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Billet de blog 25 février 2022

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Dialectique macronienne

Lorsque Emmanuel Macron a été élu en mai 2017 à la présidence de la République, il portait, dans sa formule « en même temps », une perspective prometteuse. Cinq ans plus tard, nous pouvons mieux qualifier la forme de sa pensée, d’où se déduit son mode d‘action, une dialectique discursive. Développons.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lorsqu’Emmanuel Macron a été élu en mai 2017 à la présidence de la République, il portait, dans sa formule « en même temps », une perspective prometteuse à laquelle nombre de citoyens se sont ralliés. Presque cinq ans plus tard, nous pouvons mieux qualifier la forme de sa pensée, dialectique, d’où se déduit son mode d‘action, une dialectique discursive non dialogique.

Indépendamment de ses choix doctrinaires ou idéologiques, il s’est affirmé pro-capitalisme, l’homme des entreprises et d’une économie orthodoxe, nous proposons de tenter, à l’aune de ses décisions et leurs conséquences, d’analyser sa conduite du gouvernement et en dessiner les trois traits majeurs.

Un régime de contradictions

Un premier trait se rattache immédiatement, d’évidence même, à ce mode de pensée dialectique : un régime de contradictions. Dès le projet annoncé par Macron pour la France - réformer pour moderniser - c’est par une figure dialectique qu’il annonce son programme.

C’est une figure dialectique en soi dans laquelle l’un et l’autre des termes peuvent être indifféremment la thèse et son antithèse ; la formule pose et oppose la thèse et son négatif, sans que ni l’un ni l’autre ne soit posé comme tel ; la formule peut s’inverser sans changer de finalité, aucun lien de causalité d’un terme à l’autre n’est établi, aucune priorisation entre eux n’est affirmée, la nécessité de l’un ou l’autre n’est pas davantage établie. De surcroît, la formule pose un discours positif (moderniser) bien qu’intrinsèquement suspect de négativité, accolé à un autre discours positif (réformer) tout aussi suspect de porter de fausses notions.

Ce projet est tout à la fois l’objet et la cause de contradictions externes, oppositions de groupes de citoyens divers dont les contestations sont légitimes en régime démocratique.

Les contradictions sont aussi contenues dans les propos, elles sont internes au discours (comme abordé ci-dessus), inscrites dans le sens (ou l’absence de sens) et la forme même du dialogue de Macron avec lui-même, monodialogue plutôt que monologue, par lequel il installe une dialectique particulière dans sa construction, de contradiction répétée et renouvelée[1] destinée à demeurer irrésolue par absence d’interlocuteur et de contradicteur pouvant établir, en fin de proposition-opposition, le discours de la synthèse à laquelle devrait conduire toute dialectique.

Une autre forme de contradiction s’instaure entre l’interne et l’externe, entre les déclarations et les actes, le dire et le faire, les mots et les choses.

Macron déclarait durant sa campagne électorale, hier, « Un ministre doit quitter le gouvernement quand il est mis en examen » et confirmant sa doctrine annoncée, son premier texte législatif moralisait la vie publique. Aujourd’hui un de ses ministres, contre qui des peines de prison ont été requises, n’a pas été remercié, il a démissionné après que les peines aient été prononcées[2].

Macron s’en défendait en déclarant « Jamais nous ne devons tomber dans une situation d’impuissance publique », ajoutant « ni retirer au peuple les choix qui, dans une démocratie doivent in fine toujours être les siens. » [3]

Il renie ainsi son engagement de campagne, sur lequel il pense sans doute avoir été élu en 2017. Ce renoncement, il le fait, dit-il, au nom même du « choix du peuple » dont il se revendique à ce moment-là (2021), qui serait l’opposé du premier (2017). C’est la contradiction de et dans la contradiction, un redoublement de la négation où A est la négation de non A, la double négation qui annule celle-ci. C’est bien là le processus réflexif essentiel de la dialectique qui veut atteindre à la vérité intelligible par la négation critique du dialogue.

Récemment, depuis Budapest où il rencontrait Victor Orban, Macron a utilisé une formule explicite de sa forme de pensée. Nous sommes adversaires politiques mais partenaires dans l’Union européenne, a-t-il déclaré. C’est une fois encore le recours à la dialectique qui identifie un sens et son contraire, l’adversaire étant aussi partenaire par la seule appartenance à l’UE. Pourtant, c’est au sein de celle-ci que s’opposent les deux hommes politiques et les idées qu’ils portent. La Hongrie de Victor Orban était-elle extra européenne le jour de cette déclaration contradictoire ?

Le dernier exemple en date de contradiction flagrante est dans l’attention portée par Macron aux traumatismes de la guerre d’Algérie. Macron en campagne en 2017 avait depuis l’Algérie où il était alors, de la manière la plus sévère, condamné la colonisation qualifiée par lui de crime contre l’humanité. En 2022, en précampagne, il condamne l’armée française d’avoir tiré sur les manifestants opposés à l’indépendance de l’Algérie, les colonisateurs.

Alors qu’il vante les services publics de la santé lors de l’épidémie de covid 19, Macron maintient les programmes de réduction des moyens des hôpitaux. Il plaide un jour pour la préservation de la biodiversité[4] et le lendemain ou peu s’en faut, par un décret ou une loi, il ré autorise les emplois de pesticides dont la nocivité est établie, ou les modes de chasses condamnés par les instances européennes comme délétères pour la biodiversité.

Ou encore, il plaide pour la cohésion de la nation et la divise par ses décisions, la loi contre le séparatisme est exemplaire de la volonté de Macron d’initier, décider et imposer une loi dont la finalité est en opposition à son intention déclarée, préserver l’unité. La contradiction dialectale se retrouve  aussi dans la formule duale - humanité et fermeté - qui prévaut en matière d’immigration...

Le discours est-il sans importance, n’entraîne-t-il pas de conséquences, n’a-t-il pas de sens ? « Comment peut-on parler effectivement tout en contredisant ce que l’on dit soi-même ? » s’interroge Alexandre Kojève qui amorce une explication : « Tout discours posé provoque (tôt ou tard) un discours op-posé, ce qui veut dire qu’à toute position discursive s’oppose (en acte ou virtuellement) une discursive op-position ou contre-position, voire pour parler grec, une antithèse. »[5]

La contradiction n’en serait pas une car les deux thèses contraires, la thèse et l’antithèse, « nous ne pouvons en parler que comme un discours unique dont le sens ne peut être qu’un. Ce sens unique sera “à la fois” ou “en même temps” un sens et son non-sens,… il n’aura pas de sens du tout.[6] » La contradiction, principe de la dialectique, s’épuiserait dans son inaccomplissement et par défaut d’effectivité, elle conduirait à gouverner par régime d’exception.

Un régime d’exceptions

Un régime d’exceptions, second trait du mode de gouvernement de Macron. Là encore, les faits sont nombreux pour étayer cette hypothèse où le régime de la contradiction cohabite et coopère avec celui de l’exception. Dans sa nouvelle fonction de président élu, dès juin 2017, Macron fit voter une loi d’accréditation l’autorisant à gouverner par ordonnances. Le gouvernement par ordonnances, sous contrôle du parlement qui les autorise au préalable et les accrédite ensuite, est un mode d’évitement du débat démocratique.

La première série de ces ordonnances a modifié profondément le Code du travail et restreint les droits des salariés. Le régime d’exception de l’état d’urgence sanitaire est allé au-delà en supprimant le contrôle parlementaire et en attribuant aux ordonnances valeur législative. La loi d’accréditation a été réputée acquise a priori par le Conseil constitutionnel, chaque ordonnance ayant désormais rang de loi.

Ce changement de la règle législative confirme la volonté de Macron de mettre à l’écart les cadres institutionnels, les rendre inefficients et s’affranchir du régime parlementaire. Le Sénat s’est opposé en octobre 2021 à la poursuite de ce régime des ordonnances, alors au nombre de trois cent trois, régulièrement contestées en droit. La justice administrative, saisie souvent a souvent qualifié les ordonnances ou leurs décrets d’application d’illégaux.

Pour contourner les institutions, Macron use d’autres moyens encore, divers autant qu’artificiels eu égard le régime démocratique et son principe premier, le principe égalitaire. Ce sont des procédés qui surgissent inopinément au gré des besoins et des thèmes de circonstance.

L’organisation de conférences ou conventions de citoyens est l’un d’eux, celle de comités divers, d’états généraux de la santé, de la justice, de la biodiversité, de l’économie en sont d’autres où le président agit, pèse, décide hors de la représentation civique. Le conseil de « défense » sanitaire, créé de toutes pièces à l’apparition de la pandémie de covid 19, s’ajoute aux instances préexistantes qu’il prive de leurs prérogatives en les écartant. Il est un cas-type des procédures extra-civiques d’exception.

Le régime des exceptions démontre par son ampleur une absence, celle d’une doctrine, mais cette absence peut par elle-même être une doctrine. La dialectique ressurgit avec l’opposition de la thèse du droit démocratique à celle de sa négation, son effacement, l’évitement et la contestation des institutions, l’antithèse de l’illégalité assumée. Les pouvoirs réunis dans les mains d’un seul induisent un régime d’exception, c’est-à-dire d’autorité sans partage ni contrôle.

La fonction d’autorité

La fonction d’autorité, troisième trait de gouvernement, résulte des deux précédents dans le contexte propre à la Vème République. Les nominations de Macron aux fonctions de secrétaire général adjoint à l’Elysée puis de ministre de l’économie lui avaient certes permis de maîtriser la technique institutionnelle et d’acquérir une expérience du pouvoir exécutif, mais il n’avait jamais éprouvé le statut de représentant démocratiquement élu ni l’autorité qui s’y construit par la confrontation régulière avec les représentés.

Alexandre Kojève a montré que l’autorité du chef ne lui vient pas de son élection mais qu’elle précède l’élection, il est élu parce qu’il a de l’autorité, cette capacité à produire un changement dans l’autre ou d’agir sur lui sans que celui-ci s’y oppose, c’est-à-dire avec son « renoncement conscient et volontaire à la possibilité de s’y opposer. »[7]

Macron a occupé rapidement et avec efficience la fonction présidentielle. Davantage que ses prédécesseurs[8], il a rapporté à lui la totalité des pouvoirs et de leur exécution[9]. La Constitution de la Vème République est ainsi construite qu’elle privilégie le pouvoir présidentiel à celui du parlement dans un déséquilibre défavorable, sinon contraire, à l’exercice démocratique.

Macron a accentué ce déséquilibre, il est allé à l’extrême des dispositions constitutionnelles dans ses actes de gouvernement. Car il s’agit en effet de gouvernement, où l’ensemble des ministres et secrétaires d’État, premier ministre compris, sont directement soumis aux directives et décisions du Président. Le Conseil des ministres est réuni chaque semaine à l’Elysée par le Président et non à Matignon par le Premier ministre, réduit à n’être qu’un chef second de gouvernement, voué à l’exécution.

L’autorité s’exprime dans les prises de parole de Macron qui sont de l’ordre du « je » personnel pour informer, annoncer, décider de ce qui relève pourtant de l’ordre collectif. Ses allocutions durant l’épidémie de covid 19 sont de ce point de vue explicites lorsqu’il répète « je veux » ou « j’ai décidé »[10]. Ses prises de parole révèlent aussi un mode d’interlocution qui entend imposer sa volonté et son point de vue, aussi bien lors des « entretiens » solitaires médiatisés[11] que dans des circonstances publiques organisées en « débats »[12].

Macron impose sa volonté à la règle commune (les institutions démocratiques). La dialectique se déploie à nouveau : sa thèse, son vouloir, est le négatif de son antithèse qu’est la règle.

La synthèse consiste en la suppression, dans l’une et l’autre, de l’élément de temps, (intempestif pour la volonté, durable dans la règle) pour laisser s’opérer l’équivalence entre les intentions seules (d’autorité ou de respect de principes), débarrassées de toute actualité. L’autorité allégée de toute contrainte s’effectue au gré du moment, sans nécessité que la satisfaction de son expression.

L’autorité, c’est aussi la figure du discours descendant sur la nation en France, ou ailleurs (discours devant le Congrès des Etats-Unis d’Amérique, propos jugeant l’Algérie, altercation avec le Président de Turquie, injonctions au Liban…), ou sur les nations quand il s’agit de l’Union européenne (discours dit de la Sorbonne).

Cette personnification complaisante et autoritaire de la parole de l’État pèche par excès, son absence d’humilité et son défaut d’empathie, mais avant tout d’être une expression personnelle qui se veut collective sans être soumise à concertation ni débat.

L’autorité devient effective dans les décisions (arbitraires) qui s’imposent, par le fait du pouvoir, à des catégories de la population non consultées.

Ce furent parmi bien d’autres la loi d’accréditation mentionnée supra, pour autoriser Macron à légiférer par ordonnances, c’est-à-dire sans débat, soit donc par autorité ; l’instauration non concertée d’une taxe carbone aux conséquences durables[13] ; la rédaction de l’exposé des motifs d’un projet de loi confié à un cabinet privé en place du législateur[14] ; la limitation de vitesse, imposée brutalement, qui laisse à présent des règles disparates d’un département à l’autre ; le retrait aux partenaires sociaux de la gouvernance de l’assurance chômage pour la transformer en compétence d’État, actant un profond affaiblissement démocratique[15] ; l’obstination à maintenir le projet de nouveau système de retraites unanimement contesté ; l’épidémie considérée crise économique plutôt que de santé publique ; la loi sécurité globale, liberticide et discriminante ; la dérogation présidentielle au couvre-feu pour la finale de tennis à Roland Garros ; la décision d’annuler le décret organisant le contrôle technique des deux-roues motorisés, etc....

La suppression de l’école nationale d’administration (ENA), dont il est issu, et des grands corps de l’État, est la décision de Macron seul, dans un dessein incertain et non débattu qui ne convainc pas les corps concernés de sa pertinence ; la décision d’autoriser la rupture du contrat de travail de certaines catégories de salariés non vaccinés contre le covid 19 est une atteinte au droit que le gouvernement accomplit en manipulant ses motifs (la santé) pour ne pas assumer de rompre l’égalité des citoyens devant la loi : le fondement démocratique - le principe égalitaire – ignoré par le Conseil d’Etat appelé à en juger, ce fondement constitutionnel est ainsi remis en cause par la plus haute instance dont la charge est de veiller à sa sauvegarde.

L’exercice de l’autorité se joue à autoriser ou interdire, dialectique miroir.

C’est dans cette dialectique de la conviction - coercition, (convaincre ou contraindre), que nous pouvons et devons apprécier les décisions d’autorité de Macron. La démocratie y est opposée à l’a-démocratie (l’autoritarisme), son négatif, dans une dialectique où elle (la démocratie) est placée en négation de l’autoritarisme (l’a-démocratie).

Dans un discours unique où les deux coexistent, l’une et l’autre sont actualisées « en même temps », comme nécessairement co-actives. La dépréciation démocratique trouve là un de ses effets, le plus fort, par l’équivalence, voire l’identification de l’un à l’autre, l’autoritarisme à la démocratie.

L’excès d’autorité ne résout pas la contestation de l’autorité de l’État ni le déficit démocratique, il les aggrave chaque fois un peu plus. « Un pouvoir fondé sur l’Autorité peut, bien entendu, se servir de la force ; mais si l’autorité engendre une force, la force ne peut jamais, par définition, engendrer une Autorité quelconque. »[16] Kojève souligne l’étroite solidarité existant entre l’autorité et sa reconnaissance par ceux qui la subissent. Une autorité non reconnue n’existe pas.

Les deux versants de l’autorité se fondent l’un sur la confiance (intellectuelle), l’autre sur la coercition (physique). Hannah Arendt lie les deux[17]. L’autorité politique suppose, selon Spinoza, que la confiance en l’État s’accompagne de l’abandon de la liberté d’agir, non de celle de juger. Gadamer[18] comprend l’autorité politique comme celle des experts. Pour lui, c’est par leurs compétences que les dirigeants doivent mériter la confiance des citoyens. L’autorité ne se justifie pas absolument et pour s’exercer, elle doit s’imposer par le respect de l’ordre égalitaire démocratique.

Nous retrouvons à nouveau le jeu dialectique entre deux positions, confiance et force, la thèse et son antithèse. Nous voyons bien qu’à défaut de synthèse, l’alternative entre les deux versants de l’autorité politique est fluctuante et l’équilibre fragile, la violence contraignante est plus simple d’emploi que la persuasion qui veut obtenir la reconnaissance ou gagner la confiance. Pour Macron, le risque de la perte démocratique est-il suffisant pour retenir le bras de la force ?

Conclusion

La dialectique dialogique socratique fut la matrice du débat démocratique. Hegel a donné à la dialectique la rigueur de la logique où le sens, qui est négation de son négatif (ou opposé ou contraire), lui est confronté dans la constitution du système de savoir, la recherche de la vérité.

Pour Macron, dont la dialectique est la forme de sa pensée, celle-ci est non dialogique, fermée et sans l’issue de la synthèse. Son hypothèse première d’une dialectique ouverte avec sa formule « en même temps » s’est refermée sur le silence, c’est-à-dire l’impuissance. Le faire, qui est le propre de gouverner, ne serait alors que le faire croire, comme le professait Machiavel. Car les contradictions entre le dire et le faire sont nombreuses (essentielles ?) dans la pratique du pouvoir par Macron.

Cette pratique peut se dire bonne ou mauvaise, positive ou négative, selon d’où elle est observée et par qui elle est ressentie. Quelle que soit la dialectique qui la sous-tend, cette pratique ne peut se résoudre dans l’autoritarisme sans dommage pour la démocratie, quand bien même ce dessein autoritaire s’inscrit dans un mouvement mondial anti-démocratique et de contestation des droits fondamentaux. Qui ne peut être d’aucune façon réduit par la dialectique de l’autorité.

L’impuissance de la dialectique, celle qui résulte de son « non-sens », c’est-à-dire son silence, est corrigée par le recours à l’exception. Lorsque celle-ci ne suffit pas, ou plus, surgit la méprise sur l’autorité comme recours ultime. L’autorité, non accordée par défaut, conduit à l’usage de la force pour s’imposer. Est-ce là le résultat d’un cycle de dialectique ou celui de la volonté de son promoteur ?

Louis Albert Serrut

27 janvier 2022

[1] Le discours du 12 juillet 2021 est riche de telles contradictions : « liberté et protection », « responsabilité individuelle et esprit collectif », « nous avons vu la force durant cette crise de notre modèle social » et « nous devrons engager, dès que les conditions sanitaires seront réunies, la réforme des retraites. » ou « C’est pour cela que la réforme de l’assurance chômage sera pleinement mise en œuvre dès le 1er octobre », « Grâce à l’engagement exceptionnel de nos soignants, grâce à votre civisme, nous avons réussi à maîtriser l’épidémie et à revivre à nouveau. » et « pour les personnels soignants et non-soignants des hôpitaux, des cliniques, des maisons de retraite, des établissements pour personnes en situation de handicap, pour tous les professionnels ou bénévoles qui travaillent au contact des personnes âgées ou fragiles, y compris à domicile, la vaccination sera rendue obligatoire. » ou encore « pour notre unité » et scindant les citoyens, « Dans un premier temps, », « ensuite tous les autres », « en particulier… ».

[2] Un proche de Macron, Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée, a fait l’objet de plaintes pour corruption passive et trafic d’influence dans des contrats impliquant une filiale du groupe de croisières MSC avec lequel il a des liens familiaux. Pierre Breteau, Samuel Laurent et Thibaut Faussabry, L’affaire Kohler, l’autre dossier qui menace l’Elysée, Le  Monde, 10 août 2018. Alexis Kohler est toujours en poste. Richard Ferrand et Sylvie Goulard, impliqués eux aussi dans des procédures judiciaires, avaient dû quitter leur ministère à la demande de l’Elysée quand le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, mis en examen, conserve le sien. Ces faits révèlent une règle fluctuante et incertaine, ou plus sûrement l’absence de règle.

[3] Olivier Faye. Le virage de Macron face au pouvoir judiciaire. Le Monde, jeudi 21 octobre 2021.

[4] A Marseille, Emmanuel Macron promet de mieux protéger les mers françaises. Le Monde, 4 septembre 2021. « Il y a urgence à faire comprendre que la bataille pour le climat est jumelle de la bataille pour la biodiversité. Nous avons du retard sur la biodiversité, il faut le rattraper. » Emmanuel Macron durant le sommet de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) à Marseille, le 3 septembre 2021.

[5] Alexandre Kojève. Essai d’une histoire raisonnée de la philosophie païenne. Tome 1. Les présocratiques. Introduction. Tel Gallimard. 1968.

[6] Alexandre Kojève. Op.cit.

[7] Alexandre Kojève. La Notion de l’Autorité (1942) Gallimard, 2004.

[8] Le 14 juillet 2017, le Président Macron décidait de limoger le chef d’État-major des armées sans donner de motif.

[9] Nous avions dénoncé cette dérive constitutionnelle opérée par Sarkozy. Louis Albert Serrut. Naissance d’une dictature. Editions de la Différence, collection Politique, 2012.

[10] « J’ai lancé le mois dernier un plan d’investissement de 7 milliards d’euros pour l’innovation… », extrait de l’intervention télévisée du 12 juillet 2021. Site de l’Elysée. Elysée-module-18050-fr.pdf

[11] L’intervention de Macron sur TF1 le 15 décembre 2021, deux heures d’une prestation hybride entre interview, conversation, autopromotion, opération électorale, est l’expression d’une autorité affranchie de toute règle.

[12] Ce furent le cas par exemple des réunions organisées avec les maires dans plusieurs villes, des rencontres avec des jeunes et d’autres réunions sur le mode « face à tous » où seule la parole présidentielle prévaut.

[13] Décision qui fut à l’origine du mouvement des gilets jaunes contre lequel Macron usa de toutes les forces policières sans retenue.

[14] Le gouvernement de la République française a lancé le 12 janvier 2018 un appel d’offres pour « …une prestation visant à appuyer les services de la direction des infrastructures, des transports et de la mer dans la rédaction de l’exposé des motifs et de l’étude d’impact du projet de loi d’orientation des mobilités ». Clos le 22 janvier 2018, l’appel d’offres a été attribué au bureau parisien du cabinet Dentons, un réseau international installé dans 78 pays. Voir Louis Albert Serrut. La marchandisation de la loi. Les citoyens sont-ils prêts à abandonner leur souveraineté à la sphère marchande ? L'Humanité, 8 février 2019

[15] Les mesures décidées par le gouvernement sont l’objet de critiques générales des syndicats de salariés et d’employeurs. Dans Le Monde du 30 septembre 2021, une tribune d’économistes dénonçait « une réforme inefficace, injuste et punitive ».

[16] Alexandre Kojève. La Notion de l’Autorité (1942) Gallimard, 2004.

[17] Hannah Arendt écrit, dans La crise de la culture, Qu’est-ce que l’autorité ? Gallimard 1972 : « S’il faut définir l’autorité, il faut l’opposer à la fois à la coercition par la force et à la persuasion par des arguments ».

[18] Hans Georg Gadamer. Notamment L’éthique dialectique de Platon. Actes sud. 1994 ; Herméneutique et philosophie. Beauchesne. 1999.

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