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Billet de blog 3 juin 2025

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L'appel de la France en faveur de la création d'un État palestinien irrite Israël

L'évolution de la position de Macron reflète à la fois des préoccupations morales et pragmatiques, en particulier en France, qui abrite les plus grandes populations musulmanes et juives d'Europe.

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L'appel du président français Emmanuel Macron en faveur d'une résolution politique durable de la crise à Gaza et son soutien à la création d'un État palestinien ont suscité de vives critiques de la part d'Israël et de ses alliés. Si les relations entre la France et Israël ont toujours été complexes, la vague d'hostilité actuelle reflète l'inquiétude croissante d'Israël face à la diminution de son soutien international. Il y a plusieurs décennies, la CIA surveillait de près les relations entre la France et Israël, soupçonnant la France d'être impliquée dans le programme nucléaire secret d'Israël. Des rapports déclassifiés de la CIA datant des années 1960 faisaient état de liens inhabituellement étroits entre l'attaché militaire français en Israël et l'armée israélienne, suggérant un soutien politique de Paris à cette collaboration. À l'époque, la France était aux prises avec les retombées diplomatiques de la crise de Suez de 1956 (une invasion ratée de l'Égypte par la Grande-Bretagne, la France et Israël) et de la guerre d'indépendance algérienne, ce qui compliquait son soutien public à Israël. Malgré un refroidissement public des relations, la coopération militaire a persisté, enracinée dans le partenariat de Suez, selon les évaluations de la CIA.

Aujourd'hui, la dynamique a radicalement changé. Les efforts de Macron pour rallier les nations occidentales à la reconnaissance d'un État palestinien, ainsi que la co-organisation par la France d'un sommet des Nations unies avec l'Arabie saoudite du 17 au 20 juin pour faire avancer une solution à deux États, ont provoqué de vives réactions. L'ambassadeur américain en Israël, Mike Huckabee, a récemment suggéré avec sarcasme, dans une interview accordée à Fox News, que si la France tenait tant à la création d'un État palestinien, elle devrait « offrir une partie de la Côte d'Azur » pour cela.

Israël, de plus en plus isolé en raison de la crise humanitaire à Gaza, a intensifié sa rhétorique contre la France. Après que Macron ait décrit la reconnaissance d'un État palestinien comme une « obligation morale » et une « nécessité politique », le ministère israélien des Affaires étrangères a riposté en l'accusant de mener une « croisade contre l'État juif » et en rejetant les allégations de blocus humanitaire à Gaza comme étant « un mensonge flagrant », malgré les avertissements de l'ONU concernant une famine imminente.

Les relations entre la France et Israël ont longtemps oscillé entre coopération et tensions. Les premiers liens ont été forgés grâce à des intérêts stratégiques communs au Moyen-Orient, mais les décennies ont été ponctuées par des périodes d'embargo sur les armes, des querelles diplomatiques et des accusations israéliennes d'antisémitisme français, souvent liées au passé de la France sous le régime de Vichy. La campagne de Macron en faveur de la création d'un État palestinien a ravivé ces critiques.

Des incidents récents ont encore tendu les relations. En novembre 2024, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot a annulé une visite à l'église du Pater Noster à Jérusalem, un site historiquement géré par la France, après que les forces de sécurité israéliennes ont arrêté deux gendarmes du consulat français. La France a réagi en convoquant l'ambassadeur d'Israël à Paris. Un incident similaire s'est produit en 2020, lorsque Macron a confronté le personnel de sécurité israélien à l'église Sainte-Anne, exigeant qu'il respecte les protocoles établis. De tels épisodes, notamment un affrontement en 1996 impliquant l'ancien président Jacques Chirac, sont devenus symboliques de ces relations tendues, inspirant même des mèmes et des références culturelles français.

En France, la position intransigeante d'Israël, illustrée par la promesse du ministre de la Défense Israel Katz de bloquer toute aide humanitaire à Gaza et par la déclaration du ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir selon laquelle les Gazaouis ne méritent aucune aide, a suscité l'indignation. Le plaidoyer de Macron en faveur de la création d'un État palestinien, en particulier parmi les pays du G7, a intensifié la réaction négative d'Israël. « Israël a longtemps adopté une position ferme à l'égard de la France, mais la reconnaissance de la Palestine est un point sensible », a déclaré Michel Duclos, ancien ambassadeur français. « Macron mène la charge parmi les pays du G7 qui résistent. »

Alors que 147 États membres de l'ONU, dont récemment l'Espagne et l'Irlande, reconnaissent la Palestine, les pays du G7 (Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Royaume-Uni et États-Unis) s'y opposent, invoquant la nécessité d'une paix négociée. Les États-Unis ont opposé leur veto à la demande d'adhésion de la Palestine à l'ONU en 2024. La France insiste toutefois sur le fait que la reconnaissance de l'État palestinien, parallèlement au désarmement du Hamas, à la libération des otages, à la réforme de l'Autorité palestinienne et à la reconstruction de Gaza, est essentielle pour progresser.

Israël a présenté l'initiative française comme une récompense pour le Hamas, ce que M. Duclos conteste : « La reconnaissance d'un État palestinien sous une autorité réformée pourrait compromettre la légitimité du Hamas. »

L'évolution de la position de Macron reflète à la fois des préoccupations morales et pragmatiques, en particulier en France, qui abrite les plus grandes populations musulmanes et juives d'Europe. Initialement favorable à Israël après le 7 octobre 2023, Macron est devenu plus critique à mesure que la crise humanitaire à Gaza s'aggravait. Ce changement s'inscrit dans la lignée du « gaullisme-mitterrandisme » historique de la France, une approche de la politique étrangère qui trouve ses racines dans l'embargo sur les armes imposé à Israël par Charles de Gaulle en 1967 et dans les politiques pro-arabes de François Mitterrand. Contrairement à la présidence pro-israélienne de Nicolas Sarkozy, Macron recherche une approche équilibrée, critiquant Israël lorsque cela est nécessaire tout en maintenant des liens.

Alors que Macron collabore avec des dirigeants tels que le Premier ministre britannique Keir Starmer et le Canadien Mark Carney avant le sommet de l'ONU, le poids diplomatique de la France en tant qu'ancienne puissance coloniale au Moyen-Orient amplifie son influence. Cependant, des experts tels que Karim Emile Bitar soulignent que même la reconnaissance de la Palestine par l'Occident ne changera probablement pas la réalité sur le terrain tant qu'Israël bénéficiera du soutien des États-Unis. Les récentes initiatives américaines sous la présidence de Donald Trump – reprise des négociations avec l'Iran, levée des sanctions contre la Syrie et engagement avec le Hamas – ajoutent à la complexité, mais sont considérées comme trop erratiques pour influencer les stratégies européennes. « On ne peut pas baser une politique sur l'imprévisibilité de Trump », a déclaré M. Duclos.

La rhétorique acerbe d'Israël à l'égard de la France reflète ses craintes plus générales d'isolement. « Le rôle symbolique de la France au Moyen-Orient rend sa diplomatie importante », a expliqué M. Bitar, soulignant pourquoi Paris reste la cible de la colère d'Israël.

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