Lt. CLEMENT (avatar)

Lt. CLEMENT

Carnivore tempéré

Abonné·e de Mediapart

20 Billets

0 Édition

Billet de blog 8 juin 2020

Lt. CLEMENT (avatar)

Lt. CLEMENT

Carnivore tempéré

Abonné·e de Mediapart

Quatre siècles plus tard, la Peste est revenue à Elliant

En cette année 2020, le Covid 19 n’a pas frappé Elliant au point d’inspirer une nouvelle gwerz. La Peste brune en revanche s’y est manifestée le 23 mai dernier sous l'apparence de trois archers royaux venus frapper à la porte de l’estaminet local, informés par une âme charitable que celui-ci se serait trouvé ouvert, en violation des édits de Sa Majesté, supposés garantir la santé publique.

Lt. CLEMENT (avatar)

Lt. CLEMENT

Carnivore tempéré

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Elliant est une commune rurale de 3 000 âmes, en pays Melenig, dans le centre-Finistère.

Si le monument aux morts qui trône à l’abri de son église témoigne du très lourd tribut payé par les campagnes bretonnes dans la grande boucherie de 1914-1919, aucune stèle ne vient rappeler au visiteur les ravages causés dans cette paroisse par un épisode de la Peste Blanche (ar Vosenn Wenn) qui frappa la Bretagne entre 1349 et la moitié du XVIIème siècle.

Seule la gwerz Bosenn Elliant, un des fleurons de la tradition orale bretonne a conservé le témoignage de cette hécatombe : E bro Elliant, hep lâret gaou, emañ diskennet an Ankoù, marv an holl dud nemet daou... /E kreiz Elliant, er marc’hallac’h, geot da falc’hat e kavfec’h, nemet en hentig eus ar c’harr/ Leun eo ’r vered rez ar c’hleuzioù, leun an iliz rez an treuzoù ; ret eo bennigañ ar parkoù, da lakaat eno ar c’horfoù/ Me ’wel er vered un dervenn, Hag en he beg ul liñser wenn : aet an holl dud gant ar vosenn. »

(En pays d’Elliant, sans mentir, l’Ankoù est descendu, tous sont morts sauf deux…/ Au centre d’Elliant, sur la place du marché vous trouverez de l’herbe à faucher, sauf  dans les ornières de la charrette / le cimetière est plein jusqu’aux talus et l’église jusqu’au seuil ; il faut bénir les champs pour y ensevelir les corps / je vois un chêne dans le cimetière, un drap blanc à son faîte : tous ont été emportés par la peste.)

 Une des version de la légende protéiforme qui s’est greffée sur cet événement bien réel affirme que la Peste serait arrivée à Elliant sous l’apparence de trois jeunes filles recueillies sur le chemin par un homme qui y conduisait sa charrette. Ce n’est qu’arrivées à destination qu’elles se révélèrent être l’une la Guerre, l’autre la Misère, et la dernière, la Peste Blanche.

En cette année 2020, le Covid 19 n’a pas frappé Elliant au point d’inspirer une nouvelle gwerz. La Peste en revanche s’y est à nouveau manifestée le 23 mai dernier. La Peste brune, cette fois, non plus sous l’apparence trompeuse de trois séduisantes demoiselles, mais sous celle, plus inquiétante, de trois archers royaux de la brigade de Scaër, venus frapper à la porte de l’estaminet local, informés par une âme charitable que celui-ci se serait trouvé ouvert, en violation des édits de Sa Majesté, supposés garantir la santé publique.

La gérante du « Why because » explique alors aux trois « beg e dog » que nenni, son bar n’est pas plus ouvert ce soir-là qu’aucun des autres jours depuis la mise en œuvre du confinement. En revanche, elle a décidé d’organiser, dans le jardin qui jouxte le bar dont l’étage est aussi son domicile et celui de son compagnon, une fête familiale pour les 80 ans de sa maman qu’elle héberge, gravement malade et soumise à une dyalise plusieurs fois par semaine à l’hôpital de Quimper.  Avec la fraîcheur de la nuit tombante, la famille décide de se replier à l’intérieur, la salle du bar servant aussi de cuisine et de salle à manger au couple et à la vieille dame, qui n’en disposent pas d’autre à l’étage. Pour autant, les tables du bar sont retournées, son entrée obstruée et les lumières extérieures éteintes. On ne peut être plus clair : le bar est fermé et la petite fête exclusivement familiale et privée.

Pas suffisamment clair pourtant pour les trois Castaner Rangers qui, tout imbus des pouvoirs discrétionnaires que leur confère le nouvel état d’urgence à prétexte sanitaire, annoncent qu’ils vont déposer une demande de fermeture administrative.

 La reconnaissance de la bonne foi de la gérante par la sous-préfecture, six jours plus tard, documents à l’appui, n’empêchera pas les cow-boys de revenir entre temps lui signifier la fermeture administrative de l’établissement pour 3 mois. Il lui faudra l’aide d’un avocat et le témoignage du maire d’Elliant pour qu’enfin, le 3 juin, convoquée en préfecture de Quimper, elle se voit signifier par le directeur de la sécurité que la mesure de fermeture était levée et réduite à un avertissement.

 Las, épuisée d’avoir ainsi été confrontée à la lâcheté d’un délateur local, à l’arbitraire et à l’acharnement de ceux qui sont supposés garantir la tranquillité de la population, Sarah a décidé de vendre son bar et de quitter Elliant… Oui, elle s’appelle Sarah Saadaoui, et son compagnon Serkan Akcimen. Une précision tout-à-fait inutile, bien sûr, puisque comme chacun sait, pas plus à la campagne que dans les villes, la gendarmerie, pas plus que la police n’est rongée jusqu’à la moelle par le racisme et la xénophobie.

 Peut-être  un barde de Basse-Cornouaille prendra-t-il le relai de Guirec Flécher, auteur de l’article publié aujourd’hui dans « Le Télégramme » pour offrir aux générations à venir quelques vers supplémentaires de Bosenn Elliant :

En Elliant, hep lâret gaou, deuet dragoned ar Roue, dinec’h an holl dud nemet daou.

Skarzhet Sarah, skarzhet Serkan, ar vosenn rous zo en Elliant

 (A Elliant, sans mentir, les dragons du Roy sont passés, nul n’a été inquiété sauf deux :

Chassée Sarah, chassé Serkan, la peste brune est à Elliant.)

Mais déjà la dañs-tro frappe les planchers vite montés dans les granges éloignées des chefs-lieux de canton et de leurs magasins bleus(blañrouch) et, d’un fest-noz clandestin à un autre, entre Cornouaille et Trégor, s’élèvent les paroles de la « Dañs ar C’hastaner : 

Eus a unan, ni ya da daou, dañs ar C’hastaner

Eus a unan, ni ya da daou, dañs ar C’hastaner

Mac’hronig bihan a gonta gaou

Dañs ar C’hastaner pounner, dañs ar C’hastaner pounner

Vous laissez pas faire !

….

(De un nous sommes (déjà) deux, danse du Castaner

Mon petit Macron est un menteur

C’est la danse du Castaner relou

Vous laissez pas faire !

De deux nous sommes trois...

De huit nous sommes neuf, le drapeau rouge flotte à nouveau

De neuf nous sommes dix, le cheval-juste-bon-à-faire-du-crottin (ar marc’hkaoc’h) est tombé face à terre.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.