Les débats, tribunes, analyses ou travaux qui s’efforcent de faire l’autopsie de la démocratie sous la Vème République ne cessent d’alimenter les colonnes des journaux ou les ondes radios. Faut-il lister les inquiétudes pour les services publics, l’enseignement, la santé, la protection sociale, les inégalités, les salaires, avec le refus de la contre-réforme des retraites comme foyer de l’incendie et le changement climatique comme incertitude porteuse d’angoisse ?
Incompréhension et fausses pistes
Les politistes et techniciens de la démocratie s’efforcent de comprendre l’écart entre les institutions, décriées, le régime politique de la représentation, qui ne satisfait plus les citoyens, et les attentes de ceux-ci, insatisfaites. Certains commentateurs avouent ne pas comprendre une perte de sens civique, d’autres avancent, comme possibilités de renouer avec la démocratie, des conventions citoyennes, grands débats et autres budgets participatifs. Ces inventions de circonstance ne sont que des palliatifs sans avenir. Ils ne répondent à aucune des demandes exprimées par les citoyens, répétées dans les manifestations de tous ordres, des bonnets rouges aux gilets jaunes, des organisations syndicales aux collectifs écologistes. Pourquoi, à aucune de leurs demandes d’être entendus, écoutés, respectés ne répond jamais une proposition sérieuse et constructive ? Pourquoi une participation effective des citoyens aux décisions qui les concernent ne se dessine-t-elle, à chaque échelon de l’action politique ?
Ne serait-ce pas que les signes sont mécompris ? Les mouvements de protestation ou de désobéissance, considérés comme anti-civiques ou illégaux, seraient les symptômes d’une déliquescence de la démocratie, alors même que ces rassemblements de citoyens sont en-quête de davantage de démocratie, qu’ils sont l’expression d’une exigence de démocratie effective et véritable dont ils sont le fondement, autant que l’avant-garde, les prémisses. Ne serait-ce pas plutôt, parce que la critique du régime et la conduite politique sont refusés par un pouvoir oligarchique à ceux qui détiennent la souveraineté, les citoyens, que ceux-là essaient en nombre, encore et encore, de forcer la voix ? C’est assurément contre un pouvoir sourd à la majorité des citoyens, qui use de stratagèmes parlementaires et de la force pour s’imposer, que cette majorité méprisée s’efforce de se faire entendre.
La cause cachée
Mais les analystes et commentateurs passent sous silence - tabou ou impensé ? – la nature du régime qui nous gouverne, le capitalisme, le tenant à l’écart de toute enquête. Car c’est bien là qu’est la cause et la source de tous ces maux, de cet ordre imposé sans débat, l’ordre capitaliste qui produit l’inégalité et détruit la démocratie. Celui-ci impose à celle-là ses orientations, ses règles, son organisation qui ont pour objectifs de satisfaire la captation générale et l’accumulation par quelques-uns. Jamais nommé, jamais tenu pour responsable, l’ordre capitaliste dicte au politique complaisant ses exigences, il enferme les individus dans une servitude, celle du salaire, au titre du pouvoir, non consenti, de l’argent, il oriente leurs choix et leurs pensées, il les surveille et les contrôle sans mandat légitime.
C’est sur cet ordre illégitime que les mouvements et collectifs enquêtent. Jour après jour, ils découvrent la véritable nature de ce courant de pensée, son principe et son mode d’agir : il recrute par cooptation, prône la liberté totale sans responsabilité jamais, asservit et contraint ou corrompt pour décider des lois qui le servent. Mouvements et collectifs en résistance révèlent jour après jour les turpitudes, les compromissions et les dangers du capitalisme sans régulation ni contrôle. Forts des enseignements de la raison, les mouvements et collectifs exigent la soumission du capital à l’ordre public et à l’intérêt général.
Vers une démocratie accomplie
Le progrès démocratique ne peut advenir de succédanés de citoyenneté, des fausses solutions énoncées plus haut, restreintes dans le temps et l’espace à des expérimentations voulues par le prince-élu. La pleine démocratie ne peut advenir en soumettant les citoyens à un ordre qu’ils n’ont pas décidé ni approuvé, le capitalisme, qui s’impose et prend. La démocratie accomplie ne peut advenir qu’en restituant aux individus, dans tous les moments de leur existence, leur pleine citoyenneté : dans leur vie politique, professionnelle et sociale. Il faut pour cela bannir l’ordre capitaliste de tous les lieux de décision démocratique, lui retirer le pouvoir que le droit et le politique ont concédé, sans débat, à la détention de richesse monétaire, symbolique ou culturelle. Il est impératif de changer la nature de la relation entre argent et pouvoir, richesse et domination, par le refus de cette paire illégitime car non raisonnée ni juste.
8 mai 2023