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Billet de blog 22 juin 2025

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La France et le Royaume-Uni prévoient d'intercepter les bateaux de migrants

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En réponse à la forte augmentation du nombre de migrants traversant la Manche, la France s'apprête à modifier ses règles maritimes afin de permettre aux autorités d'intercepter les petits bateaux transportant des migrants jusqu'à 300 mètres de ses côtes. Ce changement de politique, détaillé dans un document du ministère français de l'Intérieur consulté par Reuters, vise à freiner le nombre croissant de migrants à destination du Royaume-Uni facilité par les réseaux de passeurs. La France et le Royaume-Uni prévoient de dévoiler ces mesures lors du prochain sommet franco-britannique en juillet 2025, signe d'un regain de coopération pour faire face à cette crise qui ne cesse de s'aggraver.

La Manche, l'une des voies maritimes les plus fréquentées au monde, a connu une augmentation de 42 % des arrivées de migrants au Royaume-Uni en 2025 par rapport à 2024, avec 14 811 personnes enregistrées au 1er juin 2025. Des conditions météorologiques favorables et de nouvelles tactiques de trafic, telles que le chargement plus dense des bateaux, ont contribué à cette augmentation. Rien que le 1er juin, 1 194 migrants sont arrivés à bord de 18 bateaux, ce qui représente le total quotidien le plus élevé de cette année.

Les autorités françaises n'interviennent actuellement que lorsque les migrants sont confrontés à un danger mortel en mer, en raison des lois maritimes qui donnent la priorité à la sécurité. La modification réglementaire proposée permettrait à la police et aux forces navales françaises d'intercepter les navires plus près des côtes, en ciblant ces « bateaux-taxis » qui récupèrent les migrants attendant dans les eaux peu profondes. Cependant, ce changement a suscité des inquiétudes parmi les ONG et les experts juridiques, qui avertissent que les interventions en mer pourraient mettre des vies en danger et violer les lois maritimes internationales, qui accordent aux individus le droit de quitter n'importe quel pays à moins qu'une infraction pénale ne justifie leur détention.

Le Royaume-Uni et la France s'efforcent de renforcer leur collaboration en matière de migration, soutenus par un accord anglo-français de 480 millions de livres sterling sur trois ans visant à financer le renforcement de la sécurité aux frontières, notamment par l'augmentation du nombre d'agents et l'amélioration des équipements de surveillance. Malgré cela, la France n'a intercepté que 38 % des bateaux de migrants en 2025, contre 45 % en 2024, ce qui suscite la frustration du Royaume-Uni. La ministre britannique de l'Intérieur, Yvette Cooper, a exhorté les autorités françaises à agir rapidement, soulignant la nécessité d'intercepter les bateaux non seulement sur les plages, mais aussi sur les voies navigables intérieures où opèrent les passeurs.

Les relations entre les deux pays se sont améliorées depuis l'arrivée au pouvoir du Premier ministre britannique Keir Starmer en 2024. Le cabinet de M. Starmer a souligné que la migration était une priorité pour le sommet de juillet, notant la « détérioration de la situation » dans la Manche. Le ministre français de l'Intérieur, Bruno Retailleau, a également plaidé en faveur d'une nouvelle approche, appelant à des interventions dans les eaux peu profondes tout en respectant les lois maritimes.

La recrudescence des traversées a intensifié la pression politique sur le gouvernement travailliste de Starmer, qui a abandonné le programme controversé d'expulsion vers le Rwanda mis en place par le précédent gouvernement conservateur au profit d'une lutte contre les réseaux de passeurs. Les détracteurs, dont le ministre de l'Intérieur fantôme Chris Philp, affirment que les politiques du Parti travailliste n'ont pas réussi à dissuader les traversées, 2025 étant en passe d'être la pire année pour les migrations dans la Manche. Philp a même suggéré de suspendre l'accord de pêche entre le Royaume-Uni et la France jusqu'à ce que la France améliore ses taux d'interception.

Du côté français, certains responsables et dirigeants locaux attribuent cette augmentation au Brexit, affirmant que la sortie du Royaume-Uni du règlement de Dublin de l'UE a affaibli la coopération en matière d'asile et fait du Royaume-Uni une destination attrayante, souvent perçue comme un « Eldorado » en raison de la langue, des liens familiaux et de l'accès au travail jugé plus facile. Cependant, l'Observatoire des migrations de l'université d'Oxford a contesté l'idée selon laquelle le climat serait le seul facteur à l'origine de l'augmentation à long terme, suggérant que des facteurs systémiques plus profonds sont en jeu.

Les préoccupations en matière de sécurité sont importantes. En 2024, un nombre record de 78 migrants sont morts en tentant de traverser la Manche, et au moins 17 sont morts en 2025. Les bateaux surchargés, qui transportent désormais en moyenne 53 personnes contre 13 en 2020, augmentent le risque de chavirement. Les groupes de soutien aux migrants, tels qu'Utopia 56, avertissent que les interventions en mer pourraient accroître ces dangers, pouvant entraîner des mouvements de panique et des noyades. La police française est également confrontée à une certaine résistance, des migrants lançant des pierres et utilisant des enfants comme boucliers pour dissuader les interventions.

Alors que la France se prépare à déployer six nouveaux navires de patrouille et à finaliser ses directives « pieds dans l'eau », les deux pays se préparent à un été difficile, avec des vagues de chaleur qui devraient entraîner une augmentation des traversées. Le projet de loi britannique sur la sécurité des frontières, l'asile et l'immigration, qui traite les passeurs comme des terroristes et impose des sanctions sévères, reflète l'approche du Parti travailliste axée sur la répression. Parallèlement, la doctrine maritime française en pleine évolution vise à trouver un équilibre entre l'efficacité et les obligations juridiques et humanitaires.

Le succès de ces mesures dépendra de la coordination franco-britannique, de la clarté juridique et de la capacité à démanteler les réseaux de passeurs sans aggraver le bilan humain. À l'approche du sommet de juillet, la Manche reste un point chaud de la politique migratoire, mettant à l'épreuve la détermination des deux gouvernements à faire face à une crise alimentée par l'instabilité mondiale, le changement climatique et les disparités économiques.

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