En introduction, ce rapport (1) précise :
« Si la réglementation actuelle est globalement satisfaisante, en particulier dans son volet protection des travailleurs, considérablement renforcé par le décret du 4 mai 2012, quatre faiblesses ont été identifiées auxquelles il convient de trouver des réponses très rapidement.
Tout d’abord, le pilotage des politiques publiques en matière d’amiante est défaillant alors que ce sujet par définition transversal concerne quasiment tous les ministères.
Ensuite, le repérage de l’amiante constitue le maillon faible de la réglementation, tandis que le dossier technique amiante peine à devenir véritablement un document-clef en matière de prévention des risques.
Par ailleurs, la protection des travailleurs pâtit du faible nombre des interventions des corps de contrôle.
Enfin, le comité de suivi pointe certaines règles complexes, instables ou insuffisamment mises en œuvre en matière de santé publique, concernant par exemple le seuil d’exposition de la population aux poussières d’amiante, l’information ou le suivi des personnes exposées.
Face à ces enjeux, le comité de suivi a souhaité présenter des propositions à la fois ambitieuses et opérationnelles qui viennent compléter celles formulées en 2005, afin de relever le pari du désamiantage dans les décennies à venir. »
Le 21 octobre 2014, en réponse à la présentation du Rapport par Madame Aline ARCHIMBAUD, lors de la présentation au sénat[2] en séance publique,Mme Ségolène NEUVILLE, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées et de la Lutte contre l’exclusion, dévoilera que le Gouvernement « propose une feuille de route qui, compte tenu de la transversalité du sujet, sera interministérielle : agir pour l’information de tous, notamment en nouant des partenariats avec les distributeurs de matériels de bricolage ; professionnaliser les acteurs de la filière de désamiantage ; faciliter la mise en oeuvre de la réglementation, par exemple avec un guide des bonnes pratiques en s’inspirant de ce qui a été fait en Rhône-Alpes ou en Pays de Loire ; mieux prendre en compte les problématiques techniques, améliorer la recherche et les méthodes de repérage de l’amiante ; enfin développer les outils de pilotage de l’État. Les travaux de cartographie sont d’ores et déjà engagés. »
Aujourd’hui, Lundi 8 février 2016, je vous invite à célébrer le 20éme anniversaire de l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation amiante, mise en place par la publication conjointe de deux décrets fondateurs, pris en vue de la protection des populations et de celle des travailleurs[3].
Pour marquer cet événement, en application de la feuille de route du Gouvernement, je souhaiterai que vous puissiez étudier sérieusement l’attribution du label « grande cause nationale 2016 » à la lutte des associations civiles et professionnelles engagées dans la maitrise de l’héritage que constitue l’amiante en place, conformément à la première série de mesures préconisées par la Commission des Affaires Sociales du Sénat.
Le 13 avril 2015, un premier colloque organisé en présence des acteurs civils et professionnels concernés par les membres du groupe de suivi du sénat, réitérait cette demande, constatant que les situations des victimes d’une part mais également des professionnels concernés, souffraient d’un manque de pilotage national.[4]
Le 22 mai 2015, Mr Jean Marie LE GUEN, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement, confirmait au sénat : « (…) le ministère de la santé est en train d’établir, en lien étroit avec les ministères chargés du développement durable, du travail et du logement, une feuille de route interministérielle qui viendra très vite coordonner les actions de tous les services compétents (…) Cette feuille de route devrait permettre de renforcer l’information du public sur les risques liés à l’amiante et d’aider les particuliers et les professionnels à agir. Je pense notamment aux diagnostiqueurs et aux artisans du secteur du bâtiment et des travaux publics ».
Le lancement le 30 juin 2015 d’un Plan de Recherche et Développement Amiante, doté de 20 millions d’euro dans le cadre de mesures « en faveur de la rénovation et l’efficacité énergétique, dans un souci de prévention de la sinistralité », répond partiellement à l’attente du milieu professionnel.
Mais aucunement à celles des acteurs civils.
D’ailleurs, dès le 2 avril 2014, l’Union Social pour l’Habitat, avait réagit vivement aux informations diffuées par la presse tendant à assimiler logements HLM et amiante en publiant un communiqué rappelant que le président de l’Union sociale pour l’habitat avait interpellé le Premier ministre dès novembre 2013. Il avait demandé, en urgence, un portage interministériel du sujet « amiante ».
Le communiqué concluait :
« Le Mouvement Hlm réitère cette demande à l’adresse du nouveau Gouvernement, et réclame :
- la création d’une structure interministérielle, référente sur le sujet ;
- la constitution d’un fonds spécifique, dédié à la recherche et au traitement de l’amiante, dont le coût annuel est estimé, pour le seul parc Hlm, à 2,4 milliards d’euros ;
- la préfiguration d’une véritable filière industrielle adaptée aux enjeux. »
Début Novembre 2015, l’occasion du salon BATIMAT, l’association RésoA+ tenait une conférence intitulée 1996/2016 : Bilan de 20 ans de nouvelle réglementation amiante.
La contribution de Monsieur Charles DUCROCQ, ancien préventeur de la CRAMIF, « Monsieur amiante » de la CNAM-TS entre 1994 et 2014, ex membre du Haut Comité pour la Santé Publique, avait pour thème : « La prévention amiante : un fiasco programmé. » [5]
Mr DUCROCQ, y dressait un inventaire des dysfonctionnements persistant, dans la jungle des règles de l’art. Reprenant à son compte les dires de Madame ARCHIMBAUD, il concluait que « si l’amiante est un cancérogène de catégorie 1, ce n’est qu’une des substances dangereuses présente sur les chantiers parmi les autres aussi nuisibles que les HAP, la silice, les solvants, le plomb, et toutes les poussières ».
Son principal combat récurent consistait à poser la simple question : « Mais qu’est-ce qu’un matériau qui contient de l’amiante, en France ? »
L’absence de pourcentage de quantité d’amiante dans un matériau ou un produit de la construction lui conférant le caractère « amiantin », les doutes sur la nature et la taille des fibres réputées dangereuses, la polémique sur les seuils sanitaires et l’efficacité des appareils de protection respiratoire, le retard inexpliqué pris pour modifier ou publier les textes régissant le nouveau repérage avant location ou la certification de compétence des opérateurs de repérage amiante, sont autant de sujets qui nuisent gravement à la défense de l’enjeu de santé publique.
Avant de conclure, face à ces enjeux qui conditionnent la prévention des risques et devraient limiter l’émergence d’une nouvelle cohorte de victimes dans les 50 ans à venir, je reprendrai les termes de trois éminents lanceurs d’alerte dans ce domaine.
Tout d’abord l’adresse de Mr Henri PÉZERAT, toxicologue, directeur de recherche au CNRS, signataire de l’appel de JUSSIEU en septembre 1975, pour la création d’un Comité National de Lutte contre la Pollution par l’amiante, ayant pour vocation « de demander la constitution immédiate (sous l’égide des ministères de la Qualité de la vie, de la Santé et du Travail) d’une commission nationale d’enquête sur la pollution par l’amiante, commission qui aurait pour tâche, notamment de recommander aux pouvoirs publics l’interdiction immédiate en France de la technique du flocage mou de l’amiante, interdiction déjà édictée aux Etats-Unis et au Danemark depuis plusieurs années ».[6]
Ensuite, celle mémorable du Professeur Agrégé Jean BIGNON, Directeur Adjoint de l’Institut de Recherche Universitaire sur l’Environnement de l’Université Paris-XI, dans sa lettre du 5 avril 1977 adressée à Mr Raymond BARRE, Premier Ministre[7].
En conclusion de sa critique point par point du « livre blanc de l’amiante », ouvrage édité par la Chambre Syndicale de l’Amiante et le Syndicat de l’Amiante-Ciment dans lequel il était accusé de vouloir faire fermer les portes des industries utilisant l’amiante, le Professeur BIGNON déclare : « Force est d’admettre que l’amiante est un cancérogène physique dont l’étendue des méfaits chez l’homme est actuellement bien connue. Seule, une prévention efficace, contrôlant toutes les sources d’émission des fibres d’amiante, devrait permettre de réduire cette pollution et d’éviter des conséquences plus graves sur la santé publique pour les 30 années à venir ».
Cette lettre est toujours accessible sur le blog animé par le Professeur Claude GOT, qui lui accorde une importance considérable dans l’histoire de l’amiante. « Elle est à mes yeux un modèle d’alerte sanitaire », affirme-t-il en préambule.
En aout 1977, elle donnera lieu à la publication du premier décret imposant une valeur limité d’exposition professionnelle aux fibres d’amiante.
Plus de 20 ans plus tard, le 29 juillet 1998, dans son « rapport sur la gestion politique et administrative du problème de santé publique posé par l’amiante en France[8] », le Professeur GOT consacre un chapitre aux causes des dysfonctionnements les plus importants du dispositif, après six mois d’enquête.
Il identifie un premier problème majeur : « Même si la réglementation mise en place en 1996 est de qualité, parfois la plus favorable à la sécurité sanitaire parmi les pays industrialisés, (…) le dispositif de contrôle du risque lié à l’amiante est incomplet. Il ne dispose pas des structures opérationnelles lui permettant de contrôler ce risque. La commission interministérielle pour la prévention et la protection contre les risques liés à l’amiante avec une ou deux réunions annuelles n’est pas une structure capable d’assurer une gestion interactive, fondée sur un ensemble d’indicateurs pertinents. Nous ne disposons pas d’un ensemble associant un pilotage, défini et coordonné au niveau national, à des moyens opérationnels au niveau de chaque département permettant une évaluation et un contrôle efficace du risque lié à l’amiante. »
La dite Commission Interministérielle, créée par l’arrêté du 12 juillet 1996 quelques semaines après l’autodissolution du CPA, placée auprès du Premier ministre, chargée de contribuer à définir, animer et coordonner la politique du Gouvernement en matière de prévention et de protection de la population générale et des travailleurs contre les risques liés à l’amiante a été dissoute le 1er juillet 2010.
Aujourd’hui, quelques mois après la publication concomitante des rapports du sénat et du Haut Comité pour la Santé Publique, le manque de pilotage national évoqué il y a 40 ans et toujours d’actualité.
Certes, le Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante est renouvelé dans ses attributions et permet la représentativité des associations de victimes de l’amiante,
Certes le Plan de Recherche et Développement Amiante est une première pierre à l’édifice. Il est doté d’un Comité de Pilotage et d’un Comité Technique, organisé en « groupe de travail », pour une durée annoncée de 36 mois…
Certes il existe un Groupe de Travail National Amiante et Fibres, renouvelé en 2013, regroupant les différents représentant des ministères les plus concernés, associant uniquement deux personnalités du secteur professionnel, désignées pour leurs compétences…
Certes à l’inverse, les deux Commissions AFNOR X46A et X46D, regroupent quelques représentants de ministères mais la majorité des organismes professionnels impliqués dans l’ensemble des secteurs de la construction…
Certes une « Feuille de route interministérielle » est annoncée par votre cabinet, évoquée par les services des différents ministères concernés, devrait être divulguée avant l’été 2016…
Mais tout ceci ne remplacera pas l’existence d’une véritable structure pérenne, placée directement sous votre gouverne, armée de moyens adaptés et dotée de fonds suffisants pour engager la France durablement vers l’éradication définitive des risques amiante.
Pour y remédier, je vous suggère de prendre deux décisions concomitantes :
- La création d’un Congrès National de l’Amiante de l’ensemble des représentants des organismes civils ou professionnels, aux cotés de ceux des services de l’Etat, en réunissant en un seul lieu l’ensemble des membres siégeant déjà dans les commissions et groupe de travail existant.Ce qui aurait l’avantage de ne pas mobiliser de nouveaux moyens ou procédures de désignation puisque que chaque structure reconnue disposerait alors d’un siège au Congrès, alors même que certaines siègent dans plusieurs groupes de travail, y compris les représentant de l’Etat.La réunion en format « Congrès », pourrait symboliquement être organisée à Versailles, dans la « Salle des Séances », hémicycle parlementaire de 925 sièges, proposant aux catégories d’acteurs d’y tenir leurs rôles respectifs.Ainsi, avant fin 2016, l’harmonisation et le nettoyage des divers codes réglementaires et des normes en vigueur pourraient être tentés.
Des mesures d’urgence pourraient être prises par le Gouvernement, sine die. - La décision de confier à un Collectif d’Associations civiles et professionnelles des moyens permettant la consultation large de tous les secteurs impliqués par la question de la gestion de l’amiante en place. Cette consultation pourrait avoir comme objectif la rédaction d’un Consensus Citoyen pour l’éradication de l’amiante en France. En effet, les questions des seuils de dangerosité, de niveaux de risques acceptable par les populations et les travailleurs, de notions de préjudice d’anxiété ou de perte de chance, de responsabilité civile entre locataire et bailleurs, devraient pouvoir être traitées par les intéressés directement, dans un esprit d’apaisement consensuel.
Cette consultation pourrait faire l’objet ultérieurement d’un Grand Débat Public, de Conférences de Consensus, voire d’un référendum.
Cette double mesure permettrait d’ailleurs à la France de répondre au point n°4 de la résolution prise par le Parlement Européen le 14 mars 2013[9], « invitant instamment l’Union européenne à effectuer une analyse d’impact et une analyse coûts-avantages de la possibilité d’établir des plans d’action pour le désamiantage sûr des bâtiments publics et des bâtiments dans lesquels sont fournis des services qui nécessitent un accès régulier du public, d’ici à 2028 ».
Restant à votre entière disposition pour toute information que vous même ou vos services pourraient souhaiter, je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de ma respectueuse considération.
Luc BAILLET, architecte, co fondateur de RésoA+
PDG de la SAS ACACIA – www.acacia-dore.fr
[1] Amiante: des enjeux toujours actuels, relever le défi du désamiantage – Rapport d’information de Mme Aline ARCHIMBAUD, MM. Gilbert BARBIER, Gérard DÉRIOT, Mme Catherine DEROCHE, MM. Jean-Pierre GODEFROY, Ronan KERDRAON, Jean-Marie VANLERENBERGHE et Dominique WATRIN, fait au nom de la commission des affaires sociales n° 668 (2013-2014) – 1 juillet 2014
[2] Compte rendu analytique officiel du 21 octobre 2014 – http://www.senat.fr/cra/s20141021/s20141021_9.html
[3] Dér Décret n°96-97 du 7 février 1996 relatif à la protection de la population contre les risques sanitaires liés à une exposition à l’amiante dans les immeubles bâtis & Décret no 96-98 du 7 février 1996 relatif à la protection des travailleurs contre les risques liés à l’inhalation de poussières d’amiante
[4] « Amiante, désamiantage : comment répondre aux défis ? » Actes de la Conférence organisée au Sénat 13 avril 2015 – A l’initiative d’Aline Archimbaud, Sénatrice de Seine-Saint-Denis et Présidente du comité de suivi amiante du Sénat
[5] http://village-amiante.com/19962016-20-ans-de-reglementation-amiante-batimat-2015/
[6] cf « autobiographie d’Henri PÉZERAT > http://www.asso-henri-pezerat.org/category/vecu-paroles-memoires/
[7] http://www.sante-publique.org/amiante/histoire/lettrebignonbarre1977.html
[8] http://www.sante-publique.org/amiante/rapportgot1998/gotrapport.htm
[9] Résolution du Parlement européen du 14 mars 2013 sur les risques liés à l’amiante pour la santé au travail et les perspectives d’élimination complète de l’amiante encore existante (2012/2065(INI))