre toute légitimité, s’il avait eu un jour quelque sens.

Cette idée factice de « race » a présidé à la rédaction des lois « raciales » des empires coloniaux européens, aux USA ségrégationnistes, en Allemagne nazie, en Afrique du sud de l’apartheid, etc. Ce sont des lois hors la loi comme l’idée qui les a fait naître et a prévalu à leur promulgation. Cette idée de « race » a permis et justifié les massacres de populations, les génocides, la traite et l’esclavage, puis la ségrégation coloniale, la Shoah, la minoration et la domination.de groupes humains par d’autres. Le mot est à présent employé, de manière utilitariste, selon des critères arbitraires et approximatifs, morphologiques, géographiques, sociaux, culturels ou politiques, à justifier toutes sortes de différenciations et de  discriminations autant que les plus abjectes exactions et parfois des crimes.

Responsabilité

Les qualifications déclinées du terme « race » portent tout autant la responsabilité du crime.

L’argument spécieux qui explique le bien fondé du mot par son recours nécessaire pour ceux qui subissent le « racisme », cet argument ne tient pas. Il n’échappe pas, ni ceux qui l’utilisent sur ce prétexte, à la responsabilité qui lui est attachée. En introduisant des degrés de sens, des nuances d’usage, les déclinaisons en propagent la racine, dégradent sa virulence et multiplient les motifs de son emploi. « Racisme, raciste, racialiste, racisé » sont devenus communs et ce faisant, sous couvert d’une fausse érudition, ils entérinent un terme sans réalité, artifice expressif d’inégalité mais qui prospère néanmoins dans les esprits, devient une notion admise et permise. Ces dérivés sont les agents propagateurs du mot dont ils sont issus, ferment d’inégalité incontrôlable puisque sans réalité, qui peut être justifié par toute sorte d’argument. Ils servent, les dérivés, une hiérarchie imaginaire et mortifère, celle de la supériorité et de son corollaire, l’infériorité. Dans sa prétention victimaire, « racisé » sert lui aussi, par son ambiguïté même, de prétexte à l’emploi du terme « race » dont il confirme de facto la réalité

Quiconque use du mot « race » et ses déclinaisons entérine, donne corps et perpétue, fait exister ce qui n’est pas. C’est une responsabilité dont chacun peut avoir conscience. Quiconque use du mot, indémontrable, accrédite et renforce ce qu’il s’agit de combattre puisque c’est le mot des extrémistes de droite qui argumentent avec lui. Ils s’efforcent de le dissimuler sous des propos sibyllins mais il est présent, en sous-main, en sous-sol, destiné aux « initiés ». Ce n’est pas en reprenant le mot de l’extrême droite qu’elle sera combattue, ni qu’il sortira des esprits.

Pourquoi faut-il s’astreindre à bannir le mot de nos textes et nos paroles ? Tout comme acheter une arme à feu vaut acceptation implicite de devenir assassin, user du mot nous fait complice de mensonge, d’effacement, de meurtre. L’exercice sera donc salutaire pour qui l’aurait employé (par ignorance, par mégarde ou inattention) et aussi pour son destinataire ainsi épargné. Car il a fait école, en dépit des guillemets que certains lui accrochent pour l’isoler. Il apparaît dans les motifs de discriminations et leurs exclusions (nul ne peut être inquiété en raison de …), au même titre que le genre, la confession, l’opinion. L’utiliser, c’est attribuer indûment une valeur égale à ce qui n’est pas qu’à ce qui est.

 Le mot apparaît sous la plume de philosophes ou de sociologues qui le placent dans un rapport, rapport de classe, de « race », de genre[5], échappé sans doute à l’attention, ou par habitude, qui survient à l’improviste, tel un impensé remontant à la surface depuis un fond inavoué, irréductible, un mal inconscient, un malgré soi, car le mot n’est pas léger, alourdi de son origine et de son passé. Plus préoccupant pour l’éthique et le droit, le mot apparaît dans les prétoires et dans la loi, qui définit une caractérisation « raciste » de certains actes et violences.

User du mot, c’est reprendre les errements des théories absurdes autant qu’infondées qui en alliant deux tropismes, l’antisémitisme et le racialisme[6] déshonorent la pensée humaine. Cette conjonction à présent inavouée des extrêmes droites fournit au vieux fond antisémite des formules qui perdurent encore au XXIème siècle[7]. User du mot, c’est accorder sens et raison à ce qui n’a ni l’un ni l’autre. C’est aussi fournir des arguments et des références à ceux qui professent la différence, la hiérarchie pour nourrir la haine et la justifier.   

Ce mot « race » ainsi que ses dérivés sont des termes vagues, imprécis qui veulent signifier plus qu’ils ne peuvent. Englobants, généraux, incertains, ils sont faux et ils sont obscurs car ils portent une intention dissimulée. Remplacer le mot par des termes précis, groupe ou population, est bénéfique à la compréhension et la précision des expressions et des idées latentes. Le remplacement fait gagner en clarté et en conséquence atténue la charge négative d’origine. Les substituts au dérivé, « racisme », sont nombreux et bien plus pertinents : ostracisme, discrimination, ségrégation, stigmatisation, xénophobie, dénigrement, minoration, sélection, invisibilisation. Ils définissent chacun précisément le tort porté à sa ou ses victimes et les voies pour le réparer.

[1] Philippe Colin, Lissel Quiroz. Pensées décoloniales. Editions La Découverte, 2023, p. 148.

[2] Jean-Frédéric Schaub et Silvia Sebastiani. Race et histoire dans les sociétés occidentales. Albin Michel. 2021.

[3] Vladimir Jankélévitch. Traité des vertus I. Le sérieux de l’intention. Flammarion. 1983,. Champs essais, p.185. C’est Jankélévitch qui souligne l’oxymore « privilège universel ».

[4] Frédéric Regard et Anne Tomiche. Déconstructions Queer. Hermann. 2023, p. 21.

[5] Ibid. p. 40. Nous soulignons le mot « race ».

[6] Arthur de Gobineau, Essai sur l’inégalité des races humaines. 1853 ; Wilhelm Marr, Le miroir des juifs. 1863 ; Eugen Dühring, La question juive en tant que question raciale, morale et culturelle. 1881 ; Edouard Drumont, La France juive. 1886. La dernière bataille. 1890 : « La race juive ne peut vivre dans aucune société organisée, c’est une race de nomades et de Bédouins » ; Theodor Fritsch, Catéchisme antisémite. 1893 ; Houston Stewart Chamberlain, Les fondements du XIXème siècle. 1899 ; Maurice Bedel, Bengali. 1937 : « le président du Conseil [Léon Blum] venu d’une race errante camper en Ile de France par un hasard qui l’eût aussi bien mené à New York ». Les thèmes antisémites ont infusé durablement dans les sociétés, les deux derniers auteurs ont été reconnus par les nazis comme des inspirateurs et des maîtres à penser.

[7] Nonna Mayer. Les préjugés antisémites remontent légèrement à l’extrême gauche. Le Monde, 11, 12, 13 novembre 2023, p.10. Les actes « de l’antisémitisme ordinaire : des tags, des graffitis, de insultes, des provocations… ».

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