Le méfiance, le refus, le mépris sont les sentiments qui dominent les discours sur l’UE. De quels maux l’Union Européenne ne serait-elle pas la responsable ? Néo-libéralisme, la précarité des agriculteurs, “l’Europe forteresse” et le laxisme migratoire, le bellicisme ukrainien et la passivité européenne, Bruxelles les représente tous à la fois.
Qu’est-ce qui justifie cette défiance envers un projet qui se voulait pourtant fédérateur ? Pourquoi l’alternative entre européisme et euroscepticisme reprend l’alternative des “élites” contre les “populismes”, des “pragmatiques” contre les “extrêmes” ? Il y a effectivement un problème avec l’Union Européenne, mais ce n’est pas la faute des normes de la Commission - c’est bien plus profond que ça.
Le problème, c’est que l’Union Européenne n’a pas embarqué les peuples dans sa construction. Argument populiste me direz-vous. Mais la réalité est que cette institution peine à rendre légitime ses décisions, ce qui en fait le bouc-émissaire idéal pour les élus nationaux, impuissants face à la bureaucratie bruxelloise, dont les décisions - inscrites dans un champ de compétence limité du fait de la délégation volontaire de souveraineté - s’imposent à la législation nationale, inférieure dans la hiérarchie des normes. Or dans nos démocraties, les décisions collectives sont légitimées par le vote de tous et par le contrôle des citoyens de nos représentants : seul 1 électeur européen sur 2 s’est déplacé pour voter aux élections législatives de 2019, pour une institution qui pourtant ne garantit pas une réelle émergence des volontés populaires.
Un sondage Eurobaromètre du 19 avril 2024 fait de nous, Français, les citoyens les plus pessimistes ayant le moins confiance dans l’avenir de l’Union. L’institution du Parlement européen n’a une image positive que pour 27% des Français, et recueille même une opinion défavorable auprès de 28% d’entre eux. Cela est corrélé au fait que 69% d’entre eux considèrent que leur niveau de vie personnel a baissé ces cinq dernières années.
Or dans la doctrine institutionnelle européenne, c’est le Parlement qui représente nos intérêts - tandis que le Conseil représente les Etats et la Commission l’UE… Ce Parlement-là, faiblement élu, a donc même des pouvoirs limités : il n’a pas d’initiative des lois partage du pouvoir législatif avec le Conseil, alors même que ce dernier est déjà représenté par les exécutifs nationaux. La directive sur les travailleurs des plateformes a ainsi longtemps été bloquée notamment par les ministres français et allemands, alors même que le Parlement Européen soutenait cette nouvelle législation pour protéger les emplois « ubérisés », précaires.
A cela s’ajoute le climat socio-économique général, qui laisse penser que l’intégration dans l’Union Européenne n’a pas protégé ses citoyens : au contraire, du fait de son fonctionnement compétitif, elle apparaît comme un vecteur des inégalités croissantes.
Voilà une explication possible du renversement des alternances politiques dans toute l’Union Européenne. Ce renversement est révélé pour la première fois lors du référendum sur une « constitution européenne » en 2005 : des “partis de gouvernements”, unis, ont été battus par des “extrêmes”, des “antisystèmes”, jusqu’alors rangés en dehors du raisonnable. Cette opposition est entérinée dès 2017, lorsque Macron célèbre avec l’Ode à la joie (l’hymne européen) sa victoire après un 2nd tour qui l’opposait à Le Pen. Celle-ci promettait un référendum sur un possible “Frexit”. C’est bien à travers la question de l’Union Européenne que se retrouve le mieux le clivage entre les Deux Gauches ou le clivage entre la droite et l’extrême-droite. D’un côté désormais, l’Union Européenne et les “élites mondialisées”, de l’autre, les “illibéraux, populistes”. Défendre l’UE est alors un véritable choix politique controversé, et non un consensus autour de l’idéal pacifique d’un dépassement des Etats-Nations.
L’enjeu de cet appel est donc de renverser les dogmes et les paradigmes sur lesquels reposent l’Union Européenne. Le but : réintégrer des représentations réelles du peuple et ne plus se limiter à des consultations individuelles (où l’on demande des idées sur des post-its), à un vote tous les cinq ans, et à une gouvernance territoriale publique-privée…
Le dogme à questionner : le néo-libéralisme économique, qui empêche l’échelle des Etats toute marge de manœuvre pour proposer des alternatives politiques et économiques réelles. Cela ne fait qu’encourager le vote vers l’extrême-droite, projet radical qui fait de cette souveraineté perdue son terreau de popularité. L’Union Européenne doit montrer que sa souveraineté est déléguée par les Etats, non pas abandonnée par le peuple.
Le paradigme d’engagement doit ainsi être reconfiguré : il faut faire droit aux forces collectives de l’engagement. Celles-ci pourront donc installer un rapport de force au sein d’un espace public démocratique et ouvert.
Au début de la IIIe République en France, la légifération d’une société civile organisée a cimenté la Nation. C’est elle qui a ouvert à toutes les classes sociales une véritable représentation au sein des institutions. C’est elle qui a permis toutes les victoires sociales et sociétales dont nous sommes aujourd’hui les fiers héritiers. Ces engagements collectifs fondent la solidarité, forment des consciences, portent des revendications dans le sens de la société. Si l’Union Européenne veut vraiment avoir un pouvoir, cela nécessite une légitimité qui ne se contente pas de la validation quinquennale. Nous ne sommes pas une masse à consulter ou à sonder, mais un peuple composé d’une variété de nuances politiques. Nous voulons une Agora, un espace public qui reconnaît profondément les droits collectifs et individuels de ses citoyens.
Pour être enfin « unis dans la diversité ».