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Louis Albert SERRUT

Auteur, essayiste. Docteur en sciences de l'Art (Paris 1 Panthéon Sorbonne)

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Billet de blog 10 octobre 2024

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Un an après le 7 octobre 2023, quel après ?

L’attaque, le 7 octobre 2023, de civils israéliens par des palestiniens armés demeure un événement difficile à caractériser. Nous l’avons écrit (voir le site de la revue Multitudes). Que penser un an après du temps écoulé et de l’après qui vient ?

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De ce jour tragique

L’attaque par les palestiniens du Hamas et d’autres groupes djihadistes était antisémite, ils ont assassiné des juifs, enfants, femmes, hommes, vieux, jeunes, en majorité des civils, parce que juifs. Et capturé des centaines emmenés comme otages. Les commanditaires de l‘agression visaient davantage encore.

Il apparaît bien à présent que l’attaque, provocation qui n’envisageait pas d’après, escomptait la réplique de l’Etat d’Israël, elle la prévoyait jusqu’à l’inclure dans son déroulement, la suscitait, la sollicitait en prenant à témoin, via les réseaux numériques, les individus et les gouvernants sur tous les continents.

La réactivation brutale le 7 octobre 2023 du conflit entre Palestiniens et Israël, jamais résolu depuis près d’un siècle, a mis au jour les stratégies secrètes et souterraines des parties et mis en évidence les alliances dans lesquelles elles s’inscrivent. Elle a aussi dévoilé des similarités entre les parties belligérantes.

Des similarités

L’unicité de l’événement, son irrépétibilité et sa cruauté ont déclenché une vaste et longue réponse militaire de l’Etat d’Israël - une guerre - sur tout le territoire de la bande de Gaza qui se poursuit depuis un an sans perspective quant à sa fin ni son après. La durée et l’ampleur des opérations conduites par l’armée d’Israël contre les combattants du Hamas et autres djihadistes sont le double inversé de l’agression, brève et localement limitée.  

Le gouvernement israélien a changé la doctrine qui prévalait jusqu’alors de prioriser la libération des otages, quelle qu’en soit la contrepartie. En rupture avec cette tradition et contre une large partie de la population israélienne, l’exécutif a choisi, après un premier échange prisonniers contre otages, de ne plus négocier ou de refuser tout accord pouvant conduire à une libération d’otages subordonnée à l’arrêt des combats. Cependant, la poursuite des affrontements dans la bande de Gaza confirme encore, en dépit de l’asymétrie des armes, la présence des combattants du Hamas et des autres groupes djihadistes. L’assassinat d’otages par le Hamas, cynique réponse, est-il un changement de sa doctrine ou ne sont-ils plus considérés comme protection ni moyen d’échange ?

Les populations des deux parties sont tout à la fois les victimes et les complices ambigus de leurs drames. Les gazaouis ont accepté le Hamas pour gouvernement, dont la volonté déclarée est la destruction d’Israël. Ils l’ont laissé étendre son emprise sur Gaza, recruter et équiper une armée, installer des arsenaux, un réseau de lance-roquettes et de tunnels qui ne pouvaient s’ignorer et imposer la menace permanente de la guerre. Les israéliens ont porté au gouvernement les forces qui, par leur discours extrémiste, avaient conduit à l‘assassinat du leader de l’opposition favorable au dialogue israélo-palestinen. Les partis politiques et religieux de ce gouvernement ont pour projet d’étendre l’autorité d’Israël aux territoires voisins où sont installées les populations palestiniennes. L’adoption en juillet 2008 de la Loi fondamentale de l’Etat d’Israël a acté unilatéralement la légalité de la colonisation, hors du droit international. Elle ignore la population qu’elle expulse.

La militarisation du conflit et son élargissement, de Gaza à la Cisjordanie, puis au Liban, résulte d’un effet double miroir, menaces / répliques, attaques / ripostes qui entraîne toujours à chaque fois une plus forte intensité, dans une escalade sans fin. Elle se fait au détriment des populations civiles, terrorisées, déplacées, massacrées. En combattant parmi les populations civiles, les belligérants outrepassent chacun toute règle d’humanité, abdiquent toute dignité d’eux-mêmes en la déniant à l’autre, civil ou militaire, otage, enfant, femme, homme indistinctement. La loi première qui fait de chaque vie un bien précieux, sacré, inviolable, cette règle universelle ne vaut plus désormais pour aucun des belligérants, si elle n’a jamais été respectée. Emmanuel Lévinas la rappelle au chapitre « Volonté et raison » de Totalité et infini, dans sa sèche brièveté : « Tu ne commettras pas de meurtre ».

La force ne se contraint pas, elle s’étend et se nourrit de ses excès ici et là, dans tous les camps. La guerre mène à la guerre, à rien d’autre, elle est destruction totale, matérielle et morale, mais ne résout rien, jamais. Les morts ne se plaignent pas, les survivants des deux camps appellent à la vengeance dans un cercle infini. La convention qui voulait contenir les guerres dans un cadre, la sauvegarde des civils, des blessés, des prisonniers, des hôpitaux, n’a plus cours, l’assassinat prévaut, ciblé ou de masse, sans distinction. Les modes d’action terroristes sont devenus la norme pour tous et les vies supprimées la mesure ordinaire.

Une dialectique bloquée

Les forces qui s’opposent sont les deux termes d’une dialectique mortifère stratifiée au fil des générations perdues. Elles conduisent, par épuisement de toute perspective, à leur propre aporie. Chacune des parties est l’antithèse de l’autre, antithèse non pas donnée et intangible mais le produit d’une construction sans cesse renouvelée et réitérée. Chacun des belligérants est la négation de l’autre dont il veut la disparition. Chacun veut instaurer l’imperium, le pouvoir, en son nom et pour son usage, sur l’espace dont il exclut l’autre. Chacun justifie son refus de l’autre par des arguments historico-religieux hérités de deux absolus décrétés antinomiques, qui échappent à la rationalité mais fondent réciproquement la légitimité de l’autre.

Chaque partie refuse l’autre car chacune a besoin, pour persévérer dans son existence et son combat, de l’autre en ennemi. L’ennemi est celui qui établit en retour pour chaque groupe sa propre nécessité. C’est le recours à la dernière strate des consciences, la mystique, avant l’aveu d’impuissance. Le cynisme, puis la haine s’y substituent alors. La haine n’exige pas d’autre motif qu’elle-même, elle est autonome, elle crée sa propre dynamique. Ainsi armé de sa haine, chacun refuse à l’autre de cohabiter dans un monde commun où chaque société a(urait) ses propres lois.

Absence d’après

En attisant les haines réciproques par excès de barbarie, l’attaque du 7 octobre 2023 a clos toute possibilité de tentative de conciliation ou de compromis. Elle visait à exacerber les positions, à les rendre définitivement inconciliables, et pousser à une extrême et irréductible confrontation. A interdire tout avenir.

La responsabilité pose à chacun comme obligation le souci de l’autre, d’envisager les conséquences de ses actes sur l’existence individuelle d’autrui, mais aussi sur l’ensemble de la société humaine. D’accepter comme tels les torts consécutifs à ses actes, de reconnaître en être l’auteur et supporter leur réparation lorsqu’elle est encore possible. L’impossible réparation, ainsi en cas de meurtre, n’exonère pas de la responsabilité, elle la perpétue.

La paix ne peut s’identifier à la fin des combats faute de combattants ou par la défaite des uns et la victoire des autres, c’est-à-dire avec les cimetières ou des empires dominants. Vers la paix perpétuelle, selon Kant, exige des préliminaires et des actes définitifs qui tous imposent la confiance mutuelle pour sa construction. Car la paix est un effort de construction.

L’issue à ce refus mutuel ne peut advenir sans un moyen terme, une médiation, une acceptation, une volonté. Elle ne peut s’envisager sans que soit écarté tout référent absolu, mystique ou religieux, auquel se substituera la raison ; sans que soit retiré tout pouvoir aux extrémistes ; sans que soient, dans un effort à vertu sotériologique, honorés tous les disparus pour apurer les comptes mortuaires et épuiser le cycle de la vengeance ; sans que soit abandonnée toute idée d’ostracisme ; sans que la volonté de vivre en commun ne soit retrouvée, et glorifiée.

Paris, 4 octobre 2024

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