Le 21 mars dernier, Madame Audrey Azoulay, la nouvelle ministre de la culture et de la communication, et Monsieur Patrick Bloche, le président de la commission des affaires culturelles, ont tenu à apporter une contribution originale à la journée Internationale pour l'élimination de la discrimination raciale.
En effet, ils ont fait retirer du projet de loi Création, Patrimoine et Architecture, les trois amendements (N°355, 357 et 358) qui auraient permis grandement de lutter contre les discriminations que subissent les musiques ultramarines et régionales.
Ces amendements étaient issus des Etats généraux de l'Outre-mer, qui avaient été organisés après les émeutes des Antilles de 2009. Ils avaient été soutenus par la ministre de l'Outre-mer, par de nombreux artistes (de Jocelyne Beroard de Kassav à Philipe Laville en passant par Francis Lalanne, Jean-Michel Martial ou Tony Chasseur), et ils avaient été déposés par plusieurs députés dont Razzy Hammadi, Olivier Faure, Victorin Lurel, Mme Orphé, M. Premat, Mme Chapdelaine, Mme Povéda, Mme Le Houerou, M. Demarthe et Mme Guittet.
Ces amendements avaient pour but d'instaurer un quota dans le quota. En effet, les chaînes de radio et les télévisions ont l'obligation de diffuser au moins 40 % de musique francophones, et il s'agissait de proposer que 10 % de ce quota (soit 4 % au total) soient consacrés aux langues d’expression régionale ou des collectivités territoriales situées en outre-mer. Toute cette campagne avait été organisée par deux organisations, le CRAN et l'Or des Îles.
Pendant l'examen du projet de loi à l'Assemblée nationale, le ministère de la culture et la commission des affaires culturelles, présidée par M. Bloche, se sont opposés à ces amendements en expliquant que la loi prévoyait déjà que la culture française soit représentée, et que cela incluait naturellement les cultures régionales et d'Outre-mer, qui sont partie intégrante de la nation. En d'autres termes, on confondait objectivement l'égalité formelle et l'égalité réelle, au moment même où le président et le Premier ministre venaient de créer le ministère chargé de l'égalité réelle.
Par ailleurs, par un paradoxe qui mérite d'être goûté, la loi prévoit un quota pour protéger la musique française, qui risque d'être écrasée par le poids de la musique anglo-saxonne, mais on refuse un quota pour défendre les musiques régionales et d'Outre-mer, qui risquent d'être elles-mêmes écrasées dans le contexte français. En d'autres termes, l'Etat français qui s'oppose en général à toute politique de quota pour les minorités, en a prévu un pour la musique dominante dans le pays, tandis que la musique des groupes discriminés, elle, n'en bénéficie pas.
C'est pourtant cette diversité culturelle qui fait la France. La diversité de ses paysages, de ses terroirs, de ses coutumes, de ses cuisines, de ses musiques aussi. Introduire un quota pour les musiques régionales et d'Outre-mer, c'est renforcer la filière de la musique française et des artistes français. D’après un sondage IFOP, 65 % des personnes âgées de vingt-cinq à trente-quatre ans se plaignent d’entendre toujours les mêmes titres à la radio. Ce sondage reflète bien une insatisfaction quant au manque de diversité musicale en France. Il faut défendre la diversité culturelle, car la culture dans l'uniformité, ce n'est plus la culture.
Malheureusement, ce n'est guère la politique actuelle du ministère de la culture. Le texte proposé par le gouvernement est tellement complexe que les professionnels trouveront certainement le moyen de l’utiliser à leur profit, pour continuer à servir leurs musiques formatées. Par ailleurs, le collège de la diversité qui a été récemment constitué par le ministère ne comprend aucune association représentant les personnes et les cultures issues de la diversité, ce qui paraît assez grotesque. Madiba Mandela le disait toujours, « ce que vous faites pour nous, sans nous, est toujours contre nous ».
Afin de mettre en lumière l’abîme de discrimination dont sont victimes les musiques et les cultures régionales et d'Outre-mer, sans doute faudrait-il que les pouvoirs publics constituent une commission d'enquête parlementaire pour remédier par des mesures énergiques et tangibles à cette ségrégation qui ne dit pas son nom.