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Billet de blog 14 avril 2025

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La reconnaissance de la Palestine par la France serait-elle hypocrite ?

Certains affirment que la France maintient une présence de type impérialiste dans certaines parties du monde, en particulier en Afrique et dans ses territoires d'outre-mer, ce qui peut alimenter les perceptions d'hypocrisie dans la poussée de M. Macron en faveur de la création d'un État palestinien.

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La proposition du président Emmanuel Macron de reconnaître un État palestinien d'ici juin 2025, telle qu'elle a été formulée lors d'un entretien télévisé avec France 5, représente un changement significatif dans l'approche de la France vis-à-vis du conflit israélo-palestinien. Le plan prévoit que la France formalise éventuellement cette reconnaissance lors d'une conférence des Nations unies coprésidée par l'Arabie saoudite, en vue d'un « mouvement de reconnaissance mutuelle » dans lequel l'État palestinien serait reconnu parallèlement à la reconnaissance réciproque d'Israël par certains États arabes. 

La déclaration de M. Macron intervient dans un contexte de violence persistante à Gaza et de blocage des négociations de paix. La France a toujours soutenu une solution à deux États, mais s'est abstenue de toute reconnaissance unilatérale, s'alignant sur les puissances occidentales qui conditionnent la création d'un État palestinien à des résultats négociés. Toutefois, l'annonce de M. Macron suggère une rupture avec cette position, peut-être influencée par les récentes reconnaissances européennes et la frustration internationale croissante face à la guerre à Gaza après les attaques du Hamas du 7 octobre 2023. 

Le calendrier de juin correspond à une conférence des Nations unies prévue, au cours de laquelle M. Macron espère catalyser une poussée internationale collective en faveur d'un cadre à deux États. Cette décision ferait de la France le premier membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU à reconnaître la Palestine, ce qui pourrait modifier la dynamique mondiale, puisque près de 150 pays le font déjà, alors que les grandes puissances occidentales, comme les États-Unis, ne le font pas.

Le gouvernement israélien, dirigé par Benjamin Netanyahu, a explicitement rejeté la création d'un État palestinien. L'initiative de M. Macron pourrait contrer ce refus en affirmant le droit à l'existence de la Palestine et en préservant la possibilité d'un État viable avant que d'autres accaparements de terres ne le rendent impossible. Elle remet en question le veto israélien sur la création d'un État palestinien, qui, selon les critiques, viole le droit international.

M. Macron met l'accent sur la « reconnaissance mutuelle », espérant que la création d'un État palestinien incitera les États arabes à normaliser leurs relations avec Israël. Cette démarche s'inscrit dans la lignée d'initiatives telles que les accords d'Abraham, où la reconnaissance d'Israël par les États du Golfe était liée à des objectifs régionaux plus larges. Le prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed bin Salman, a lié la normalisation à la création d'un État palestinien, suggérant que le plan de M. Macron pourrait débloquer des percées diplomatiques et réduire les tensions régionales.

En tant que grande puissance de l'UE, la démarche de la France pourrait inspirer d'autres membres hésitants à la suivre, créant ainsi une position européenne unifiée. Cela renforcerait la pression sur les États-Unis, qui se sont opposés aux reconnaissances unilatérales, pour qu'ils reconsidèrent leur approche. Elle positionne la France en tant que leader de la diplomatie mondiale, comblant ainsi un vide laissé par les politiques américaines incohérentes, telles que la proposition de Trump concernant la « Riviera » de Gaza, que M. Macron a rejetée en la qualifiant de déshumanisante.

Les critiques soutiennent que la reconnaissance unilatérale contourne les négociations directes, pierre angulaire d'accords tels que les accords d'Oslo. Sans le consentement d'Israël, un État palestinien reconnu n'aurait pas de mise en œuvre pratique : les frontières, les dispositions en matière de sécurité et le statut de Jérusalem ne seraient pas réglés. Cela pourrait renforcer les divisions au lieu de les résoudre, car Israël pourrait refuser de coopérer, faisant de l'État un geste symbolique.

Les autorités israéliennes estiment que cette reconnaissance récompense des groupes comme le Hamas, qualifié d'organisation terroriste par les États-Unis, l'Union européenne et Israël, en particulier après les attentats d'octobre 2023 qui ont tué 1 200 Israéliens. Bien que M. Macron ait spécifié un État « sans le Hamas », le groupe a accueilli favorablement sa déclaration, l'interprétant potentiellement comme une validation. Cela pourrait compliquer les efforts visant à marginaliser le Hamas dans la gouvernance palestinienne, alimentant les craintes israéliennes d'un État hostile à sa frontière.

La démarche de la France pourrait aliéner les États-Unis, qui insistent sur des résultats négociés et ont opposé leur veto aux résolutions de l'ONU sur la création d'un État palestinien. Les États-Unis fournissant à Israël une aide militaire de 3,8 milliards de dollars par an, le plan de M. Macron risque de rompre l'unité de l'Occident, surtout s'il est perçu comme anti-israélien. Cela pourrait affaiblir l'influence de la France au sein de l'OTAN ou d'autres forums, où le soutien des États-Unis est essentiel.

En France, M. Macron a dû faire face aux critiques des groupes de droite après son annonce, qui l'accusaient d'apaiser les islamistes ou de compromettre la sécurité d'Israël. La reconnaissance de la Palestine pourrait attiser les tensions internes, en particulier au sein de la communauté juive de France (environ 450 000 personnes) et des électeurs pro-israéliens, à un moment où l'antisémitisme est en hausse. 
Un État palestinien reconnu se heurte à d'immenses obstacles : La dévastation de Gaza, la fragmentation de la Cisjordanie et l'absence d'un leadership palestinien unifié. Si ces problèmes ne sont pas résolus, la reconnaissance pourrait créer un « État fictif », comme l'a dit Sa'ar (Israël), incapable de fonctionner. Le calendrier de M. Macron pourrait également être trop ambitieux, ce qui risquerait de nuire à la crédibilité si la conférence de juin n'aboutissait pas.

La proposition de M. Macron est une tentative audacieuse de perturber un conflit stagnant, reflétant à la fois l'urgence morale et l'ambition stratégique. 

Oui, certains affirment que la France maintient une présence de type impérialiste dans certaines parties du monde, en particulier en Afrique et dans ses territoires d'outre-mer, ce qui peut alimenter les perceptions d'hypocrisie dans la poussée de M. Macron en faveur de la création d'un État palestinien. 

La France conserve une influence significative dans les anciennes colonies africaines grâce à des liens économiques, militaires et politiques, souvent appelés « Françafrique ». Par exemple, 14 pays d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale utilisent le franc CFA, une monnaie indexée sur l'euro et historiquement liée au Trésor français, ce qui permet à Paris d'exercer une influence sur leurs économies. La France maintient des bases militaires dans des pays comme le Tchad, la Côte d'Ivoire et Djibouti, officiellement pour lutter contre le terrorisme. La France gouverne également des territoires comme la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et la Réunion en tant que départements ou collectivités d'outre-mer, avec plus de 2,7 millions de personnes sous son drapeau. 

Bien que ces territoires jouissent d'une autonomie variable, les critiques soulignent la répression par la France des mouvements d'indépendance - par exemple, le référendum de 2021 en Nouvelle-Calédonie, que les Kanaks favorables à l'indépendance ont boycotté en raison de l'insistance de la France à maintenir le contrôle. Cela suggère une réticence à accorder l'autodétermination, ce qui contraste avec la position palestinienne de Macron.

Les interventions de la France, comme au Mali ou en Libye, sont présentées comme des efforts de stabilisation, mais sont souvent critiquées pour avoir créé des vides de pouvoir ou servi les intérêts français. En 2023, les coups d'État au Niger et au Burkina Faso ont suscité un sentiment anti-français, la population locale accusant la France d'ingérence néocoloniale.

L'appel de M. Macron en faveur d'un État palestinien met l'accent sur l'autodétermination et la justice, mais les actions de la France dans d'autres domaines - maintenir le contrôle sur des territoires, influencer les gouvernements africains ou donner la priorité aux gains économiques - peuvent sembler contradictoires. Ses détracteurs estiment que le fait de défendre la souveraineté de la Palestine tout en la restreignant dans des pays comme la Nouvelle-Calédonie ou le Mali nuit à sa crédibilité morale. Par exemple, le rejet par la France des résolutions de l'ONU sur la décolonisation de ses territoires est en contradiction avec le soutien apporté à la création d'un État palestinien lors d'une conférence de l'ONU, ce qui laisse supposer une application sélective des principes.

La présence impérialiste de la France découle de son influence historique et continue, que les critiques considèrent comme une limitation de la souveraineté en Afrique et au-delà. Cette situation contraste fortement avec la proposition palestinienne de M. Macron, ce qui alimente les accusations d'incohérence - il défend le statut d'État dans un contexte tout en le niant dans d'autres. La question de savoir si cela reflète un pragmatisme stratégique ou une véritable hypocrisie dépend de la vision que l'on a du rôle mondial de la France.

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