Tristane Banon nous partage une « enquête exclusive » dans Franc-Tireur.
Une « enquête » ? A part deux ou trois anciens membres mécontents, des généralités et une absence totale de source, je ne vois rien. Avez-vous interrogé ne serait-ce qu’un membre de la CIIVISE ayant démissionné après le départ du juge Durand ? M’avez-vous interrogée ? On devine d’emblée votre position.
Une enquête « exclusive » ? Il me semble que vous ne faites rien de plus que répéter ce qu’on entend depuis des mois de la part de quelques personnalités : Durand est un gourou, les victimes adultes sont incapables de penser par elles-mêmes, sont instrumentalisées, et desservent la cause…
Une image dégradante des victimes.
Nous retrouvons l’idée selon laquelle Durand serait un homme sectaire. Il est question notamment de « ses fidèles » qui « s’en remettent à lui et à son jugement ». Ce que je vois surtout derrière cet argument fallacieux, c’est l’image dégradante qui est faite des victimes : celles-ci seraient manipulées, incapables de faire preuve d’esprit critique, d’adhérer rationnellement à une pensée.
On suggère que Durand aurait un passé de victime pour déprécier son travail, on insiste sur celui de Judith Godrèche dont la parole serait « écoutée comme un oracle ». Il faudrait ne pas être concerné pour avoir la légitimité de s’exprimer sur un sujet. Etrange, comme logique, mais c’est celle qu’on retrouve finalement si souvent dans le discours des dominants.
Les victimes sont par ailleurs réduites à une masse sans individualité, et leur vécu est minimisé : ce sont « les abusés », rien de plus.
La journaliste affirme qu’il ne suffit pas « de croire les victimes sur parole pour trouver toutes les solutions », saisissant l’occasion de remettre en question leur parole, d’insister sur la méfiance qui doit rester de mise quand il est question de violences sexuelles.
L’argument d’Outreau (toujours) pour décrédibiliser la parole des enfants.
C’est donc l’occasion de revenir sur l’affaire d’Outreau, comme toujours, pour décrédibiliser la parole des enfants et attaquer ceux qui se donnent la peine de l’écouter. Durand est le « nouveau juge Burgaud », attaqué après avoir cru les enfants victimes d’Outreau. La journaliste écrit : « On se souvient pourtant d’Outreau, des vies brisées par des expertises qui ont cru la parole d’enfants déboussolés »… Et les enfants détruits, on s’en souvient ? Rappelons que les enfants d’Outreau étaient victimes, ce que tout le monde semble avoir oublié. Et que la tragédie des enfants broyés par le système judiciaire, violés pendant des années avant d’être mis hors de portée de leurs agresseurs, a été totalement évincée. Le procès d’Outreau ne démontre pas le peu de crédibilité de la parole des enfants. Il démontre l’ignorance dans laquelle sont les adultes de ce qu’est la parole d’un enfant.
Les dysfonctionnements de la CIIVISE 1.
Je n’y étais pas, je laisserai les personnes concernées s’exprimer sur la question, puisqu’encore une fois seuls les quelques mécontents ont été interrogés.
Je laisserai également mon avocate s’exprimer elle-même sur ce qui a été dit à son propos : « Voilà maître Guedj qui veut intégrer la CIIVISE ! ». En vous renseignant davantage, vous auriez sans doute appris que c’est la nouvelle CIIVISE qui l’a contactée en ayant parfaitement connaissance de son engagement auprès de la CIIVISE 1, et du fait que c’était mon Conseil. Elle a cru qu’elle pourrait aider à faire changer les choses, et que les membres cherchaient à me manifester une forme de soutien, ce qui avait été tout sauf le cas jusqu’alors. Finalement il n’en était rien. Ils lui ont demandé de choisir entre la CIIVISE et moi.
Croire les enfants, c’est être « trop militant ».
Dire « je te crois, je te protège » à un enfant, c’est apparemment « trop militant »… C’est vrai que ça va tellement à l’encontre de la doctrine de la société et de la justice...
La journaliste revient sur la présomption d’innocence, qui n’aurait pas été respectée par le juge Durand: en réalité, celui-ci a simplement refusé de détourner ce principe pour offrir l’impunité aux agresseurs.
Vous oubliez également le principe de précaution qui n’est pas respecté en France. Rappelons que même l’ONU l’a signalé.
Pourquoi la parole des enfants fait-elle si peur ? Pourquoi vouloir continuer de la décrédibiliser ?
Victimisation et culpabilisation : inversion classique des rôles.
Je ne suis pas épargnée par la pensée de l’autrice qui affirme que les victimes sont incapables de penser par elles-mêmes : je serais « instrumentalisée ».
Je ne suis pas « un soutien de Durand ». Je dénonce les actes commis par Rey-Salmon depuis que cela s’est produit, en 2020. On peut retrouver la description de « l’examen » dans un livre que j’ai publié sous pseudonyme en 2021, ainsi que dans plusieurs posts Instagram. Je n’avais seulement pas encore mentionné son nom. Je ne voulais pas me retrouver de nouveau face à la justice, alors même que j’avais été re-traumatisée dans ce cadre. C’est quand j’ai vu qu’elle arrivait à la tête de la CIIVISE que je me suis décidé à porter plainte et à en parler publiquement.
Comment aurais-je pu accepter que cette femme qui m’avait agressée soit à la tête d’une commission censée protéger les enfants ?
Je n’ai jamais tenu absolument à la présence d’Edouard Durand. En revanche, je tenais à ce que les membres ne soient pas des personnes accusées de violences sexuelles (parce que je suis loin d’être la seule, les autres ont peur de parler), ni des individus prenant la défense d’une personne accusée. Si j’ai demandé le retour de la CIIVISE 1, c’est parce qu’elle me paraissait bien plus proche de la défense des victimes (contre l’utilisation du syndrome d’aliénation parentale, pour l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs, pour l’obligation de signalement des médecins, etc.), et parce que contrairement aux membres de la CIIVISE 2, ceux de la CIIVISE 1 m’ont soutenue.
Tristane Banon laisse entendre que je serais incapable de distinguer un examen médical d’une agression : « une certaine Louison accuse Caroline Rey-Salmon d’agression sexuelle… pour un examen effectué dans un cadre médical et judiciaire »…
Et voilà que celle que j’accuse devient la victime : « La médecin perd tout, en un instant, ses illusions et son statut. » Si la journaliste n’est pas venue vers moi, elle a laissé la parole à Rey-Salmon. Elle poursuit : « Sur la seule foi de cette accusation […] Caroline Rey-Salmon va être mise à pied de l’hôpital, chassée de l’association de lutte contre les violences faites aux mineurs qu’elle avait fondée en 2008, et débarquée de la vice-présidence de la CIIVISE. La doctrine ‘je te crois’ est appliquée à la lettre, la présomption d’innocence piétinée, et la rivale du juge Durand socialement exécutée. » Ma plainte n’a jamais été liée à l’éviction du juge Durand. Il ne s’agit pas non plus d’affirmer que la médecin légiste est coupable, mais de prendre position concernant la « méthode » qu'elle a elle-même décrite dans un de ses articles, de prendre en compte le vécu des victimes et de ne pas la laisser siéger dans une telle commission.
Par ailleurs, Rey-Salmon n’a en aucun cas été remerciée, c’est elle qui a démissionné de toutes ses fonctions (nous en avons la preuve écrite). Démissionne-t-on lorsque l’on n’a rien à se reprocher ?
Maître Costantino s’exprime pour affirmer que ma détresse a été « instrumentalisée », de même que mon « ressenti », superbe façon de sous-entendre que dans les faits rien de répréhensible n’a été commis. Il qualifie d’examen « invasif » ce que je qualifie d’agression sexuelle : merci pour la minimisation.
Cela me rappelle Maître Grimaud, qui m’a contactée en privé sur Instagram lorsqu’elle était encore dans la CIIVISE, pour me rencontrer, me demander d’être auditionnée par cette même CIIVISE qui ne m’avait pas soutenue, qui a continué de m’écrire malgré la demande de mon avocate de cesser de m’importuner, et qui voyant que je ne me laissais pas manipuler, a fini par me dire qu’elle n’aurait pas qualifié ce que j’ai subi « d’agression sexuelle »… Dois-je lui rappeler, à elle avocate, que c’est le Parquet qui qualifie les faits ?
Est-ce que poser ses doigts sans demander le consentement sur le sexe d’une victime d’inceste, faire un mouvement de va-et-vient à répétition et demander d’imaginer qu’il s’agit du pénis de l’agresseur, et continuer, insister alors que la victime répète « je ne sais plus », ce n’est qu’un examen invasif ? Il faut n’avoir aucune connaissance du psychotraumatisme pour pratiquer ce genre de « technique » sans se dire que cela constituera une re-traumatisation. Et je ne vois toujours pas en quoi cela aurait permis de « mieux me rappeler », ni en quoi cela aurait permis d’attester ou non si j’avais été violée. Mais après tout, je ne suis « qu’une victime », pas une experte…
« Costantino pense aux victimes » : pas à celle de Rey Salmon, visiblement… Il s’inquiète des conséquences du « scandale Louison » et fait l’éloge de sa collègue : « Caroline Rey Salmon est à l’origine du premier service de pédiatrie légiste en France, elle a sauvé des centaines de dossiers de victimes que j’ai plaidés par son expertise. La remise en cause de son travail va évidemment profiter aux agresseurs. » Ma parole profiterait aux agresseurs ? C’est quel degré de violence ? Sans compter l’inversion des rôles : l’accusée devient victime d’une injustice, la victime devient coupable de servir les agresseurs. Tellement classique. Aucune originalité.
Finalement, même ceux qui m’attaquent ou la défendent semblent me croire… Le problème n’est pas là. Le problème, c’est que pour eux ce n’était rien d’autre qu’un examen « un peu invasif », rien de grave, et certainement pas une agression sexuelle. Un peu comme quand on dit à un enfant agressé : « ça va, c’était juste du touche-pipi » ou « c’était pour ton bien ». On ne dit pas que ce n’est pas arrivé, que c’est un mensonge. On dit seulement que la victime a mal interprété les gestes, que c’était acceptable, et certainement pas condamnable.
Qui instrumentalise qui ? Et qui dessert la cause ?
Costantino termine en ajoutant que ma parole « contribue à paralyser le travail de la commission. » Cela aussi, on me l’a fait comprendre, en privé, tranquillement, que je desservais la cause, que je ferais mieux de laisser tous ces experts travailler. C’est la CIIVISE 2 qui a cherché à m’instrumentaliser surtout.
Comment pouvez-vous reprocher aux victimes d’empêcher la CIIVISE de travailler sereinement ? On dirait les familles incestueuses qui reprochent à l’enfant qui dénonce de perturber la tranquillité et l’équilibre de la famille.
Non, on ne veut pas une médecin accusée de violences sexuelles dans la CIIVISE, ni un homme qui la soutient, ni un autre qui défend un père condamné pour inceste dans un tribunal, affirmant « qu’on ne sait pas ce qui a bien pu se passer. » La CIIVISE ne pourra pas travailler si en son sein gravitent des personnes qui desservent la cause des enfants, et nous ne les laisserons pas continuer en toute impunité.