Karaez / Carhaix, 8 juin 2018.
Les lycéens de Diwan fêtent le 40ème anniversaire des écoles immersives en langue bretonne. Ils célèbrent aussi le succès de 12 des 15 d’entre eux qui, malgré le refus du rectorat de Rennes de corriger les parties rédigées en breton, ont décidé de traiter l’épreuve écrite de mathématiques du baccalauréat dans la langue dans laquelle cette discipline leur a été enseignée tout au long de leur scolarité.
Il est un peu plus de 20h. Le fest-noz vient de commencer et déjà des centaines de jeunes – et de moins jeunes – sont entrés dans la danse, dans la salle surchauffée de l’Espace Glenmor.
Sur le parking, une escouade de six à huit gendarmes encadrent une camionnette aménagée en camping-car. Ce sont ses occupants, anciens lycéens Diwan, et en particulier le chauffeur de ce véhicule, qu’ils attendaient et qu’ils sont en train d’interpeler. Les jeunes gens ne comprennent pas ce qu’on leur reproche. La discussion est vive, à la mesure de l’émotion et de l’incompréhension suscitées par cette intervention policière en force.
Enquête criminelle, commission rogatoire du procureur, mise sous séquestre du véhicule pour perquisition, les « explications » lapidaires lancées par les militaires tombent comme autant de claques. « Allez on embarque » lance un des policiers, dans le style inégalable du détenteur de l’autorité publique face à des « individus » qui, comme leur nom l’indique ne sont apparemment pas les citoyens d’un état de Droit dont l’avènement a mis fin à l’arbitraire des lettres de cachet.
Les jeunes demandent à comprendre le motif de cette intervention. Des passants alertés appuient leur requête. On apprend alors qu’un enfant de 11 ans aurait signalé avoir fait l’objet d’une tentative d’enlèvement, vers 19h30, par le conducteur d’une camionnette blanche « avec des autocollants » …
Pas vraiment un profil de pédophiles en bande organisée, ces jeunes gens venus faire la fête avec leurs potes et leurs parents…. Et des camionnettes blanches « avec des autocollants », il y en a un certain nombre autour du site de Kêrampuilh ce jour-là… Pourquoi celle-ci, plus qu’une autre ? « Nous disposons d’éléments concrets qui nous permettent de cibler ce véhicule, le procureur est saisi » (rapide la commission rogatoire !), précise un gendarme pendant que le sanguin, pressé « d’embarquer » et n’admettant pas cette intrusion citoyenne est déjà en train d’appeler le peloton d’intervention à la rescousse. Motif : des individus se déclarant inquiets des procédés arbitraires qui défraient régulièrement la chronique, osent demander à la gendarmerie de justifier un minimum une interpellation qui les laisse perplexes.
On imagine déjà le face-à-face du PSIG et de centaines jeunes rappliquant à la rescousse de leurs copains… Bonjour, la mesure et la retenue ! Sur l’intervention d’un sous-off plus éclairé, le peloton sur le départ est finalement renvoyé au chenil. La discussion se calme. Le chauffeur de la camionnette est néanmoins « embarqué » au poste pour y être entendu. Il sera relâché une heure plus tard : le gamin « victime d’une tentative d’enlèvement » s’est entre temps embrouillé et contredit, et a finalement reconnu avoir inventé cette histoire. Il se dit même qu’il n’en serait pas à son coup d’essai et serait connu localement – sauf par la gendarmerie ? - pour son tempérament affabulatoire.
Ah, un détail encore : T, le conducteur de la camionnette, a la peau noire.
Serait-ce cela que les gendarmes appellent un « élément concret » ?