Monsieur COMTE-SPONVILLE,
J’ai assisté à votre intervention le 21 avril dernier dans l’émission « C à vous » en présence du professeur Gilbert Deray . (émission précisons-le qu’on peut se passer de regarder sans craindre de ressentir un manque, tellement sa forme se plait à titiller à mauvais escient la fibre émotionnelle des spectateurs, et dont la chaîne semble faire son fonds de commerce…)
Si j’adhère pour l’essentiel à vos propos il demeure entre nous certaines divergences que j’éprouve le besoin de souligner.
Qu’il n’y ait surtout pas de méprise. Je suis d’assez près depuis plus d’une trentaine d’années vos productions philosophiques et littéraires que j’ai lues en grande partie, comme j’ai écouté nombre de vos conférences, toujours avec beaucoup d’intérêt et de plaisir. Autant dire que j’ai pour vous une grande considération, et que celle-ci me laisse de ce fait toute liberté pour tenter de vous contredire.
Vous avez eu le mérite de donner un coup de pied dans la fourmilière, en tenant des propos vifs qui ont choqué certains , comme on a pu le deviner sur le visage éberlué de votre voisin, respectable et éminent professeur de médecine, qu’on a vu se décomposer au fur et à mesure de vote intervention, après qu’il ait , de son coté, préalablement, dans un discours policé, insisté sur le fait que les vieux des EHPAD étaient en grand danger surtout pour des raisons d’ordre psychologique.
Votre propos a aussi eu l’intérêt comme on dit souvent (encore un élément de langage), de « libérer la parole ». Ces quelques lignes en sont un exemple.
J’ai quasiment vote âge,( 67 ans) et à ce titre je m’inclus, « bon an mal an », et « par la force des choses », dans le groupe des « vieux ». Pour autant j’ai comme certains et peut être vous-même la chance d’être en parfaite santé pratiquant le sport, depuis toujours, de manière intensive. Je me situerai donc comme vous dans le groupe des vieux, qu’on pourrait appeler dorénavant le groupe « des vieux qui refusent de se sentir vieux » (il faut bien leur donner un nom)
Alors nos divergences ?
L’intérêt du confinement, disiez-vous.
Vous l’avez dit : l’ intérêt de cette mesure vous parait évident , comme à moi-même d’ailleurs , sur la base des informations et commentaires dont nous ont abreuvés les spécialistes du monde médical quasi unanimes, et auxquels il nous faut , faute d’arguments solides et circonstanciés à leur opposer, faire une confiance totale .Vous rappelez que vous avez respecté cette mesure de confinement avec scrupule depuis son début , et que vous envisagez de la poursuive tout aussi scrupuleusement jusqu’au 11 mai prochain, comme je l’ai fait moi-même et continuerai de le faire, du fait de son bien-fondé, peu contestable.
La poursuite du déconfinement, disiez-vous.
Si le gouvernement nous avait demandé de poursuivre cette mesure , quatre semaines supplémentaires dans les mêmes conditions que les huit premières , sans doute auriez-vous accepter sans, trop rechigner, de poursuivre sa reconduction , convaincu de l’efficacité de la mesure, comme moi même évidemment, et sans doute comme la majorité des « vieux qui refusent de se sentir vieux »
Le déconfinement discriminatoire, disiez vous
Lors de la dernière intervention du Président, ce n’est pas tant le fait de prolonger la mesure déjà en place qui semble avoir posé problème à certains de nos concitoyens , c’est le fait qu’une partie de la population seulement y ait été « invitée » voire « potentiellement enjointe », selon ce que l’on voulait en comprendre.. C’est donc là que le bât a blessé.
J’ai évidemment entendu dans les jours qui ont suivi cette annonce, les réactions de ces » vieux qui refusent de se sentir vieux ». J’ai trouvé leurs dires assez peu recevables quand ils n’étaient pas pitoyables, gorgés de mesquineries, de petitesses pour ne pas dire d’égoisme, lorsqu'ils fustigeaient cette « atteinte aux libertés ». Accepter, malgré la lassitude, la poursuite du confinement limité « aux vieux et autres personnes à risques » n’aurait-il pas été de la part de ces personnes un signe de profonde solidarité avec le reste de la population et notamment les jeunes, en permettant à ceux-ci de reprendre leurs activités et de participer à la relance de la machine économique, dans l’intérêt de tous. Poursuivre l’effort de guerre en somme, chacun en fonction de ses moyens.
Plusieurs sortes de vieux,disaient-ils
Les arguments produits par cette frange de la population étaient basés sur le fait que les vieux ne constituent pas une entité homogène. Car il y a « vieux, et vieux »… Certes, nous ont-ils laissé comprendre, il y a les vieux fatigués , malades, mais il y a surtout les vieux en pleine forme , ceux du groupe des » vieux qui refusent de se sentir vieux », et qui veulent intensément le faire savoir, alors que les mêmes n’ont eu de cesse de se plaindre, lorsqu’ils percevaient à une échéance, trop lointaine à leur goût, la fin de leur activité professionnelle (peut-être à juste titre) , de leur situation de travailleurs laborieux , qu’ils aient été ouvriers, cadres moyens ou supérieurs, enseignants ou personnels médicaux, et de faire valoir leur droit à la retraite au plus tôt , usés qu’ils étaient , s’ils n’ avaient pas fait l’objet d’un burn out. Il est troublant de constater que ce sont ces mêmes personnes qui se trouvent soudainement en pleine forme , tout à fait revigorées, craignant les affres de l’ exclusion .Et pourtant la crainte de se sentir exclus du monde social et économique de leur part parait-elle légitime alors qu’elles se sont placées elles- mêmes, peu ou prou, en situation d’exclusion en réclamant urgemment et en l’acquérant, le statut de retraités.
Ces propos, pour le moins ambigus laissent deviner, de la part de ceux qui les ont proféré, une certaine volonté de faire un tri dans ce groupe de vieux, une nouvelle partition constituée de sous-catégories , chacune peut être pourvue de fins différentes… A chacun donc son mode de discrimination !…
L’indécence des propos, pensais-je
Ce groupe de vieux auxquels nous appartenons l’un et l’autre , constitue le groupe des papy-boomers, population dont on sait qu’elle a bénéficié le plus des effets de la croissance des trente glorieuses, c’est à dire davantage que leur prédécesseurs et davantage certainement que ce à quoi pourront prétendre leurs successeurs , la retraite des premiers pour l’essentiel se révélant par ailleurs souvent confortable voire quelques fois supérieure au niveau de rémunération salariale de leurs propres enfants. Je ne voudrais pas en rajouter en insistant sur le fait que cette génération en tirant profit des effets de la croissance a contribué à laisser s’installer sans trop chercher à s’y opposer, mondialisation et globalisation, qui sont les principales causes de la crise actuelle tant sanitaire qu’économique.
« L’effort de guerre » nécessite des investissements colossaux a dit le président, chiffrés par centaines de milliards, qui vont accroitre la dette, pénalisant d’autant la condition des générations futures.
Que vont donc penser ces enfants et petits-enfants en constatant cette absence de solidarité de la part de leurs ainées, aussi clairement affichée. Ne serait-il pas légitime de la part des premiers de leur demander de rendre des comptes ?
Le droit de prendre le risque individuel de contracter la maladie, disiez vous.
Est acquis le fait que les vieux, comme les personnes affectées de diverses morbidités, sont les plus exposées à la maladie et à ses conséquences mortelles. Que ces personnes fassent l’objet de précautions renforcées n’apparaît donc ni éthiquement ni médicalement contestables, notamment via une poursuite du confinement.
Vous faites état dans vos propos, comme beaucoup du groupe des « vieux qui refusent de se sentir vieux », du droit d’assumer pleinement, individuellement, le risque de vous exposer à la maladie et à ses conséquences les plus graves, au nom de la liberté. Il s’agit là d’une question qui n’est pas nouvelle puisqu'elle est régulièrement peu ou prou posée quand il s’agit de faire procéder à des vaccins obligatoires…Alors Pourquoi pas ?...
Pour autant vous savez que l’état Providence qui nous entoure ne vous laissera pas, en cas de survenue de graves symptômes, agoniser chez vous, mais qu’il vous fera, puisque telle est sa vocation, transporter dans les plus brefs délais à l’hôpital le plus proche où vous viendrez grossir le flôt des malades , notamment ceux qui, eux, auront capté le virus, non pas en faisant valoir leur droit à la liberté, mais parce qu’ ils s’y seront trouvés exposés, sans le désirer, et à leur corps défendant quelquefois , du fait de leur activité professionnelle.
En portant atteinte individuellement à notre intégrité, par choix délibéré, nous générons un préjudice qui devra être supporté collectivement. Les actes qui engagent notre responsabilité individuelle engagent aussi la responsabilité collective de cette société évoluée qu’est la nôtre.