La fin des désillusions
La tendresse est à marée basse
La nuit est tombée, il a plu
Sur nos feux de joies et nos traces
Dans les bois où nous n'irons plus
Où est-il, où s'est-il tari
Le fleuve rouge de nos vies
Qui dévalait les rues d'été
La ville chaude sous nos pieds ?
Ô mes copains d'une autre vie
Le temps du rêve est bien fini
A mots couverts et le dos rond
Les fous se font une raison
Ceux qui rêvaient les yeux ouverts
Regagnent leurs quartiers d'hiver
Ne parlons que pour ne rien dire
Finis les jeux trop dangereux
Le temps des paroles de feu
Les bouches qui tremblaient de rire
Ô mes copains d'une autre vie
Le temps du rêve est bien fini
Sur les carreaux d'une fermette
Vingt briques, occasion à saisir,
Il finit sa vie en carpette
Le tapis volant des désirs
On aura beau forcer les doses
ça tourne à la cuite morose
Je vous le dis c'est le regel
La fête a pris du plomb dans l'aile
Ô mes copains d'une autre vie
Le temps du rêve est bien fini
L'utopie encerclée, meurtrie,
Se rend aux flics de l'évidence
Il y a du sommeil sur la France
L'hiver sera long, les amis
Poème de Philippe Lecarme, alors professeur à Lyon (1977)
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Depuis, cinquante printemps, cinquante hivers ont passé
Bruits retentissants de retournement des vestes de quelques figures médiatiques squattant sans vergogne les plateaux télévisés.
Mais qui a raconté les cinquante années de vie silencieuse des milliers d'ex- étudiants de 68 qui, sous des formes variées, sont restés fidèles aux idéaux de leur jeunesse ?
J'en connais, beaucoup. Engagés dans le syndicalisme, les associations, les mouvements sociaux, écologiques, féministes, ou encore dans la politique de la « gauche radicale » comme on dit. D'autres, enseignants, médecins, chercheurs, avocats … ont choisi de réinvestir dans leur vie professionnelle leur désir de « changer la vie ».
Oublié.e.s de l'histoire officielle, ils/elles ont contribué à garder allumé le flambeau de la contestation de l'ordre établi.
Et aujourd'hui, Philippe, dans nos rues, les feux de la révolte continuent de brûler.