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Billet de blog 9 octobre 2025

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La France au bord du gouffre

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Le paysage politique français est à nouveau en pleine tourmente après la démission du Premier ministre Sébastien Lecornu, lundi 6 octobre, soit seulement 26 jours après son entrée en fonction, ce qui en fait le plus court mandat d'un chef du gouvernement français dans l'histoire moderne. Ce départ précipité, annoncé quelques heures seulement après que M. Lecornu ait dévoilé la composition de son nouveau gouvernement, a aggravé la crise au sein d'un parlement divisé par des clivages idéologiques. Le président Emmanuel Macron, soumis à une pression intense pour démissionner ou convoquer des élections anticipées, s'est engagé à nommer un successeur dans les 48 heures, dans le but d'éviter un chaos supplémentaire sans dissoudre l'Assemblée nationale.

Dans le cadre du système semi-présidentiel français, le président exerce une autorité considérable sur les affaires étrangères et la défense, mais la gouvernance intérieure dépend de la capacité du Premier ministre et du gouvernement à obtenir le soutien du Parlement. Depuis que l'alliance centriste de Macron a perdu sa majorité lors des élections législatives de 2022, cet équilibre a basculé vers une instabilité chronique. Aucun parti ne dispose d'une majorité claire à l'Assemblée nationale, qui compte 577 sièges, ce qui oblige les gouvernements à former des coalitions précaires regroupant le Rassemblement national (RN) d'extrême droite, le Nouveau Front populaire (NFP) de gauche et les centristes divisés de Macron. Les conséquences ont été désastreuses : des réformes au point mort, un déficit budgétaire atteignant 5,8 % du PIB en 2024 et une dette publique à 114 % du PIB, la plus élevée de la zone euro après la Grèce et l'Italie, ont érodé la confiance du public et la confiance économique.

L'ascension et la chute rapides de Lecornu illustrent parfaitement ce dysfonctionnement. Nommé après l'éviction de François Bayrou suite au rejet d'un budget d'austérité visant à réduire les dépenses de 44 milliards d'euros, ce fidèle de Macron âgé de 43 ans et ancien ministre de la Défense a été chargé d'unir un parlement divisé né des élections anticipées malheureuses de Macron en juillet 2024. Ces élections, qui devaient permettre de rebondir après les défaites au Parlement européen, ont au contraire abouti à une impasse : le parti Renaissance de Macron avec 168 sièges, le RN avec 143 et le NFP avec 182, aucun n'approchant les 289 sièges nécessaires pour obtenir la majorité. Le cabinet diversifié de Lecornu, mélangeant centristes, modérés et une poignée de personnalités de gauche, était censé combler ces écarts. Mais la nomination de Bruno Le Maire, allié de longue date de Macron et ancien ministre des Finances, à un poste sensible au sein des forces armées a suscité la controverse. Les détracteurs ont jugé cette nomination inappropriée pour quelqu'un qui a mené pendant des années des politiques économiques controversées.

L'opposition s'est manifestée de toutes parts : les centristes s'inquiétaient du passé de Bruno Le Maire, tandis que les gauchistes dénonçaient la politique d'austérité budgétaire du gouvernement. Dimanche soir, la coalition s'est effondrée. Bruno Lecornu a dénoncé les « appétits partisans » de l'Assemblée, accusant les législateurs d'agir comme s'ils détenaient la majorité absolue. Le Maire a retiré sa candidature dans une tentative vaine de sauver le gouvernement, mais Lecornu, ironisant sur le fait qu'« être Premier ministre est une tâche difficile », a accepté d'assurer l'intérim tout en préparant un plan de stabilité pour mercredi. Les marchés ont réagi vivement, les actions parisiennes chutant lundi, même si le CAC 40 a rebondi de 1,1 % en milieu de semaine grâce à quelques lueurs d'espoir.

Cet épisode n'est que le dernier en date dans la valse des Premiers ministres de Macron : cinq en deux ans seulement, ce qui témoigne de la paralysie depuis les élections de 2024. Élisabeth Borne a tenu de mai 2022 à janvier 2024, renversée par la controverse sur la réforme des retraites ; Gabriel Attal a occupé ses fonctions de janvier à juillet 2024, avant d'être renversé par les sondages ; Michel Barnier a tenu de septembre à décembre 2024 avant un vote de défiance sur les difficultés budgétaires ; et Bayrou a fait le pont entre janvier et septembre 2025 jusqu'à l'échec de sa politique d'austérité. Chaque chute a gelé la législation sur tous les sujets, des ajustements des retraites aux initiatives écologiques, amplifiant l'exaspération du public dans un pays déjà mis à rude épreuve par l'inflation et les inégalités.

En tant que Premier ministre par intérim, Lecornu s'est entretenu mardi et mercredi avec les dirigeants des factions du centre-gauche au centre-droit, et a fait part à Macron, le 8 octobre, d'une lueur d'optimisme : une faible majorité à l'Assemblée contre la dissolution, une « plateforme pour la stabilité » émergente et la possibilité de faire adopter le budget 2026 d'ici la fin de l'année grâce à des concessions. L'Élysée a confirmé que Macron dévoilerait un nouveau Premier ministre d'ici le 10 octobre, évitant ainsi des élections immédiates qui pourraient propulser le RN de Marine Le Pen au pouvoir. Cependant, les candidats viables sont difficiles à trouver. S'en tenir à des initiés comme Lecornu risque d'aggraver les divisions, tandis que courtiser les socialistes pourrait fracturer le noyau dur des partisans de Macron. Le leader d'extrême gauche Jean-Luc Mélenchon a appelé à la destitution de Macron, et Le Pen réclame des élections.

Des sources proches de l'Élysée murmurent que Macron est prêt à « prendre ses responsabilités » si le pacte de stabilité vacille, ce qui pourrait déclencher une dissolution comme option nucléaire. Pour l'instant, le président évite l'abîme, mais avec des échéances qui approchent, la France vacille au bord du gouffre. Comme l'a observé un analyste, « il ne faudrait pas grand-chose pour que cela fonctionne », à condition que les egos cèdent la place au pragmatisme. Dans un pays fatigué par l'impasse, le choix imminent de Macron pourrait soit stabiliser le navire, soit précipiter son naufrage dans une incertitude encore plus profonde.

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