Louis G. Durand (avatar)

Louis G. Durand

Abonné·e de Mediapart

106 Billets

0 Édition

Billet de blog 29 septembre 2025

Louis G. Durand (avatar)

Louis G. Durand

Abonné·e de Mediapart

La tempête fiscale française

La crise remonte au budget 2026, qui doit être débattu au Parlement en octobre.

Louis G. Durand (avatar)

Louis G. Durand

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Alors que le froid automnal s'installe sur la Ville Lumière, une tempête d'un autre genre se prépare dans ses rues. Le 29 septembre, des milliers de manifestants ont envahi Paris et les villes de province, brandissant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire "Prendre aux riches" et scandant des slogans en faveur de la "justice fiscale." Leur cible ? La dernière tentative du gouvernement français de réduire un déficit budgétaire galopant sans toucher au portefeuille des plus riches. Au cœur de la tourmente se trouve Sébastien Lecornu, le tout nouveau Premier ministre français – le cinquième en moins de deux ans – aux prises avec un champ de mines parlementaire qui pourrait le renverser avant même qu'il n'ait eu le temps de déballer ses cartons.

La crise remonte au budget 2026, qui doit être débattu au Parlement en octobre. Le déficit public français devrait atteindre 5,4 % du PIB cette année, le plus élevé de la zone euro, accablant le pays d'une dette croissante et de la surveillance de l'UE. Le gouvernement sortant du président Emmanuel Macron avait proposé des réductions des dépenses et des hausses d'impôts temporaires pour les grandes entreprises et les hauts revenus (jusqu'à 4 % pour ceux qui gagnent plus de 250 000 euros par an) afin de lever 10 milliards d'euros. Mais ces mesures ont échoué, rejetées par une Assemblée nationale fragmentée où aucun parti ne détient la majorité. Aujourd'hui, M. Lecornu doit rassembler le soutien des socialistes de gauche ou du Rassemblement national de Marine Le Pen, à l'extrême droite, pour éviter un vote de défiance. Les deux camps ont lancé un ultimatum : concessions ou effondrement.

Qu'est-ce qui a mis le feu aux poudres ? Une vague de colère publique contre les mesures d'austérité qui épargnent l'élite tandis que les familles françaises ordinaires se serrent la ceinture. Les syndicats, qui mènent la charge dans les manifestations anti-austérité, dénoncent un système truqué en faveur des riches. Un sondage Ifop commandé par le Parti socialiste, réalisé auprès de 1 000 personnes, révèle clairement ce sentiment : 85 % des personnes interrogées exigent que l'assainissement budgétaire donne la priorité à l'imposition des grandes entreprises et des riches. Il est frappant de constater que 92 % des électeurs centristes de Macron soutiennent la proposition de "taxe Zucman" — du nom de l'économiste Gabriel Zucman —, un prélèvement de 2 % sur les fortunes supérieures à 100 millions d'euros. Il ne s'agit pas d'un radicalisme marginal, mais d'un appel général à l'équité dans un pays où les inégalités se sont aggravées dans un contexte de reprise post-pandémique et d'inflation galopante.

Le peuple veut un impôt sur la fortune, tout simplement. Aboli en 2018 sous Macron pour endiguer la fuite des capitaux, l'ancien Impôt sur les Grandes Fortunes (ISF) visait autrefois les actifs supérieurs à 1,3 million d'euros. Son fantôme hante le débat, avec des appels à le rétablir ou à le réinventer. Les socialistes soutiennent le projet de Zucman, qui pourrait générer 30 milliards d'euros par an. Le Rassemblement national de Le Pen riposte avec une "taxe sur la fortune financière", qui exempte les maisons familiales et les exploitations agricoles afin de séduire les électeurs ruraux, tout en ciblant les actifs improductifs tels que les actions et les obligations. Même les centristes évoquent à voix basse la possibilité de modifier certaines niches fiscales, telles que l'abri fiscal Dutreil pour les entreprises familiales ou les prélèvements sur les holdings, que des experts fiscaux comme Xenia Legendre qualifient de « scandale de longue date ».

Lecornu marche sur une corde raide. Dans une interview accordée au Parisien, il s'est montré ouvert à l'idée d'augmenter certaines taxes pour les plus riches tout en en réduisant d'autres, reportant la décision finale au Parlement. Il s'est toutefois opposé à un retour en force de la « taxe sur les riches », avertissant que cela pourrait faire écho à la supertaxe de 75 % sur les millionnaires de François Hollande, qui avait poussé les hauts revenus à s'exiler à l'étranger. "Je n'ai pas l'intention de rétablir l'ISF", a-t-il déclaré, mais il a ajouté qu'il envisagerait des mesures « ciblées » pour les "fortunes improductives". Son ambiguïté a irrité ses alliés : Charles de Courson, un centriste partisan de la rigueur budgétaire, préconise de mettre fin aux échappatoires fiscales des holdings, tandis que Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes française, insiste sur le caractère essentiel de l'impôt sur la fortune, à condition qu'il soit conçu pour préserver la croissance.

Les voix de l'opposition amplifient la pression. Marine Le Pen, qui envisage de se présenter à l'élection présidentielle de 2027, a déclaré que son parti n'avait pas "confiance" dans les "lieutenants" de Macron, tels que Bruno Lecornu, et s'est engagée à le juger sur son discours d'octobre. Le député du Rassemblement national Jean-Philippe Tanguy a mis l'accent sur leur projet de "justice fiscale", refusant de laisser la gauche s'approprier le discours. Sur le plan intellectuel, Thomas Piketty, le gourou des inégalités, estime qu'un impôt sur la fortune de 2 % est le "minimum absolu" pour assurer la santé budgétaire. Mais les milliardaires ripostent : Bernard Arnault, de LVMH, a critiqué l'idée de Zucman, la qualifiant de destructrice de "l'économie libérale" française, et les lobbies économiques, inquiets du ralentissement des investissements, lui ont emboîté le pas.

Les économistes comme Moscovici estiment que les trois quarts des mesures visant à réduire le déficit reposent sur des réductions des dépenses et des gains d'efficacité, mais l'opinion publique exige un équilibre. Les manifestations, qui se multiplient depuis l'été, mêlent des revendications fiscales à un mécontentement plus général face à la politique pro-business de Macron, qui symbolisait autrefois le renouveau mais qui fleure aujourd'hui l'élitisme.

Si Lecornu cède, un impôt sur la fortune pourrait marquer un tournant, en finançant les programmes sociaux sans réduire les services. Refuser, c'est risquer d'être évincé : Macron pourrait nommer un sixième Premier ministre, mais les calculs restent brutaux. Une impasse prolongée pourrait effrayer les marchés, faire grimper les coûts d'emprunt et éroder l'influence de la France au sein de l'UE, réalisant ainsi la prophétie chaotique de Le Pen. Alors que les manifestants envahissent la Bastille, un message résonne clairement : le peuple veut de l'équité, pas des apparences. Dans une nation née de la révolution, ignorer cela pourrait s'avérer plus coûteux que n'importe quelle taxe.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.