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Louis Albert SERRUT

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Billet de blog 23 janvier 2025

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Le dialogue social biaisé

Constamment malmené depuis des décennies, selon toutes sortes de procédés, par le patronat et les gouvernements dévoués au capital, le dialogue social a été réduit à peau de chagrin, quelques annonces qui se heurtent aux démonstrations de sa vacuité. Mais habillent encore des manipulations dissimulant les intentions véritables de domination et d’exploitation.

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Le dialogue social s’entend ordinairement comme les relations entre employeurs et salariés, ceux-ci représentés par des syndicats réunis en confédérations. Ces deux parties au dialogue, abusivement nommées « partenaires sociaux », ont des relations par nature antagonistes. En effet le mot dialogue, qui suppose une égalité des parties discutantes, est inapproprié puisque la loi confère aux employeurs une position de domination : le lien de subordination qui soumet le salarié à l’employeur est le premier biais à ce dialogue improbable.

Les « ordonnances macron » de septembre 2017 ont réduit fortement les capacités d’agir des organisations syndicales de salariés. Les conditions pour les élus syndicaux de représenter les salariés ont été rendues plus difficiles ; les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, utiles à dénoncer les souffrances, maltraitances et insécurités - le procès des cadres dirigeants de France télécom l’a démontré - ont été supprimés. Le dialogue est devenu impossible.

Pour la consultation des salariés à la gouvernance des entreprises, le comité d’entreprise (CE) a été remplacé par le comité social et économique (CSE). Ce dernier ne traite que ce que le dirigeant d’entreprise, qui a la main sur l’instance, accepte des demandes des élus syndicaux. Ceux-ci passent désormais plus de temps avec les dirigeants de l’entreprise qu’avec les salariés qui les ont élus et mandatés. Le dialogue, encore un peu plus biaisé, est détourné.  

Les lois censées améliorer la condition des salariés, qui ont toutes inclus le terme « emploi » dans leur intitulé, n’ont cessé de la dégrader : TEPA (Sarkozy), loi Travail, CICE (Hollande), ordonnances, loi PACTE, loi pour le plein emploi (Macron). Leur adoption n’a pas été le résultat d’un dialogue mais le fait autoritaire des gouvernements, contre l’avis de la majorité des concernés. Les ordonnances, illustratives de la méthode Macron, ont quant à elles esquivé le débat parlementaire. Et la loi PACTE a renversé la hiérarchie des normes, donnant la priorité à l’accord d’entreprise sur la convention collective nationale, à la condition d’être signé par un syndicat, fut-il minoritaire. Elle a de plus introduit la rupture conventionnelle collective qui permet à l’employeur de licencier les salariés en nombre sans autre justification que celle qu’il se donne. Le dialogue social autant que le principe démocratique sont ici mis au rebut.

Quant à la réforme des retraites, massivement rejetée par une majorité des citoyens, elle a été adoptée par recours aux articles 44.1, 47, 40 et 49.3 de la constitution. Au dialogue social a été substituée une mascarade parlementaire.

Après cet épisode calamiteux, la réforme de l’assurance chômage a été soumise aux « partenaires sociaux » pour donner l’impression de renouer avec et respecter les formes du dialogue social. Mais avec un cadre de discussions et un objectif imposés, le dialogue est devenu pantomime.

Un autre procédé sape le dialogue social, la désunion. Ce qui paraît comme le « front social du capital » a acté le 17 décembre 2024 la duplicité de certains des « partenaires sociaux ». Le Medef, la CPME, l’U2P côté patronat, la CFDT, FO, la CFTC et CFE-CGC côté syndicats de salariés ont signé un communiqué «à l’attention de nos élus et responsables politiques». L’association syndicats-patronat est une union contre nature, qui allie les dominés à leurs dominants, les exploités au capital pour la cause de ce dernier. Le dialogue social est trahi.

Cette alliance n’est pas une nouveauté. La CFDT, toujours prête à signer, est utile au patronat. Et son précédent secrétaire général était coutumier des lettres et tribunes cosignées avec le président du Medef. « Au nom de la "protection" du dialogue social si cher à la CFDT… Macron servant de repoussoir pour mieux justifier la mise en place d'un "dialogue social" patronné par le MEDEF... et Laurent Berger », écrivait déjà le Front syndical de classe en 2018. Quel dialogue quand s’entend la voix d’un seul ? Bien plutôt un monologue, celui du capital.

Seule la CGT n’a pas signé «ce texte pose problème car il fait reposer sur l’instabilité politique la responsabilité de la crise économique et des licenciements… Le texte occulte le fait que la stabilité politique passe par la réponse aux exigences sociales.» Hors du compromis social, elle s’honore de son autonomie.

Dans la République française, une, indivisible, démocratique, laïque et sociale, le recours au dialogue social relève bien plutôt désormais d’un abus de langage. Il faut cesser d’être dupes de ce mensonge qui trahit son objet.

6 janvier 2025.

(Publié par L'Humanité le 23 janvier dans une version écourtée.)

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