Arendt donnait ainsi une forme à ce mode de gouvernement auquel elle a consacré par ailleurs un travail important. « La pyramide en effet convient particulièrement à une structure gouvernementale dont la source d’autorité réside en dehors d’elle-même, mais dont le centre de pouvoir est situé au sommet, d’où l’autorité et le pouvoir sont filtrés jusqu’à la base, de sorte que chaque couche successive possède un peu d’autorité, mais toujours moins que la couche supérieure. Grâce à ce soigneux processus de filtrage, toutes les couches du haut jusqu’en bas, outre qu’elles sont fermement intégrées à l’ensemble, sont reliées comme des rayons convergents dont le point focal est le sommet de la pyramide, ainsi que la source transcendante d’autorité. » Cette « image », comme elle la nomme, est tout à la fois la représentation du pouvoir qu’exerce Macron et sa clé de compréhension.
L’exercice du pouvoir par Macron est bien celui, autoritaire, d’un chef de parti et “en même temps” plus haut magistrat, au sommet de la pyramide des pouvoirs. Omnipotent et omniscient, il décide de tout, pour tous, et ne souffre aucune contestation ou opposition. Dans toutes les couches, tous sollicitent son approbation ou redoutent son refus. Son autoritarisme s’entend non seulement comme celui d’un chef de parti mais aussi en tant que dépositaire de toutes les autorités civiles et militaires de l’Etat, il n’est pas une nomination qui ne lui soit soumise. Cette prééminence est en quelque sorte vulgarisée par ses partisans de tous niveaux, ministres ou militants, qui ne réfèrent pas au chef de leur parti mais toujours au président de la République, confirmant ainsi la confusion qu’entretient Macron entre ses deux fonctions.
La source d’autorité de ce pouvoir au sommet réside bien en dehors de la structure de gouvernement qui n’est plus l’expression des citoyens mais celle d’une autre force extérieure, impérieuse, plus ou moins dissimulée et opaque dont l’influence non démocratique fixe le cadre dans lequel la politique peut fonctionner. Il n’est plus de mystère que l’autorité suprême de Macron réside en fait dans le capital qui l’a intronisé, via les mentors qu’il visita avant de candidater la première fois en 2017. Le capital dont il a reçu, dès le lendemain des législatives où il a été mis en échec, la quarantaine de patrons des plus grands groupes internationaux. Le capital qui par la voix de Patrick Martin, le président du patronat français, lui dictait son impératif : la poursuite de sa politique en faveur du capital.
La pyramide de l’autoritarisme rejette tous les corps étrangers nocifs à son bon fonctionnement. Ainsi des partis d’opposition, soumis à une discrimination profondément anti démocratique, leur rejet de « l’arc républicain » inventé et défini arbitrairement pour la circonstance par le pouvoir suprême comme moyen de refus de toute pensée autre que la sienne, la pensée de l’économie néolibérale. Des millions de citoyens voient là leur citoyenneté reniée et leur liberté de penser déniée. Ainsi des corps intermédiaires, dénigrés, dépouillés de leurs attributs et de leurs capacités d’agir, rejetés de la société civile. Corps étrangers indociles à éliminer, nous pensons à la LDH attaquée, à Anticor interdit, aux Soulèvements de la terre contestés, au syndicalisme criminalisé. Et aussi à tous les contestants, manifestants, protestataires, opposants, militants dont les voix sont censurées, interdites, bâillonnées. Autant de multitudes privées de l’exercice de leur parole civique.
Il y eut des précédents à l’autoritarisme d’un seul, depuis des siècles, et d’autres depuis la création de la Vème République dont les institutions antidémocratiques sont propices à la main mise d’un seul. Mais Macron, en repoussant le résultat des votes, comme il a refusé le retrait de la réforme des retraites, l’arrêt de la destruction du système de santé, ceux de l’éducation, de sécurité sociale, des lois immigration et sécurité globale, de sa politique inégalitaire au profit des nantis, repousse les règles institutionnelles dans leurs limites, il les outrepasse même au mépris de la démocratie.
Car le pouvoir au sommet procède de lui seul, il ignore délibérément le principe démocratique qui lui serait une entrave. Dans sa logique autoritaire, Macron étend toujours plus ses prérogatives au-delà des limites institutionnelles. Celles-ci lui affectent la désignation du premier ministre. L’esprit démocratique attribue la fonction à la première force politique élue, eu égard à l’expression des citoyens. Négligeant ce résultat et ignorant son devoir de garant des institutions et de leur fonctionnement, « au nom même de leur stabilité » déclare-t-il, Macron choisit le premier ministre au sein du parti le moins bien élu et le moins représentatif, mais le plus à même de continuer sa politique. En bousculant la règle, il fragilise la procédure du vote et outrage les électeurs, mais plus gravement, il rend soudain caduc le principe fondant le régime démocratique de la République, le respect du résultat de l’élection. Copiant Trump ou Poutine, Erdogan, Xi-Jinping et bien d’autres gouvernants autoritaires, Macron choisit de détruire la République plutôt qu’accepter son échec.
La pyramide semble solide et inébranlable. Pourtant, les multitudes de citoyens qui rejettent son emprise sur la nation, sur l’Etat, sur la démocratie, sur la vie, ces multitudes-là vont ébranler sa base, saper son assise, déliter sa cohésion, arrêter ses destructions et annihiler ses intentions par leur seule volonté rassemblée, qui est immense et incomparablement puissante.