Louis G. Durand (avatar)

Louis G. Durand

Abonné·e de Mediapart

105 Billets

0 Édition

Billet de blog 5 juin 2025

Louis G. Durand (avatar)

Louis G. Durand

Abonné·e de Mediapart

25% frappe à nouveau : L'empire massif de Joseph Kabila continue de saigner la RDC

Des villas de luxe aux usines textiles, les nouveaux indices révèlent une mainmise toujours plus profonde sur l’économie congolaise.

Louis G. Durand (avatar)

Louis G. Durand

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La semaine dernière, le nom de Joseph Kabila est revenu en force dans les débats publics, alimenté par une série de publications dénonçant à nouveau le pillage systématique de la République démocratique du Congo (RDC) par son ancien président. Poussée par l’intérêt croissant du public, cette enquête approfondie révèle de nouveaux éléments accablants – et une structure opaque au cœur de l’économie congolaise : CIIG.

Derrière cet acronyme peu connu, qui évoque ironiquement les cigarettes populaires au Congo, se cache le Congo International Investment Group. Selon les révélations de Fortunata "Tina" Ciapparone – l’ancienne femme d’affaires italienne devenue source majeure dans les affaires Kabila – CIIG est contrôlé par l’ex-président lui-même, désormais surnommé “M. 25 %”, en référence à sa participation dans de nombreuses sociétés, ainsi que par un certain “M. Nhe”, figure énigmatique et émissaire des intérêts chinois dans la région.

Illustration 1

CIIG, ou comment construire un empire dans l’ombre

D’après les documents publics et son propre site web (www.ciig-rdc.cd), CIIG est le principal promoteur d’un projet colossal : Pool Malebo, présenté comme le plus ambitieux développement immobilier jamais entrepris en RDC. Ce complexe prévoit la construction de plus de 5 000 villas de luxe, destinées à loger quelque 25 000 à 30 000 Congolais parmi les plus riches.

Le projet progresse à un rythme fulgurant à travers l’appareil bureaucratique du pays. Selon plusieurs sources, 1 500 villas auraient déjà été construites. À raison d’un prix d’entrée fixé à 50 000 dollars par unité, la valeur totale du projet pourrait dépasser les 250 millions de dollars.

Pool Malebo : une enclave dorée, bâtie sur les décombres d’un État corrompu

Soutenu discrètement par ce que certains appellent « le serpent », le projet Pool Malebo progresse à une vitesse fulgurante à travers les méandres de la bureaucratie congolaise. Selon des sources proches du dossier, 1 500 villas auraient déjà été construites. À raison d’un prix de départ de 50 000 dollars par villa, la valeur estimée du projet dépasse les 250 millions de dollars – un chiffre colossal pour un pays où la majorité de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Illustration 2

Mais Pool Malebo ne se limite pas à une série de maisons cossues. Il s’agit d’une véritable forteresse de privilèges, bâtie en plein cœur du chaos économique et social congolais. Le projet promet des hôpitaux privés dotés des meilleurs spécialistes, des terrains de golf pour une élite déconnectée et des centres commerciaux remplis de produits de luxe importés. Le tout emballé dans un discours de « commodités de classe mondiale », incluant des clubs privés sécurisés où l’on pourra siroter du champagne à l’abri de murs truffés de technologies, loin – très loin – des nids-de-poule et des réalités du quotidien des Congolais ordinaires.

Illustration 3
Illustration 4

Ce mégaprojet génère bien plus que des profits issus de la simple vente de villas. Les revenus proviennent aussi de la logistique, des lignes d’approvisionnement, de la transformation du bois, de la sous-traitance et de multiples autres filières lucratives, soigneusement mises en place pour enrichir M. Kabila et son partenaire discret, “M. Nhe”, figure centrale d’un réseau sino-congolais opaque.

Pool Malebo n’est que l’un des derniers chapitres d’une longue série de projets utilisés pour détourner les richesses nationales. Sous le règne de Kabila, la RDC a glissé dangereusement dans les classements mondiaux sur la corruption, figurant régulièrement parmi les pires notés par Transparency International.

Quant à “M. Nhe”, l’investisseur chinois en coulisses, sa présence s’inscrit dans une tendance bien connue : l’influence chinoise grandissante dans les secteurs stratégiques africains, en particulier les ressources naturelles. Mais dans ce cas précis, son rôle ressemble moins à celui d’un investisseur qu’à celui d’un opérateur clandestin, facilitant le transfert de richesses congolaises vers l’étranger dans le cadre d’accords opaques. Les liens entre Kabila et des puissances étrangères ont longtemps nourri des débats géopolitiques – mais ces nouvelles révélations suggèrent que, derrière les discours, il ne s’agissait pas de stratégie internationale, mais de cupidité pure.

Sotexki : dernier bastion textile ou zombie économique ?

Les révélations de Fortunata Ciapparone ne s’arrêtent pas là. Elle affirme que CIIG détient également Sotexki, la Société Textile de Kisangani, la dernière grande usine textile encore en activité en RDC.

Alors que toutes les autres ont fermé, Sotexki continue de fonctionner, grâce à des contrats gouvernementaux avantageux qui en font le principal fournisseur en textiles de l’État. Une situation qui soulève de lourdes interrogations.

Une note manuscrite de Fortunata, devenue virale sur TikTok, illustre les liens directs entre cette entreprise et l’ancien président. Elle se décrit comme une prête-nom, servant à masquer les 25 % de parts détenues par Kabila dans plusieurs structures économiques du pays.

La survie de Sotexki illustre un cas d’école de copinage, entretenu par l’administration et par les structures héritées de la présidence Kabila.

Texico, EGAL : l’autre face du réseau

En toile de fond, une enquête antérieure a révélé que le conglomérat TEXICO, encore méconnu du grand public, joue un rôle central. TEXICO détient notamment EGAL (Entreprise Générale d’Alimentation et de Logistique), un acteur majeur dans l’importation alimentaire.

Selon les révélations de Mediapart, EGAL a reçu 43 millions de dollars directement de la Banque centrale du Congo, et 35 millions supplémentaires de sources jugées suspectes. Autant de flux financiers qui soulèvent des doutes quant à leur destination finale – et qui confirment l’existence d’un réseau économique mafieux au service de l’ancien régime.

Illustration 5

Un empire toujours debout, une justice qui tarde

Malgré les déclarations répétées du président Félix Tshisekedi sur sa volonté d’en finir avec la corruption, l’empire de Kabila reste en place. Certains espéraient que la libération de Sotexki signalerait un tournant – mais dix-huit années de kleptocratie ne se démantèlent pas en un jour.

Pire encore, des rumeurs persistantes évoquent un soutien financier de Kabila aux rebelles du M23 dans l’Est du pays, transformant ainsi l’argent sale accumulé grâce à la corruption en argent du sang versé dans un conflit meurtrier.

Joseph Kabila n’est peut-être plus au pouvoir, mais ses tentacules économiques continuent d’étouffer la RDC. Villas de luxe, usines survivantes, structures financières opaques, complicités internationales : tout indique que “M. 25 %” n’a jamais quitté le centre du jeu.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.