Louise Darrieu (avatar)

Louise Darrieu

Chargée de rédaction et de communication

Abonné·e de Mediapart

1 Billets

0 Édition

Billet de blog 6 février 2022

Louise Darrieu (avatar)

Louise Darrieu

Chargée de rédaction et de communication

Abonné·e de Mediapart

La Primaire Populaire, remède ou maladie de la vie partisane ?

Le 30 janvier Christiane Taubira a remporté la Primaire Populaire avec 392 738 voix. Présentée par ses partisans comme la seule issue démocratique viable, ce plébiscite est la cible de fortes critiques. Cette querelle révèle les mouvements parfois antagonistes qui traversent la gauche ainsi que les déconvenues qui malmènent notre démocratie.

Louise Darrieu (avatar)

Louise Darrieu

Chargée de rédaction et de communication

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce dimanche 30 janvier Christiane Taubira a remporté la Primaire populaire de la gauche. Quelques 392 738 votants[1] ont désigné par un scrutin à jugement majoritaire la future candidate qui saura, ils l’espèrent, regrouper toutes les forces de gauches en vue de la présidentielle. Présenté par ses partisans comme la seule issue démocratique viable face au marasme qui affligerait de nombreux sympathisants de gauche, ce plébiscite est la cible de fortes critiques. Cette querelle, qui anime la gauche du Parti Socialiste au NPA, révèle les mouvements parfois antagonistes qui la traversent ainsi que les déconvenues qui malmènent notre démocratie.

Qu’est-ce que la Primaire Populaire ?

La Primaire Populaire s’insère dans un mouvement de réappropriation « citoyenne[2] » des élections qui prend racine dans un public déjà politisé. L’objectif affiché est le consensus des dynamiques de gauche derrière un même candidat. Cette structure est portée par Mathilde Imer, écologiste à l'origine de la Convention citoyenne pour le climat et par l'entrepreneur Samuel Grzybowski, issu du mouvement Coexister. En février 2017, ils créèrent une organisation nommée « 2022 ou jamais » en charge de l’organisation de la primaire.

Le scrutin retenu dit « à jugement majoritaire[3] » n’est pas anodin. Les inscrits devront donner leur avis sur chaque candidat par un système de notes allant d’« insuffisant » à « très bien[4] ». Le gagnant sera celui qui aura reçu le plus d’appréciations favorables mais également le moins de notes dépréciatives. Ainsi, les candidats les moins clivant, ceux qui ne prennent pas le risque d’avoir des jugements négatifs, sont favorisés dans cette élection.

Cette primaire gratuite n’entend pas restreindre le vote qu’aux candidats officiellement inscrits. Aussi est-il possible de voter pour des personnalités rejetant ce mécanisme d’élection tels que Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo ou encore Yannick Jadot. Seuls Anna Agueb-Porterie, issue de la société civile, Pierre Larrouturou du mouvement Nouvelle Donne, Charlotte Marchandise, issue également de la société civile et enfin Christiane Taubira, soutenue par le Parti radical de gauche, reconnaissent leur participation à cette investiture.

 Présentée comme une innovation politique par ses fondateurs, la Primaire Populaire est entachée par des carences et irrégularités.

 Des failles et manquements encombrants

La Primaire Populaire a vu le jour à l’automne 2020 mais le fait est que sa médiatisation auprès du grand public n’a débuté qu’à l’été 2021 soit seulement huit mois avant l’élection présidentielle. Dès lors, se positionner comme la seule voie du rassemblement ne peut être défendu sans secousse. Donner confiance et mobiliser les citoyens demande du temps. La Primaire Populaire peut agiter ses 18 salariés et 5000 bénévoles comme preuve de sa force mais lorsqu’elle organise des « sit-in » devant les bureaux de campagne seule une poignée d’entre-deux répond à l’appel[5]. Le Temps long de la politique[6] manque cruellement à cette initiative qui plus est visant un consensus autour du vainqueur : sur quelle base faire reposer un consensus quand son représentant n’a pas de programme sur lequel démarrer les discussions avec les autres partis ? Comment faire émerger un programme commun en seulement deux mois ? Autant de questions qui restent sans réponse, la faute peut-être aux fondateurs qui n’ont pas daigné prendre le temps de s’y pencher.

Une Primaire véritablement populaire ? La question est légitime au regard du nombre de participants et de votants. Sur les 466 895 inscrits, qui ne représentent qu’une faible partie des sympathisants de gauche, seulement 392 738 ont participé au suffrage[7]. Reste encore à connaitre le pourcentage de votes positifs qu’a récolté Christiane Taubira pour connaitre la véritable légitimité démocratique que la candidate retire de ce vote : 67%[8] des votants ayant jugé sa candidature au moins « bien », Christiane Taubira n’aura était désignée comme candidate que par 263 135 personnes. A titre d’exemple, Jean-Luc Mélenchon avait recueilli 275 000 parrainages citoyens au début de sa campagne. En fin de compte, l’objectif de faire émerger un leader populaire semble n’être plus qu’un lointain fantasme.

Enfin, pour forcer Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon et Anne Hidalgo à rejoindre le mouvement, les organisateurs de la Primaire Populaire n’ont pas peur de dégrader le système démocratique de l’élection présidentielle. Dans un extrait de réunion en visioconférence divulguer par Le Canard Enchaîné Samuel Grzybowski indique vouloir faire chuter leurs cotes de popularité en menant des opérations de critiques massives sur les réseaux sociaux et de souhaiter empêcher leurs prêts bancaires pour qu’ils ne puissent pas mener campagne. « Notre but avec le pôle politique, c’est d’essayer d’empêcher que [...] Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel, Arnaud Montebourg et Yannick Jadot puissent avoir les 500 signatures, avec ce serment de Romainville qui bloque les parrainages [tant qu’il n’y a pas d’union de la gauche] », a même affirmé le président de la primaire. Les organisateurs jouent donc la carte d’une candidature supplémentaire et atone au prix des mécanismes démocratiques. Quoi de plus simple d’apparaître consensuel lorsque nous sommes rattachés à aucun programme ?

Ses fondateurs la voulaient sursaut démocratique, elle ne fut que l’émanation du souffle court de nos institutions. Présentée comme une innovation politique, la Primaire Populaire s’inscrit pourtant dans une Histoire bien plus longue des partis traditionnels.

 La primaire ou l’histoire du lent déclin du Parti Socialiste et des Républicains

La Primaire Populaire est tout bonnement une primaire interpartis. En cela elle marche dans les pas des primaires fermées utilisées par les partis politiques classiques comme le Parti Socialiste et Les Républicains. En étudiant l’évolution des primaires au sein de ces partis, la Primaire Populaire apparait comme la digne héritière des primaires ouvertes, dernière arme des partis pour pallier l’absence d’un leader naturel.

L’histoire du Parti Socialiste est révélatrice du lien immuable qui relie la perte de force du parti et l’utilisation accru de la primaire. Le mécanisme de désignation du candidat à la présidentielle est inscrit dans les statuts du parti dès son fondement lors du Congrès d’Epinay de 1971[9]. Toutefois, cet instrument ne fut jamais employé de 1971 à 1995, François Mitterrand étant le leader incontesté du parti. Ce non-respect des institutions met en exergue le rôle de garde-fou, d’issue de secours qu’endosse la primaire qui, en fin de compte, n’est utilisée qu’en cas de perte d’unité du parti. Ce n’est donc qu’en 1995 qu’a lieu la première primaire fermée au cours de laquelle seule la base restreinte des adhérents à jour de cotisation a pu choisir leur futur candidat. Mais en 2002 les règles changent. La fragmentation de la « gauche plurielle » a eu raison du candidat Lionel Jospin au second tour des élections présidentielles. En effet une radicale de gauche Christiane Taubira, un souverainiste Jean-Pierre Chevènement, deux candidats d'extrême-gauche Olivier Besancenot, Arlette Laguiller, un communiste Robert Hue et enfin un Vert Noël Mamère ont dispersé les voix de gauche. Le Parti Socialiste retiendra de ce 21 avril que des primaires de plus en plus ouvertes permettront de rassembler les sympathisants de gauche. En somme, c’est l’absence de candidat naturel que le parti a tenté de contrer avec cette primaire. Ainsi, en 2006 est fait le choix d’une surmédiatisation de la primaire socialiste afin de faire grossir le nombre d’adhérents. L’objectif est atteint : fin 2006, le parti Socialiste dénombrait 100 000 nouveaux votants[10].

Cette recherche constante d’un représentant légitime couplée à la tentative d’amenuiser les risques d’éparpillement des votes amène le Parti Socialiste a organiser en 2011 sa première primaire ouverte. Seulement trois conditions sont requises pour voter : l'adhésion aux valeurs de la gauche, le versement d'un euro et aller jusqu'au bureau de vote. Trois millions de votants se sont alors déplacés pour désigner François Hollande comme leur candidat légitime contre Martine Aubry, Arnaud Montebourg, Ségolène Royal, Manuel Valls, et Jean-Michel Baylet[11]. Un candidat qui, avant même d’entrer en campagne, ne faisait pas l’unanimité dans son camp.

Le recours à la primaire pour tenter d’entraver l’implosion des partis ne vient pas du Parti Socialiste comme le laisse croire la pensée commune mais bien de la droite. C’est Charles Pasqua qui, en 1990, envisage le premier d’introduire la primaire dans la vie politique française afin de départager Jacques Chirac et Valéry Giscard d'Estaing. Mais sa proposition de loi sera finalement abandonnée[12].

À partir de 1995 et à la suite de la rivalité présidentielle entre Jacques Chirac et Édouard Balladur, l’impératif de sélection d’un candidat commun à droite demeure, mais la solution envisagée n’est plus celle d’un scrutin[13]. La réponse choisie est celle de la création d’une structure partisane commune relevant d’une logique de fusion. C’est dans ce but qu’est créé en 2002 l’UMP. Mais dix ans après, cette nouvelle organisation n’a toujours pas relevé le défi de l’unité alors que la montée du Front national la rend encore plus brûlante. Le retour des primaires s’est alors imposé. Ce cheminement atteste donc de l’échec du parti fédérateur comme instrument de régulation de la compétition présidentielle et place de fait la primaire comme le dernier recours avant l’éclatement du parti.

Le retour des primaires à l’UMP pour les présidentielles de 2017 tient principalement de renforcement des crises internes au parti : l’emprunt de modèle d’organisation déjà existant émerge surtout en temps de crise. Ici, Les Républicains imitent la « Primaire Citoyenne » de 2011 du Parti Socialiste pour contrer la crise interne provoquée par la rivalité entre François Fillon et Jean-François Copé durant l’hiver 2012. Durant cet épisode la rupture de confiance au sein du parti s’est publiquement traduite par des accusations de fraudes et d’usurpation, par l’échec des médiations d’Alain Juppé puis de Nicolas Sarkozy et enfin par des menaces de recours en justice et de scission du groupe parlementaire.

La Primaire Populaire de 2022 n’a donc rien inventé. Ce mécanisme de désignation était déjà monnaie courante et faisait déjà l’objet de réserves certaines. L’emploi des primaires n’est pas un geste anodin et révèle la fragilité des instances partisanes. La Primaire Populaire ne fait pas exception. Mais alors que ce scrutin est utilisé comme remède par les partis, il apporte de nouveaux syndromes et transforme le cadre de la vie politique.

La primaire, un bouleversement des écosystèmes partisans

Au lieu d’atténuer la crise politique que traverse les partis, la primaire a redéfini le cadre et les règles qui régissent la campagne électorale. Tout d’abord, ce mécanisme a pour effet d’accélérer le rythme politique en introduisant une compétition officielle pour la candidature aux présidentielles seulement quelques mois avant l’élection (4 mois environ pour la Primaire Populaire). De ce fait, la concurrence débute bien plus tôt ce qui conduit à une dilatation de la période de campagne du parti, d’abord interne à une tendance politique puis globale. Cette conséquence peut être analysée plus en détails en faisant un effort de prospection : le mode de scrutin majoritaire à deux tours employé en France est conçu pour favoriser les ralliements des candidats évincés dès le premier tour aux camps des participants au second tour comme le prouve le délai de deux semaines qui sépare les deux temps forts de l’élection. Les primaires en général, et la Primaire Populaire de fait, rapproche notre mode de scrutin de celui des Etats-Unis dans lequel les partis désignent leur candidat qui n’aura donc à se confronter à la volonté des citoyens que lors d’un vote unique. En cela, les primaires volent le premier tour de la présidentielle en écartant encore un peu plus les citoyens du choix de leur futur président.

La primaire a pour second effet d’accroitre la compétition électorale et donc, dans le même temps, le caractère d’entreprise que revêt la mobilisation électorale. L’histoire récente de l’UMP est un parangon de cette transformation du climat électoral : avec l’avènement de la primaire, ce parti s’est fortement rapproché d’un modèle de professionnalisation des objectifs électoraux. Ici, la bataille de la primaire est bien le théâtre d’une surenchère des dépenses en évènements, communication et stratégies marketing en tous genres menant parfois à des excès certains comme le rappelle l’affaire Bygmalion.

Entre volonté d’unité et manquements déontologiques la Primaire Populaire a certes fait entendre le désir d’un renouveau démocratique mais au prix d’une certaine confusion. En effet, Christiane Taubira a été élue candidate…mais seulement candidate légitime aux yeux des électeurs de la Primaire Populaire. Le bien-fondé de la recherche du consens a elle été ternie par le manque de temps, les méthodes peu scrupuleuses et les soupçons de fraudes lors du vote. Toutefois, l’analyse historique de la genèse de la Primaire Populaire fait émerger les fragilités qui traversent les partis politiques actuels. Crise de confiance, d’unité et de structure, les partis s’orientent vers des modes de désignation qui bouleversent les codes électoraux sans redonner le goût de la politique aux citoyens.

Louise Darrieu

[1] Laprimairepopulaire.fr

[2] Ibis

[3] Ibis

[4] Ibis

[5] Tweet de Clément Lanot, 9 décembre 2021

[6] Boelaert Julien, Michon Sébastien, Ollion Étienne, « Le temps long de la politique », Pouvoirs, 2017/2 (N° 161), p. 61-72. DOI : 10.3917/pouv.161.0061. URL : https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2017-2-page-61.htm

[7] Laprimairepopulaire.fr

[8] Ibid

[9] Mabille Xavier, « Le Parti socialiste. Évolution 1978-2005 », Courrier hebdomadaire du CRISP, 2005/2-3 (n° 1867-1868), p. 5-65. DOI : 10.3917/cris.1867.0005. URL : https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2005-2-page-5.htm

[10] Ibid

[11] https://www.france-politique.fr/

[12] Éric Treille, « Les primaires ont-elles changé la vie politique en France ? Posez vos questions » [archive], sur lemonde.fr, 17 novembre 2016 (consulté le 17 novembre 2016).

[13] Haegel Florence, « La primaire à l’ump : genèse et enjeux », Pouvoirs, 2015/3 (N° 154), p. 89-98. DOI : 10.3917/pouv.154.0089. URL : https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2015-3-page-89.htm

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.