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Billet de blog 27 janvier 2025

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Ce que la France perd en fermant ses bases militaires en Afrique

La fin de l'interventionnisme militaire de la France aura des répercussions diplomatiques au-delà de l'Afrique. Elles se font déjà sentir à Bruxelles, Washington et New York.

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Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a annoncé le 31 décembre 2024 que toutes les bases militaires étrangères dans son pays fermeraient d'ici 2025. Le même jour, le président ivoirien a déclaré que la France céderait le contrôle de la base militaire d'Abidjan à l'armée de son pays.

Ces annonces font suite au retrait programmé des forces françaises du Tchad, du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Le chercheur Thierry Vircoulon analyse les implications potentielles de ces décisions pour la France.

Quels avantages la France pourrait-elle perdre en retirant ses troupes des pays africains ?

L'importance stratégique de la présence militaire française en Afrique francophone a évolué au cours des 65 dernières années. Au fil du temps, cette présence a perdu de son importance. À la fin du XXe siècle, certaines bases militaires françaises avaient été fermées et le nombre de soldats prépositionnés était passé de 20 000 en 1970 à 6 000 en 2022.

Les bases militaires ont constitué un atout stratégique pour la France, d'abord en sécurisant les régimes nouvellement indépendants et fragiles au lendemain de l'indépendance. Elles ont également joué un rôle clé dans la conduite des opérations extérieures. Ces bases ont servi de plateformes logistiques permettant les interventions militaires françaises et l'évacuation des ressortissants français en cas de crise.

Sans ces points logistiques, la projection de la force militaire devient beaucoup plus difficile et, dans certains cas, impossible. La fermeture de ces bases militaires implique la fin d'interventions militaires françaises majeures, telles que l'opération Licorne (2002-2015) ou Barkhane (2014-2022).

Ces dernières années, l'analyse coût-bénéfice de ces bases a été remise en question à Paris. Elles sont devenues un enjeu politique et stratégique. D'une part, ces bases symbolisent l'ancien pacte de sécurité post-indépendance entre Paris et les dirigeants de certains pays, ce qui les fait apparaître comme un héritage du néocolonialisme.

D'autre part, d'un point de vue stratégique, une présence militaire prépositionnée en Afrique ne sert pas à grand-chose lorsque les principales menaces pour la France viennent d'ailleurs (par exemple, d'Europe de l'Est et du Moyen-Orient). Par conséquent, la valeur stratégique des bases militaires françaises en Afrique a diminué ces dernières années.

Quel impact le retrait militaire pourrait-il avoir sur l'influence politique et diplomatique de la France dans ses anciennes colonies africaines ?

La fermeture des bases marquerait la fin de la capacité d'intervention - justifiée ou non - de la France dans certains conflits en Afrique.

Cela affaiblirait son influence dans la région, d'autant plus que les conflits s'intensifient sur le continent et que de plus en plus de pays africains sont à la recherche de fournisseurs de sécurité. Pour aborder, stabiliser ou résoudre ces conflits, il faut une combinaison de diplomatie et d'intervention militaire.

Ce retrait pourrait-il réduire l'influence de la France dans la gestion des crises sécuritaires en Afrique ?

Dans le cadre de la répartition informelle des responsabilités sécuritaires entre les pays occidentaux, la France a longtemps été considérée comme le « gendarme de l'Afrique ».

Entre 1964 et 2014, la France a mené pas moins de 52 opérations militaires sur le continent. Au début du XXIe siècle, elle a joué le rôle de chef de file des interventions militaires européennes en Afrique. Les autres puissances occidentales ont reconnu l'expertise de la France dans la gestion des crises africaines. Dans la plupart des cas, elles ont soutenu ou simplement suivi ses politiques.

Cela se reflète dans les responsabilités diplomatiques de la France au sein de l'Union européenne et des Nations unies. La diplomatie française est bien représentée au sein de la division Afrique du Service européen pour l'action extérieure. La délégation française est chargée de rédiger les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies sur l'Afrique. Le département des opérations de maintien de la paix de l'ONU est dirigé par un diplomate français.

La fin de l'interventionnisme militaire de la France aura des répercussions diplomatiques au-delà de l'Afrique. Elles se font déjà sentir à Bruxelles, Washington et New York.

Comment la réduction de la présence militaire affectera-t-elle la capacité de la France à protéger ses intérêts économiques, notamment dans les secteurs minier et énergétique ?

En 2023, l'Afrique ne représentait que 1,9 % du commerce extérieur de la France, 15 % de son approvisionnement en minerais stratégiques et 11,6 % de son approvisionnement en pétrole et en gaz.

Les deux premiers partenaires commerciaux de la France en Afrique subsaharienne sont le Nigeria et l'Afrique du Sud, anciennes colonies britanniques qui n'ont jamais accueilli de base militaire française.

Depuis le début du siècle, les relations entre la France et les pays africains ont été marquées par une séparation nette entre les intérêts économiques et militaires. Non seulement la France a de moins en moins d'intérêts économiques en Afrique, mais ceux-ci sont concentrés dans des pays qui n'accueillent pas de bases militaires françaises.

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