Le pôle éco de la CGT a commenté, dans une note du 3 juin 2021, le « Focus » sur les salaires publié par l'Insee le 9 avril 2021. Le résumé de l’Insee-focus commence ainsi : « Entre 1996 et 2018, le salaire net moyen en équivalent temps plein des salariés du secteur privé a augmenté de 13,1 %, en euros constants, soit 0,6 % par an en moyenne. » Il s’agit bien d’observer l’évolution des salaires nets moyens sur période longue, hors très hauts salaires qui ne sont pas pris en compte. Ceci n’est pas sans intérêt. Pourtant le titre du résumé de l’Insee est ainsi libellé : « Le pouvoir d’achat du salaire net dans le secteur privé a progressé de 13,1 % entre 1996 et 2018 ».
Subrepticement, l’étude du « salaire » est présentée comme celle du « pouvoir d’achat ».
Chacun a appris à faire la différence entre son revenu et ce qu’il permet, ces deux notions ne sont pas comparables ni substituables. En effet, la note de la CGT, faisant référence à une étude du syndicat CGT-Insee, indique qu’« en tenant compte de l'évolution du coût de la vie, mieux que ne le fait l'indice des prix à la consommation (IPC), le niveau de vie du salaire net moyen a baissé de 9% entre 1996 et 2018. Quand la réalité du niveau de vie, ou pouvoir d’achat, a baissé de 9% selon la CGT, l’Insee annonce faussement une augmentation de 13,1%. Cela représente un écart réel de 22 points en moins (13,1+9) de ce qu'indique « l'Insee-Focus. »
La substitution du salaire par le pouvoir d’achat, erreur grossière, interroge sur son origine, elle laisse suspecter un objectif. Orienter l’information ? Satisfaire une autorité ?
Une tribune publiée dans Le Monde daté des dimanche 20-lundi 21 février 2022, intitulée « Un boom de l'emploi, vraiment ? », signée par Florence Jany-Catrice, professeure d'économie, semble relever le même schéma de désinformation publique.
L’auteure y analyse les chiffres de création d'emplois (650 000 en 2021 et 107 000 au dernier trimestre 2021) publiés dans une « Estimation-flash » de l'Insee. Il s’agit des emplois occupés par des personnes ayant travaillé au moins une heure rémunérée. En raisonnant, manière classique en statistiques pour tenir compte des durées très variables du temps de travail, en équivalents temps plein (ETP), ce qui n’est pas fait dans cette annonce par l’Insee de création d’emplois, elle obtient la réalité des emplois créés : entre 3057 et 18 500 ETP, bien loin des nombres annoncés. La prise en compte des durées d’emploi change les résultats. En effet, deux tiers des emplois créés sont d’intérim d’une durée moyenne de deux semaines, selon la direction des études du ministère du travail (DARES).
Le fait que l’Insee ne communique pas sur les durées de travail « pose problème » selon l’auteure qui, à quelques mois de l’élection présidentielle, s'« interroge sur l'indépendance dont l'Institut se réclame ». Madame Jany-Catrice, insiste : « Tenir compte de la qualité des emplois créés [ce que n'a pas fait l'Insee] et de leur soutenabilité est un défi pour la démocratie, et donc aussi pour la statistique publique. »
Dans les deux cas, "augmentation du pouvoir d'achat" et "création d'emplois", l'information biaisée a été abondamment reprise par le gouvernement pour sa propagande, et par les médias qui l’ont répétée.
Dans les deux cas, l'Insee a fourni au gouvernement, et aux citoyens, des données non exactes par défaut de rigueur méthodologique. Faut-il alors s’interroger sur l’indépendance de l’Institut ? Ces deux cas révèlent aussi que la scientificité des données produites par l’Institut n’est pas, ou plus, aussi certaine qu’elle pouvait l’être lorsque son directeur général était en position de récipiendaire du prix Nobel.
Son directeur général actuel, Jean-Luc Tavernier, ne fait-il pas montre d’une grande disponibilité aux attentes du gouvernement ? Il se flattait d’avoir été, lors du confinement durant l’épidémie de covid 19, félicité par le ministre de l’économie pour sa réactivité. Sa complaisance avec la presse économique patronale (un long entretien lui a été accordé en 2021 dans Les Echos, photo à l’appui) a fait douter à nouveau de l'indépendance de l'institution.
Ancien directeur de cabinet d’Éric Woerth, le ministre de Sarkozy au Budget de 2007 à 2010, le directeur général de l’Insee, nommé en 2012, n’a-t-il pas fait un mandat inhabituellement long, un trop long mandat ?
Cette reproduction des faits confirme la réalité du déni démocratique accompli et répété.