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Billet de blog 14 novembre 2017

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Réaction à l'épisode de l'émission "Les pieds sur Terre" consacré à "L'usine toxique"

Je publie ici une réaction de ma fille Anne. Voisine de l'usine SNEM de Montreuil, elle réagit à la manière dont l'émission "Les pieds sur Terre" a traité ce dossier sensible

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Fidèle auditrice de France Culture et en particulier de votre merveilleuse émission "Les pieds sur Terre » qui m’a souvent fait partir dans les airs, j’écoute empressée la diffusion "Usine toxique » qui me concerne directement puisque riveraine immédiate, en limite de propriété de celle-ci depuis 1993 soit 24 ans.

Hélas dès la présentation rituelle mes poils se hérissent.

La brève description du "quartier avec des petits pavillons, maisons avec un bout de jardin, ça reste modeste » date de plus de quinze ans.

La moindre maisonnette dans ce quartier dit des Guilands qui ne ressemble pas à Versailles je vous l’accorde, est inaccessible aux ouvriers, employés ou à ceux qui n’ont pas les apports financiers « familiaux » où autres.

Cela s’appelle la gentrification et j’ai bien conscience de faire partie des précurseures.

Chacun de nous a un parcours personnel qui nous a conduit à vivre et/ou travailler ici et chacun est respectable. Mais si Montreuil reste populaire, ce n’est pas le cas de ce quartier.

Dire qu’un maire communiste (un vrai du PC) va à l’encontre de ce qu’on pourrait attendre d’une ville Bobo, n’est pas étayé et montre l’ignorance de la vie politique Montreuilloise où toutes les gauches confondues ne cessent de s’écharper depuis de longues années. Nous avions précédemment une Maire écologiste, Mme Voynet, M.Bessac notre maire a été élu sous l’étiquette Front de Gauche et LREM a fait 42% aux élections législatives. M. Corbière notre député « insoumis » s’est présenté contre le communiste local qui en a fait les frais.

Puis vient le témoignage de cette jeune femme gravement blessée (les 21 jours d’ITT en témoignent) avec d’autres, lors de l’évacuation très violente du rassemblement de septembre.

Bien qu’émue comme vous à l’évocation des violences subies, mon bureau donnant sur l’usine et la rue, je ne peux qu’être outrée quand celle-ci parle d’un rassemblement vraiment bon enfant où on rit on chante quand une autre violence, plus sourde celle-là avec des slogans tels « qu’empoisonneurs », « menteurs », lancés aux ouvriers, moqueries diverses et l’impossibilité pour ceux des riverains en désaccord avec les modes d’action du collectif, tout en ayant une inquiétude réelle quant à la dangerosité éventuelle de l’usine, de pouvoir s’exprimer sans se faire hurler dessus ou simplement couper la parole par des experts en communication, est forte ce jour là mais aussi depuis début septembre.

Je passe sur le rapprochement usine /leucémies sans que personne ne contacte l’ARS pour connaître la prévalence des celles-ci dans le quartier comparé à la France. Puis le retournement excluant la Leucémie suite aux analyses de Benzène et dans l’école et autour pour se concentrer sur le Chrome 6.

Mais la peur s’est installée le collectif sait l’utiliser (votre témoin en parle encore) et toute velléité de dialogue est alors impossible. Tous les analyses qui ne vont pas dans le sens de la fermeture immédiate sont balayées, seul le collectif sait, mieux que tous y compris les ouvriers ce qui est bon pour chacun de nous et comment procéder.

Les violences de l’évacuation et les mises en garde à vue de manifestants qui m’ont profondément choquée, ont donné, malheureusement pour les victimes, une nouvelle légitimité au groupe dont certains s’approprient le statut de lanceurs d’alerte. Vous même y avez été fort sensible.

J’aurais aimé que vous ayez pu entendre quand la presse n’est plus là et quand en aparté on dénigre le maire communiste ou ces …. De la CGT.

Ou enregistrer ces parents d’élève (au carré Désiré lieu des rassemblements du samedi) quand on leur reparle de la manipulation autour de la Leucémie « mais on en a rien à faire le problème c’est le Chrome 6 ». Merci pour les enfants malades et mon voisin décédé.

J’aurais aimé que vous puissiez entendre la souffrance de certain.es employé.es de se sentir derrière une grille tels des animaux de zoo. Pendant que la foule crie ou que des inconnu.es en touriste alertés par les articles de journaux viennent les photographier.

Vous n’avez sans doute pas pu les rencontrer car ils n’ont pas ou plus confiance dans ce que les médias vont dire d’eux, que de se faire désigner comme « petites gens » non seulement les indigne mais ne leur donne pas envie de se battre aux côtés d’un collectif qu’ils trouvent pour la plupart méprisant

J’aurais aimé que vous soyez là pour voir leur désarroi devant la dégradation de leur outil de travail (collage des portes, béton dans la grille) ou quand quelques uns ont trouvé refuge en passant par chez moi.

J’aurais aimé que vous vérifiiez les allégations autour des fameux déménagements secrets avant les analyses ou la réalité des liens entre maux de tête et l’usine.

Les médecins du quartier sont oubliés ?

J’aurais aimé entendre les riverains épuisés par l’agressivité du collectif et qui pour certains vont prendre le métro à Robespierre ou Gallieni ou ceux qui en ont la possibilité de passer par le sentier des buttes pour sortir de chez eux pour ne pas avoir à passer au milieu de la foule. Car pour ce collectif on est avec ou contre eux.

La nuance n’existe pas.

L’affichage sauvage a envahi le quartier avec des slogans qui pour certains n’ont d’autres sens que de faire peur. L’utilisation des morts de Bhopal ou d’AZF l’appropriation de slogans tel que celui d’ACT UP comme « l’utilisation » de la leucémie en a fait vomir plus d’un.

La propagande et la communication ont remplacé l’information.

Malheureusement dans ce contexte des riverains cachent leur opinion de peur du préjudice que pourrait leur apporter cet affichage dans un quartier où l’entre-soi fait figure d’amitié et de relation de travail.

La gorge serrée j’ai écouté l’émission jusqu’au bout en espérant entendre la nuance.

Hélas.

Comme beaucoup de riverains qui formons un collectif discret (car certains ne veulent se dévoiler), décidés à participer à une table ronde proposée par la mairie et acceptée par le ministère de l’environnement, nous souhaitons non pas la fermeture coûte que coûte de l’usine, mais des informations transparentes et publiques qui nous permettraient enfin de savoir si la fermeture est nécessaire auquel cas nous ne nous y opposerions évidemment pas ou si le maintient sur site est possible, pour que le quartier puisse garder sa diversité.

Chacun dans sa démarche est je le crois sincère, mais la foule est un personnage étrange et je ne doute pas que certains ne se reconnaitrons pas individuellement dans l’agressivité que je décris.

La gentrification n’est pas affaire d’individus mais de réalité sociale et le minimum est, comme je pense le faire, en avoir conscience.

Je ne suis surtout pas adepte du « c’était mieux avant » mais le quartier n’est pas celui de quelques uns et le vivre ensemble demande un minimum de respect envers TOUS ses habitants.

J’écouterai toujours « Les pieds sur terre » mais avec une oreille différente.

Encore merci pour vos émissions.

Cordialement

            Anne Lacarra-Joinet

https://www.franceculture.fr/emissions/les-pieds-sur-terre/lusine-toxique 

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