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Billet de blog 22 avril 2020

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En réponse aux propos de André Comte-Sponville autour du déconfinement

Qu’il n’y ait surtout pas de méprise. Je suis d’assez près depuis plus d’une trentaine d’années vos productions philosophiques et littéraires que j’ai lues en grande partie,  comme j’ai écouté nombre de vos conférences, toujours avec beaucoup d’intérêt et de  plaisir. ..Pourtant...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Monsieur COMTE-SPONVILLE,

 J’ai assisté à votre  intervention le 21 avril dernier dans l’émission « C à vous » en présence du professeur   Gilbert Deray . (émission précisons-le  qu’on peut se passer de regarder sans craindre de ressentir un manque,  tellement sa forme se plait à  titiller à  mauvais escient  la fibre émotionnelle des spectateurs, et dont la chaîne  semble faire son fonds de commerce…)

Si j’adhère pour l’essentiel à vos propos il demeure entre nous certaines divergences que j’éprouve le besoin de souligner.

Qu’il n’y ait surtout pas de méprise. Je suis d’assez près depuis plus d’une trentaine d’années vos productions philosophiques et littéraires que j’ai lues en grande partie,  comme j’ai écouté nombre de vos conférences, toujours avec beaucoup d’intérêt et de  plaisir. Autant dire que j’ai pour vous une grande considération, et que celle-ci me laisse de ce fait toute liberté pour tenter de vous contredire.

Vous avez eu le mérite de donner un coup de pied dans la fourmilière, en tenant  des propos vifs  qui ont choqué certains , comme on a pu le deviner sur le visage éberlué de votre voisin, respectable et éminent professeur de médecine, qu’on a vu se  décomposer au fur et à mesure de vote intervention, après qu’il ait , de son coté,  préalablement, dans un discours policé,  insisté sur le fait que les vieux des EHPAD étaient en grand danger surtout  pour des raisons d’ordre psychologique.

Votre propos a aussi eu  l’intérêt comme on dit souvent (encore un élément de langage), de « libérer la parole ». Ces quelques lignes  en sont un  exemple.

J’ai quasiment vote âge,( 67 ans) et à ce titre je m’inclus, «  bon an mal an », et  «  par la force des choses »,  dans le groupe des « vieux ». Pour autant j’ai comme certains et peut être vous-même la chance d’être en parfaite santé   pratiquant le sport, depuis toujours,  de manière intensive.  Je me situerai donc comme vous dans le groupe des vieux, qu’on pourrait  appeler dorénavant  le groupe « des vieux qui refusent de se sentir vieux » (il faut bien leur donner un nom)

Alors nos divergences ?

L’intérêt du confinement, disiez-vous.

Vous l’avez dit :  l’ intérêt de cette mesure  vous parait évident , comme à moi-même d’ailleurs , sur la base des informations et  commentaires dont nous ont  abreuvés les spécialistes du monde médical   quasi unanimes, et auxquels il nous faut , faute d’arguments solides et circonstanciés à leur opposer,  faire une confiance totale .Vous rappelez que vous  avez respecté cette mesure de confinement  avec scrupule depuis son début , et que vous envisagez de la poursuive tout aussi scrupuleusement jusqu’au 11 mai prochain, comme je l’ai fait moi-même et continuerai de le faire, du fait de son bien-fondé, peu contestable.

La poursuite du  déconfinement, disiez-vous.

Si le gouvernement nous avait  demandé de  poursuivre cette mesure ,  quatre semaines supplémentaires  dans les mêmes conditions que les huit  premières , sans doute auriez-vous accepter sans,  trop rechigner, de poursuivre sa reconduction , convaincu de l’efficacité  de la mesure, comme moi même évidemment,  et sans doute comme la majorité des « vieux   qui refusent de  se sentir vieux »

Le déconfinement discriminatoire, disiez vous

Lors de la dernière intervention du Président, ce n’est pas tant le fait de prolonger la mesure déjà en place  qui semble avoir posé problème à certains de nos concitoyens , c’est le fait qu’une partie de la population seulement y ait été « invitée » voire  «  potentiellement enjointe »,  selon ce que l’on voulait en comprendre.. C’est donc là que le bât a  blessé.

J’ai évidemment entendu dans les jours qui ont suivi cette annonce, les réactions de ces » vieux qui refusent de se sentir vieux ». J’ai trouvé leurs dires assez peu recevables quand ils n’étaient pas   pitoyables, gorgés de mesquineries, de petitesses pour ne pas dire  d’égoisme, lorsqu'ils  fustigeaient cette « atteinte aux libertés ». Accepter, malgré la lassitude, la poursuite du confinement limité « aux vieux et autres personnes à risques » n’aurait-il pas été de la part de ces personnes   un signe de profonde solidarité avec le reste de la population et notamment les jeunes, en  permettant à ceux-ci de reprendre leurs activités et de participer à la  relance de  la machine économique, dans l’intérêt de tous. Poursuivre l’effort de guerre en somme, chacun en fonction de ses moyens.

Plusieurs sortes de vieux,disaient-ils

Les arguments produits par cette frange de la population étaient basés sur le fait que les vieux ne constituent pas une entité homogène. Car  il y a « vieux,  et vieux »… Certes, nous ont-ils laissé comprendre,  il y a les vieux fatigués , malades,   mais il y a surtout les vieux en pleine forme , ceux du groupe des » vieux qui refusent de se sentir  vieux », et qui veulent intensément  le faire savoir, alors que les mêmes n’ont eu de cesse de se  plaindre, lorsqu’ils percevaient à une échéance, trop lointaine à leur goût,  la fin de leur activité professionnelle (peut-être à juste titre) ,  de leur situation de travailleurs laborieux , qu’ils aient été ouvriers, cadres moyens ou supérieurs,  enseignants ou  personnels médicaux, et de faire valoir leur droit à la retraite au plus tôt  , usés qu’ils étaient , s’ils n’ avaient pas fait l’objet d’un burn out. Il  est troublant de constater que ce sont ces mêmes  personnes  qui  se  trouvent  soudainement en pleine forme ,  tout à fait  revigorées, craignant les affres de l’ exclusion .Et pourtant   la crainte de se sentir  exclus du monde social et économique de leur part  parait-elle légitime alors qu’elles  se sont  placées elles- mêmes, peu ou prou,  en situation d’exclusion   en réclamant urgemment et en l’acquérant, le statut de retraités.

Ces propos, pour le moins ambigus laissent deviner, de la part de ceux qui les ont proféré,  une certaine volonté de faire un tri dans ce groupe de vieux, une nouvelle  partition constituée de sous-catégories , chacune peut être pourvue de fins  différentes… A chacun donc son mode de discrimination !…

L’indécence des propos, pensais-je

Ce groupe de vieux auxquels nous appartenons l’un et l’autre , constitue le groupe des papy-boomers, population  dont on sait qu’elle  a bénéficié le plus des effets de la croissance des trente glorieuses, c’est à dire davantage  que leur prédécesseurs et davantage certainement  que ce à quoi pourront prétendre leurs successeurs , la  retraite des premiers pour l’essentiel se révélant par ailleurs  souvent confortable voire  quelques fois supérieure au niveau de rémunération salariale de leurs propres enfants. Je ne voudrais pas en rajouter en insistant sur le fait que cette génération en tirant profit des effets de la croissance a contribué à laisser s’installer sans trop chercher à s’y opposer,   mondialisation et globalisation,  qui sont les principales causes de  la crise actuelle tant  sanitaire qu’économique.

« L’effort de guerre » nécessite des investissements colossaux a dit le président, chiffrés par centaines de milliards, qui vont accroitre  la dette,  pénalisant d’autant la condition  des générations futures.

Que vont donc  penser ces  enfants et petits-enfants en constatant cette absence  de solidarité de la part de leurs ainées,  aussi clairement affichée. Ne serait-il pas légitime de la part des premiers  de leur demander  de rendre des comptes ?

Le droit de prendre le risque individuel de contracter la maladie, disiez vous.

Est acquis le fait que les vieux, comme les personnes affectées de diverses morbidités,  sont les plus exposées à la maladie et à ses conséquences mortelles. Que ces personnes fassent l’objet de précautions renforcées n’apparaît donc ni éthiquement ni médicalement contestables, notamment via une poursuite du confinement.

Vous faites état dans vos propos, comme beaucoup du groupe des « vieux qui refusent de se sentir vieux »,  du droit d’assumer pleinement, individuellement, le risque de vous exposer à la maladie et à ses conséquences les plus graves, au nom de la liberté. Il s’agit là d’une question qui n’est pas nouvelle puisqu'elle  est régulièrement peu ou prou posée quand il s’agit de faire procéder à des vaccins obligatoires…Alors Pourquoi pas ?...

Pour autant vous savez que l’état Providence qui nous entoure ne vous laissera pas,  en cas de survenue de graves symptômes, agoniser chez vous,  mais qu’il  vous fera, puisque telle est sa vocation,  transporter dans les plus brefs délais à l’hôpital  le plus proche où vous viendrez grossir le flôt des malades , notamment ceux qui,  eux,  auront capté le virus, non pas en faisant  valoir leur droit à la liberté, mais parce qu’ ils s’y  seront trouvés  exposés, sans le désirer, et à leur corps défendant quelquefois , du fait de  leur activité professionnelle.

En portant atteinte individuellement à notre intégrité, par choix délibéré,  nous générons un préjudice qui devra être supporté collectivement.   Les  actes qui engagent notre responsabilité individuelle engagent aussi la responsabilité collective de cette société évoluée qu’est la nôtre.

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