Les entreprises, groupes et multinationales opèrent des activités marchandes avec l’objectif premier d’augmenter leurs profits. Cela passe par l’accroissement de leurs pouvoirs, économiques et extra économiques, par tous moyens nécessaires. Ainsi de l’influence, du lobbying, de l’entente, de la désinformation ou du dénigrement, des pressions et de la collusion. Les limites floues des unes aux autres sont aisément franchies, l’accoutumance et l’habitude font passer de la complaisance bienveillante, dans un enchaînement insensible, jusqu’à la corruption. Quelques affaires font l’actualité, d’autres plus anciennes, toutes posent la question de la qualification de ces pratiques et de leur tolérance par les responsables politiques.
Le président du conglomérat LVMH, intime du couple présidentiel, s’est fait vertueux donneur de leçon au gouvernement quand celui-ci envisagea d’augmenter le taux d’imposition des bénéfices des grandes entreprises, dont les siennes. Est-il bien placé pour ce rôle ? Rappelons pour mémoire que ses promesses de maintien des entreprises et des emplois lors de sa reprise du groupe Boussac furent vite oubliées. La longue bataille juridique qu’il dut mener ensuite pour obtenir le contrôle de Vuitton ne convainquit pas de son bien-fondé. Pour implanter le bâtiment de la fondation Vuitton, il obtint le déclassement de la voie sur laquelle il se construisait déjà, en toute illégalité, voie déclassée du reste du Bois de Boulogne pourtant entièrement inconstructible. Il l’obtint par un vote d’urgence en séance express, de nuit, de l’Assemblée nationale convoquée spécialement. Il put acheter Tiffany & Co à New York à bon prix grâce à une lettre d’un ministre du gouvernement français, document au statut douteux de fausse-vraie lettre d’interdiction. Et pour sa tentative de prise de contrôle d’Hermès, il n’hésita pas à enfreindre les règles des marchés, ce qui lui valut une amende conséquente d’environ quatre cent millions d’euros. Il ressort de ces péripéties un doute sur la manière dont les unes et les autres furent conduites, les conditions juridiques et les soutiens politiques qui les permirent.
La manière dont le groupe Nestlé Waters a opéré, en infraction des règlements sanitaires, est tout autant inquiétante. La presse puis une commission d’enquête parlementaire ont révélé la stratégie de l’entreprise pour s’exonérer de toute responsabilité, s’éviter d’être sanctionnée et interdite d’exploiter les sources qui lui sont concédées. Elle a circonvenu les autorités de santé, les politiques ont accompagné la fraude au plus haut niveau de l’Etat. Les dénégations des uns et des autres - le chef de l’Etat lui-même s’est senti obligé d’intervenir - ont renforcé la suspicion de connivence. La réalité des faits, enfin connue, établit la compromission, la collusion, la complicité des cabinets ministériels et de l’Elysée et leur soumission aux seuls intérêts du groupe Nestlé.
Reviennent alors à l’esprit les ententes repérées et condamnées, celle des constructeurs automobiles pour falsifier les mesures de pollution ; celle des prix convenus entre les constructeurs de poids lourds ; des industries chimiques qui influencent et modifient les données scientifiques pour tromper le public et les politiques ; des marchés dévoyés, comme récemment sur l’attribution de la gestion de l’eau en Ile de France ; des réserves d’eau (les bassines), déclarées illégales par des tribunaux mais qui continuent à fonctionner sans entrave, et d’autres moins connues.
Reviennent enfin les confusions entre service public et intérêt privé du secrétaire général de l’Elysée d’alors, Alexis Kohler, dans plusieurs affaires. Celle de l’armateur italien MSC avec lequel il a des liens familiaux ; celle du port du Havre ; celle à présent des sources du groupe Nestlé Waters. Convoqué par des commissions d’enquête parlementaire successives, il a refusé à chaque fois d’y répondre. Avec l’assentiment du président de la République qui contestait le bien-fondé de ces auditions.
Ce dernier, Macron, n’est pas en reste. Ministre de l’économie, il a servi les intérêts du groupe Uber. Président, il a poursuivi dans cette voie qui s’accommode d’ignorer l’éthique de sa charge. Il a ainsi nommé président du Conseil constitutionnel Richard Ferrand, pourtant compromis dans l’affaire des mutuelles de Bretagne et sauvé par la prescription. Il a nommé ministre de la Justice Dupont Moretti. Rapidement déclaré coupable, sans condamnation, par la Cour de justice de la République, Macron le confirma néanmoins sans réserve à son ministère. Tout comme la ministre de la Culture, nommée en dépit de sa mise en cause par la Justice dans une affaire d’extorsion. Quand le Premier ministre, suspect de complaisance pour les établissements religieux accusés de violences sur les enfants, s’enfonce dans les mensonges et leur dénégation, Macron reste silencieux. Quand le même Premier ministre se dit troublé par la condamnation pour fraude des élus du RN, Macron lui n’est pas troublé quand le chef du gouvernement de la République conteste une décision de justice.
Macron a protesté que Sarkozy soit déchu de la Légion d’Honneur. Que l’ancien président multi condamné, notamment pour avoir organisé un pacte de corruption, soit soutenu par l’actuel met en évidence le peu de sens du droit de Macron. Lorsque ce dernier déclare « c’est une honte » à propos des massacres de population civile à Gaza, il feint d’ignorer que la France vend des équipements militaires pour y être utilisés ; que l’avion emmenant le chef du gouvernement d’Israël aux USA a été autorisé à survoler le territoire français quand bien même il est sous le coup d’un mandat d’arrêt de la cour pénale internationale, à laquelle la France adhère.
Sans honte aucune, Macron se contredit puisqu’il a fait modifier la loi qui permet à présent de condamner au pénal quiconque, les syndicalistes en particulier, qui soutiennent la population palestinienne contre le gouvernement génocidaire d’Israël. Les convocations de responsables syndicaux pour « apologie de terrorisme » marquent bien l’hypocrisie de Macron. Tandis qu’il communique pour se donner bonne figure, il interdit les manifestations d’humanité et de solidarité avec les victimes de l’effroyable massacre commis à Gaza et en Cisjordanie.
En reprenant les manières et méthodes des entreprises pour gouverner le pays, Macron ouvre la voie à toutes les malfaisances et au dévoiement du droit. Quand il devrait garantir la rigueur et l’impartialité de la justice, il promeut tolérance et arrangement. Son relativisme constant en matière d’éthique, de principes et de règles est dangereux, il n’est pas sans conséquence. Il fait école, de l’Elysée à Matignon puis aux divers échelons politiques et sociaux. Ce n’est pas l’argent qui ruisselle mais la complaisance pour les falsificateurs et la connivence avec les corrupteurs.
Le capital est sans règle ni mesure lorsqu’il s’agit de défendre ses intérêts particuliers, contre l’intérêt général. Toujours dans les affaires les limites sont incertaines entre complaisance et concession, connivence et aveuglement, influence et corruption. Le doute profite aux malhonnêtes, mais il porte gravement et profondément atteinte à la confiance, primordiale en démocratie. Le doute est un ferment qui ronge et détruit, il corrompt tout ce qu’il atteint, des valeurs désavouées aux principes qu’il mine.