Il fut un temps où les féministes demandaient des quotas : 25 % de femmes dans les conseils municipaux, à l’Assemblée ou au gouvernement. Cette revendication, à l’époque, fut balayée avec dédain : la France, disait-on, était universaliste, les quotas une invention américaine, et imposer de telles mesures serait une insulte pour les femmes compétentes. Les discours étaient polis, mais le message implicite très clair : circulez, il n’y a rien à voir.
Alors, plutôt que de demander moins, pour ne pas effrayer ces messieurs, les féministes ont demandé plus : non plus un quota, mais l’égalité pure et simple. Elles ont repris le mot « parité », jusque-là cantonné au vocabulaire syndical, et affirmé que représentant la moitié de l’humanité, les femmes devaient représenter la moitié des élus. Paradoxalement, cette exigence maximaliste a eu plus de succès. Il était facile de s’opposer à un quota, il devint presque impossible de s’opposer à la parité. La loi fut adoptée en l’an 2000.
En 1997, avant la loi, il y avait 10,9 % de femmes à l’Assemblée nationale ; en 2002, il y en avait 12,3 % ; en 2007, 18,5 % ; en 2012, 26,9 % ; en 2017, 38,8 %. La parité réelle n’est pas encore atteinte, mais la dynamique a profondément transformé le paysage politique. Et surtout, elle a déplacé le centre du débat : on ne parle plus de « favoriser » les femmes, on parle de représenter justement la société.
Vingt-cinq ans plus tard, la même révolution s’impose sur le terrain fiscal. Les travaux de plusieurs économistes, dont ceux de Gabriel Zucman, montrent qu’en proportion de leur fortune, les Français moyens paient beaucoup plus d’impôts que les ultra-riches. La fiscalité, censée être progressive, est devenue régressive : plus on est riche, moins on contribue, en proportion de ce que l’on possède.
C’est ce scandale que la « taxe Zucman » entendait corriger. Elle proposait, modestement, que les milliardaires paient au minimum 2 % de leur patrimoine annuel. Mais même cette mesure timide, pourtant soutenue par 86 % des Français, a été rejetée par le Parlement, sous la pression conjuguée du centre, de la droite et de l’extrême droite. Ce rejet n’est pas seulement un revers politique : c’est un symptôme. Cela montre que les institutions françaises ne défendent plus la majorité, mais les intérêts d’une minorité fortunée.
Face à ce déni de justice fiscale, il ne faut pas demander moins : il faut, comme les féministes d’hier, demander plus. Il faut exiger la parité fiscale. La parité fiscale, c’est le principe selon lequel les ultra-riches doivent être imposés, au minimum, au même niveau que les autres citoyens en proportion de leur richesse. Rien d’excessif, simplement l’égalité devant l’impôt. Et si l’on voulait être vraiment juste, ils devraient même contribuer davantage, comme le veut le principe de progressivité.
Cette exigence de parité fiscale a plusieurs vertus : elle est compréhensible, symbolique et profondément démocratique. Elle rappelle que l’égalité ne s’arrête pas à la porte des conseils municipaux ou des entreprises, mais qu’elle doit aussi s’appliquer au cœur du pacte républicain : la fiscalité.
Dans les semaines à venir, et plus encore à l’approche de la présidentielle, ce devrait être le mot d’ordre de toute la gauche : cesser de plaider timidement pour une taxe Zucman, trop limitée et désormais enterrée, et revendiquer haut et fort la parité fiscale. Car, tout comme la parité politique a permis de réduire les inégalités de genre, la parité fiscale réduira les inégalités d’argent. Et peut-être, par là même, redonnera-t-elle un peu de crédibilité à une démocratie qui, de plus en plus, ressemble à une ploutocratie.