Aujourd'hui, c'est le 13 novembre.
C'est dur et bizarre et je ne suis pas sûr.e de vouloir écrire, mais voilà, aujourd'hui on est le 13 novembre 2020, tout est lointain et en même temps tout était hier, tout est encore vif et frais. Je ne sais pas ce qui me sépare d'il y a 5 ans, à la fois un monde entier, une galaxie, une vie, et à la fois rien. Tout est là. Iels sont là.
Hier, j'entendais à la radio « Enfants Paradis » de Saez, et rien ne résume mieux la situation que ma réaction face à cette chanson : la honte.
J'ai honte qu'un chanteur périmé se soit permis d'écrire une bouse pareille au nom de nos ami.es mort.es. J'ai honte que leur mort serve ce propos là.
Aujourd'hui, lorsque j'apporte mon soutien aux personnes musulmanes face à toutes les attaques qu'iels subissent, beaucoup de personnes de mon entourage me ramènent aux attentats de 2015. On me ramène aux ami.es que j'ai perdu.es, comme si lutter contre l'islamophobie était une trahison à leur mort et à leur vie.
Comme si on ne pouvait pas à la fois être en deuil, et faire preuve de discernement. Comme si je ne pouvais pas à la fois souffrir et militer.
Ça n'est pas le cas. Les lois contre le port du voile, contre l'enseignement familial, contre les rayons halal au supermarché n'auraient rien changé à leur mort soudaine.
Instrumentaliser la mort de mes ami.es, de nos ami.es, pour taper de plus belle sur les musulman.es, et les personnes « identifiées » comme telles, ça ne nous les ramènera pas, ça ne leur rendra pas justice, et cela ne pourra qu'empirer la fracture sociale entre « nous », les français.es blanc.hes, catholiques ou athées, descendant.es direct.es de colons, et les individu.es issu.es de l'immigration, pointé.es du doigt comme responsables des moindres faits et gestes de quelques personnes.
Je refuse qu'on se serve de la mort de mes ami.es pour oppresser et stigmatiser des individu.es et des minorités à plus forte raison. Je refuse qu'en leur nom on exclue toujours plus une partie de la population, à laquelle nous avons déjà causé notre lot de torts durant la colonisation, les guerres, la décolonisation, et tout ce qu'il y a eu avant, entre, et après.
Je ne veux plus entendre le nom de mes ami.es mort.es ni voir leurs photos si c'est pour servir le racisme et l'islamophobie.
Vous ne savez rien des personnes que l'on a perdues et vous vous permettez de leur prêter des valeurs républicaines pour servir votre délire nationaliste. Mes ami.es, nos ami.es, ne sont pas mort.es « pour leurs idées », « pour la liberté » ou je ne sais pas quelle autre connerie. Mes ami.es, nos ami.es sont mort.es pour strictement rien, de manière absurde et abominable, dans une scène de leur vie quotidienne. C'est comme cela, et c'est tout.
Vous agitez leur nom et leur mémoire sous nos yeux pour rouvrir l'infernale blessure que nous continuons de panser 5 ans après, au profit de mesures liberticides, racistes et islamophobes.
Vous jouez de leur souvenir comme d'un instrument grinçant sur lequel vous voulez qu'on hoche de la tête.
Je vous le dis: ça n'arrivera pas.
Je préfère renoncer à ça, au souvenir de leur mort, plutôt que de tomber dans le piège que vous tendez et dans lequel tellement sont tombé.es.
Voilà où j'en suis aujourd'hui, à redouter le jour de commémoration de la mort de mes ami.es, pas par peur de la souffrance, mais par crainte de l'instrumentalisation qui en sera faite.
Laissez nos mort.es tranquilles.
Laissez les musulman.es tranquilles.