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Billet de blog 5 mai 2022

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Le Parti socialiste et la contrainte de l'écartèlement

Situation politique inédite: il y a trois pôles dominants dans un système électoral à deux tours (et un second tour où, sauf rares exceptionst, deux candidatures seulement seront possibles). L'illusion du «ni-ni» macroniste s'est dissipée. Le PS, opposé au néo-libéralisme, pouvait-il laisser l'extrême droite conquérir une place durable de première opposition au pouvoir?

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Illustration 1
Logo officiel du PS (2016)

Précisions liminaires. — Cet article a été rédigé après la signature de l'accord LFi-PS en vue des élections législatives de juin 2022 et la réunion du Conseil national du PS appelé à le valider. Le rédacteur de cet article, par conviction et fidélité, a voté Anne Hidalgo au premier tour de l'élection présidentielle, sans regret.

Ce texte est la trace d'un surplomb lors d'un moment suspendu, alors que le PS est écartelé entre une tension radicale à gauche (mais pas radicale de gauhe) et une tension néo-libérale droitière confirmée d'Emmanuel Macron J'ai conscience du caractère très immédiat, volatil, de cette approche, de son caractère sommaire aussi, mais je le crois un peu réfléchie. Elle est présentée en sept points.

1. Un accord entre états-majors. —  L'accord en lui-même est la marque d'un ultime arbitrage au sein de la France insoumise, puisque le Parti socialiste avait été d'abord exclu des discussions menées en parallèle avec Europe écologie-les Verts, d'une part, et le Parti communiste, d'autre part. Que ces discussions fussent engagées avec, de la part des intéressés, un objectif qu'on qualifiera de conclusif, ne laissait pas de place aux hypothèses, face à LFi, d'un accord PS-EELV, voire d'un accord à trois des non-mélenchonnistes incluant le PCF. On relèvera au passage que, dans l'optique de constituer une majorité parlementaire, même s'ils restent dans une logique léonine, les Insoumis se sont résolument engagés dans des discussions entre états-majors des partis qu'ils rejetaient vigoureusement auparavant en théorisant leur lien direct au peuple. Le jeu partisan est respecté en rendant théoriquement possible la constitution d'un groupe parlementaire qui leur soit propre, même si LFi, forte de sa dynamique, s'est taillée la part du lion dans les attributions des circonscriptions. (On verra ce qu'il en est le 19 juin au soir.)

2. Un rapport de forces à apprécier «en dynamique». — LFi a logiquement mis en avant le critère qui la favorisait: le résultat du premier tour de l'élection présidentielle de 2022. En découlent les 100 circonscriptions réservées à EELV et les 70 concédées au PS, bien que son ancrage territorial reste supérieur à celui des Verts et que son groupe parlementaire actuel soit plus important que celui des Insoumis. Mais le champ politique est un champ de forces dont les rapports (de force, justement) relèvent de la dynamique et quelque insatisfaisant pour les Verts qu'ait été le résultat de Yannick Jadot, il représente plus de deux fois et demi celui d'Anne Hidalgo.

3. Réticences. — Il y a des réticences à ces accords dans les formations signataires. Il y a évidemment le cas des «sacrifiés» (c'est vrai au PCF comme au PS). Les parachutages passent mal quand ils sont internes à une même organisation politique, l'effacement face à une candidate ou un candidat d'un autre parti encore plus (le fait est aussi vieux que les accords d'investitures). Ces réticences sont aussi marquées sur le fond: à la fois sur les ambiguïtés ou contradicitons des accords (notamment sur l'Union européenne) et en opposition à la personne même de Jean-Luc Mélenchon aggravée par les comportements agressifs, voire sectaires, de ses disciples ou partisans, notamment sur les réseaux sociaux. Mais Jean-Luc Mélenchon lui-même, comme ceux qui ont été mandatés pour négocier, a dû se résoudre à un débat et même à une négociation serrée avec les représentants d'un PS qu'il exècre.

La politique est affaire de réalité, comme l'avait constaté dès 1958 François Mitterrand en considérant que l'exclusion du PCF du jeu politique gouvernemental depuis 1947 conduirait inéluctablement, avec la Ve République et le scrutin majoritaire, à ne jamais laisser ouverte une alternative de gauche. En 1958, c'était encore le PCF de Maurice Thorez qui avait revendiqué le titre de «premier stalinien de France» et le restait, malgré le 20e congrès du PC soviétique; le PCF, pour longtemps encore, inconditionnellement aligné sur l'URSS.

4. 2022 n'est pas 2017, surtout sur «l'illusion Macron». — Dans un PS affaibli (et qu'aura symboliquement affaibli encore le résultat d'Anne Hidalgo, conséquence et non cause d'un processus de délitement), des lignes de fracture préexistantes se sont accrues: en témoigne la démission de Bernard Cazeneuve. On a connu une première vague centrifuge en 2017, marquée symboliquement par le non-respect de son engagement à la primaire socialiste d'un Manuel Valls appelant à voter avant le premier tour pour Emmanuel Macron. Déjà apparaissait la critique d'une ligne «radicale» portée par Benoît Hamon (qui avec Génération.s a voulu créer son petit PSA avec le même succès). Encore pouvait-on croire au ni-ni ou au et-et macronien de l'époque. Encore certains pouvaient-ils voir dans Emmanuel Macron un post-rocardien peut-être un peu plus libéral économiquement, une figure rénovatrice à la Mendès-France (en ignorant la réalité de son parcours), en tout cas quelqu'un si pourrait réussir cette martingale impossible depuis 1983: être dynamique au plan économique tout en sachant jouer du «social».

La situation de 2017 n'est pas reproductible (sinon pour Manuel Valls qui s'est fait «voir» en bonne place au soir du 24 juin). Deux séries de mesures auront tout d'abord frappé: la baisse symbolique des APL (j'entends, comme symbole fort); la suppression de l'ISF (soi-dit en passant: un témoignage de la prime à la financiarisation) et l'instauration de la flat tax. Au passage, on attend le ruissellement comme d'autres Godot. Ce qu'on a vu se développer, c'est effectivement une logique néo-libérale dans laquelle tout doit fonctionner selon les règles du marché (ce qui explique la fixation négative sur la Fonction publique et les fonctionnaires, mais pas seulement les fonctionnaires). Certes, les Gilets jaunes et la crise de la Covid-19 sont passés par là, mais le fond n'a pas changé. Et, après les expériences de 2002 (barrage Chirac) et 2017 (barrage Macron), il n'y a guère de doute sur ce que fera Emmanuel Macron dans les cinq ans qui viennent, quel qu'en soit l'habillage (et j'ai fait barre Macron 2022, parce que tout sauf Le Pen ou Zemmour).

5. Trois pôles, deux tours. —  Aux blocs gauche/droite qui, peu ou prou, structuraient la vie politique depuis 1962 (accords de désistement à gauche) ont succédé aujourd'hui trois pôles marqués:

  • LREM et la galaxie qui gravite autour d'elle, une UDF qui aurait réussi avec des dépouilles RPR (et d'ex-socialistes jouant les faire-valoir du Parti radical valoisien de jadis);
  • un pôle d'extrême droite qui a pu se qualifier au second tour de l'élection présidentielle;
  • «la nouvelle union populaire, écologique et sociale» dont la force dominante est la France insoumise et le héraut (et héros) charismatique Jean-Luc Mélenchon.

Deux de ces blocs sont qualifiés de «populistes», terme utilisé pour dévaloriser indistinctement ses adversaires. Mais d'une certaine manière, Emmanuel Macron ne l'est-il pas, lui qui fonde sa posture sur un lien direct au peuple lui aussi? (Au point de trancher sur les investitures...)

La logique de la Ve République (et le scrutin majoritaire, à la présidentielle comme aux législatives) reposait sur deux blocs ou pôles. Avec trois, c'est plus complexe. Or c'est là qu'intervient la règle des 12,5 %. Pour être élu au premier tour, il faut obtenir la majorité absolue des exprimés sous réserve qu'elle représente au moins le quart des électeurs inscrits (une garantie de représentativité minimale). Pour être candidat au second tour, il faut avoir obtenu au moins 12,5% des suffrages exprimés au premier tour. Dès lors que le phénomène abstentionniste s'accroît (51,30% au premier tout des législatives de 2017), le ticket d'entrée ouvert pour le deuxième tour est plus difficile à obtenir, ce qui explique la quasi-disparition des triangulaires de second tour (une seule en 2017) et l'inexistence, désormais, des «quadrangulaires».

Dans sa sagesse, l'article L162 du Code électoral déjà cité garantit au second tour la présence des deux candidats arrivés en tête au premier si au moins deux candidats (ou plus) ne justifient pas des 12,5 % des inscrits. C'est le problème majeur : trois blocs, deux places. L'élection de 2017 conservait la trace de l'état précédent (le groupe LR était le premier groupe d'opposition à l'Assemblée nationale). Depuis, les cartes ont été rebattues et les candidatures LR, PS, EELV et PCF sèchement battus (en quoi, si s'en tenir aux résultats du seul premier tour de la présidentielle n'est pas acceptable, ne pas les prendre sérieusement en compte serait irréaliste).

6. L'impossible «ni-ni» socialiste. — Le PS aurait pu envisager de rester sur l'Aventin en pratiquant un ni-ni à sa manière (ni Macron, ni Mélenchon en raison de désaccords de fond, notamment sur l'Europe ou la relation à la Russie de Poutine). Pour quel résultat? Les 1,74% d'Anne Hidalgo au premier tour auraient pesé négativement sur les votes de premier tour des législatives (c'est mon opinion et, comme disait Joseph Prudhomme, je la partage). Par anti-mélenchonisme primaire un ralliement à Macron? Impensable. Même les critiques de l'accord au sein du PS n'ont pas cédé, surtout après cinq années de pratique jupitérienne du pouvoir, à ses sirènes. Se situer hors du jeu d'ensemble? Bien difficile pour exister avec des alliés potentiels déjà ralliés à LFi. Restait la logique de l'union des gauches (sans l'unité), avec un accord électorale de premier tour meilleur qu'un accord de désistement qui ne garantissait à aucun «partenaire» d'être présent au second tour.

7. Danger d'extrême droite et rapports de force parlementaires à venir. — Dans le paysage politique, la présence des trois blocs et des deux tours pose la question du rapport de forces dans la future Assemblée nationale. La dispersion des gauches (le terme n'est plus honni, de fait, à LFi) entraînerait son effacement parlementaire avec un centre de gravité très fortement alourdi à l'extrême droite. Au second tour, Marine Le Pen n'avait obtenu «que» 33,90% des exprimés en 2017 (ce qui était mieux que les 17,79% de papa en 2002); en 2022, elle obtenait 41,45% . Mais, au premier tour, l'écart avec Emmanuel Macron s'était particulièrement resserré: 27,95 % (Macron) contre 23,15 % (Le Pen). Si le RN devenait la première force d'opposition parlementaire, le passage de la bascule vers l'extrême droite dans cinq ans en serait facilité.

Inversement, dans un système à trois blocs, rien n'exclut en théorie que LREM et ses alliés soient le second bloc, ou du moins que sa majorité ne soit que relative. Si l'on répond que Michel Rocard a beaucoup gouverné à coups de 49,3 (autrement dit, le troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution), on oublie que la révision constitutionnelle «Sarkozy» est passée par là: en dehors des lois de finances et de financement de la Sécurité sociale (même si ce n'est pas rien), le Gouvernement ne peut y recourir que pour un projet ou une proposition de loi par session parlementaire (la session ordinaire va d'octobre à juin; peut s'y rajouter une session extraordinaires ou plusieurs dans l'intervalle, mais utiliser cette astuce pour passer en force, et donc en 49,3, aurait un prix politique certain).

En guise de post-scriptum. — En 2012, le PS disposait de la majorité à l'Assemblée nationale et (temporairement) au Sénat et dirigeait la majorité des régions. Malgré des îlots de résistance (régions, départements, municipalités), cela a fondu, en particulier dans les institutions nationales. Ceux qui, appartenant au Parti socialiste du passé, n'y sont plus activement engagés ont, de mon point de vue, le devoir de s'exprimer avec la réserve et la modestie que devraient leur imposer naturellement un questionnement sur le pourquoi de cette dégringolade. Ceux qui y sont engagés sont naturellement fondés à exprimer une position opposée à l'accord et à vouloir peser dans les débats internes (qu'on espère sans invectives, mais enfin, ça ne pourra pas être pire que le congrès de Rennes de sinistre mémoire).

Entre l'utopie mobilisatrice d'Épinay (de Changer la vie et du Programme commun de 1972), le choc de la réalité et les dérives gestionnaires, il y a un regard critique a apporter pour reconstruire ce que signifie, dans un cadre où les réponses ne peuvent plus être seulement hexagonales, le socialisme (en tout cas ce que ce concept peut recouvrir aujourd'hui) et l'attente de ce qu'on pourrait nomme une «radicalité raisonnée de gouvernement». En tout cas, à ceux qui voudrait enterrer le Parti socialiste (et ce qu'il représente), on rappellera le mot de Talleyrand qui vaut pour les courants d'idées comme pour les personnes: «les morts politiques ne sont qu'une suite de résurrections.»

En attendant, pour ma part, j'éviterai de céder à la politique... de l'invective.

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