Monsieur COMTE-SPONVILLE,
Je vous faisais part dans un précédent commentaire des divergences de vues qu’avait suscitées, chez moi, votre intervention sur France 5 en date du 21 avril dernier, au sujet de la crise sanitaire. Celles-ci s’étaient alors limitées au seul contenu de vos propos. J’en serais évidemment resté là si je n’avais, sous l’effet , allez savoir, d’une quelconque addiction à votre système de pensée, décidé d’écouter l’émission de ce jour, d’Adèle Van Reeth, sur France Culture, ou vous étiez invité à parler de Montaigne et des pandémies... Si au cours de la premier partie de l’émission qui a duré près d’une heure, a surtout été évoquée l’attitude de Montaigne face à l «’épidémie de peste noire » à laquelle il avait dû faire face en son territoire Bordelais, l’animatrice vous a ensuite interrogé sur votre mode d’appréhension de la pandémie du coronavirus. En vous écoutant j’ai retrouvé l’essentiel de votre exposé du 21 avril sur France 5, et quelques recherches complémentaires m’ont permis de découvrir que ces mêmes propos vous les aviez déjà prodigués à plusieurs reprises dans les médias depuis le début du confinement. Evidemment cette découverte modifie notablement la nature de ce qu’a été mon ressenti lorsque je vous ai entendu, pour la première fois , sur la chaine de France Télévision, vous exprimer sur le sujet. C’est donc sur la forme de votre intervention, cette fois, que je veux insister dans les présentes lignes.
Même si ce ne fut pas l’intégralité de votre intervention, vous avez, sur France 5, avec une émotion apparemment non feinte, évoqué la situation douloureuse qui attendaient nos jeunes dans les années futures et, fort d’un argumentaire implacable, exprimé combien leur avenir incertain vous « donnait envie de pleurer ». Vos propos convaincants invitaient à la compassion (dans le pur sens du terme), et c’est bien volontiers que, à distance et symboliquement, j’aurais alors mêlé mes larmes aux vôtres si un excès d’émotion vous y avait fait succomber.
Pour autant cette scène dont l’authenticité n’apparaissait, sur le fait, pas contestable, prend évidemment une toute autre dimension lorsqu’on découvre qu’un évènement de même nature s’était déroulé préalablement sur d’autres médias… Car alors inévitablement se pose la question de l’authenticité du propos. Cette démarche qui consiste à répondre à la sollicitation des médias pour exprimer « l’envie de pleurer que suscite la situation actuelle », aussi douloureuse soit elle, outre qu’elle peut paraitre indécente, par son caractère répétitif, enlève surtout beaucoup de crédit à celui qui l’initie. Mais sans doute saviez-vous le risque que vous encourriez, en vous rendant sur le plateau de France 5, dans une émission populaire de grande écoute, dont l’objet est de faire de l’audience avec quelquefois des sujets racoleurs, sachant qu’il n’allait pas vous être octroyé plus de 10 mn pour exposer votre avis.
Qu’avait donc, l’éminent philosophe que vous êtes, à gagner à y participer, au risque de se bruler les ailes ?.. .Peut-être l’adhésion d’un public à qui vous étiez inconnu ou qui vous connaissait mal… Sans doute d’ailleurs l’objectif a-t-il été atteint .Par contre le revers était le risque de vous discréditer aux yeux de ceux,( dont je fais partie) qui , piqués de philosophie, ont suivi avec intérêt vos travaux. Car, à dire vrai, vos interventions successives (hormis celle de France Culture) non seulement étaient dépouillées alors de tout caractère philosophique (à quelques citations près), mais encore, pressées par le temps et partant quelque peu dénaturées voire atrophiées, se voyaient quasi réduites à de simples discussions de café du commerce…Mais ça on ne peut vous le reprocher puisque, bien évidemment, c’est peu ou prou ce qu’on attendait de vous. Que pouvions-nous d’ailleurs attendre de plus ?...
« La philosophie échoue ! » marteliez-vous aujourd’hui sur France-Culture. Mais au fond cette occupation actuelle qui est la vôtre et dont on ose penser qu’elle demeurera fugitive, après une vie passée à l’étude et à l’enseignement de la philosophie, ne constitue-t- elle pas le meilleur exemple de cette assertion sentencieuse ?...
Aussi je conclurais avec deux citations :
La première de Michel DEON, « Il vaut mieux tuer ses idoles que de les voir ternir »
La seconde est de vous-même : « Mieux vaut une vraie tristesse à une fausse joie »
Or donc, sans que ces évènements n’enlèvent quoi que ce soit à vos qualités de philosophe, je préfère garder de vous le souvenir de cette soirée où, sur le plateau de la Grande Librairie, vous louiez, en sa présence, avec une grande sensibilité et beaucoup de sincérité me semble-t-il, les qualités d’écriture de votre ami le poète Christian BOBIN, dont je suis également un adepte.
le 27-04-2020