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Billet de blog 29 mai 2020

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En réponse à Mme Carol Mann "Non, Nos vieux ne sont pas des déchets"

J’ai lu et relu votre billet sans parfaitement percevoir quel était l’objet de votre thèse.

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J’ai lu  et relu votre billet sans parfaitement  percevoir  quel était l’objet de votre thèse.

« Non, Nos  vieux ne sont pas des déchets » titrez-vous, avec une once de provocation  qui laisse supposer ce que sera le développement de vos propos. Les mots ne sont évidemment pas anodins et, souvent chargés affectivement,  ne décrivent pas toujours la stricte  réalité. « Rebuts » ou « Résidus »  eut été peut être davantage  représentatif de la dite réalité, et en tout cas moins provocateur…

Vous écrivez :

« En fait la société a relégué nos vieux dans des mouroirs en les dissimulant à la vue des plus jeunes, puisque sans avenir, improductifs, non consommateurs, ils sont devenus » des parias, les intouchables de nos castes occidentales. »

Les personnes âgées ont non seulement disparu des représentations, mais aussi de la réalité de la vie actuelle, ce que l'hécatombe du COVID 19 nous a rappelé. Nous sommes condamnés à la parade d'une éternelle jeunesse. »

Evidemment malgré ceux qui s’en défendent, le vieillissement et la mort qui le conclut, font peur. Pour autant persister à vouloir  occulter le sujet ne mène à rien et ne constitue pas une attitude mature.
Au cours du confinement le philosophe  André COMTE-SPONVILLE  a répété à l’envi sur les médias que la Covid faisait subitement prendre conscience à beaucoup,  que nous sommes mortels. En ce sens il avait raison.

Un autre, plus illustre,  bien avant lui avait dit « Philosopher, c’est apprendre à mourir »

L’évolution galopante de l’espérance de vie  depuis un siècle, les propos d’un Laurent ALEXANDRE qui nous vante les mérites d’une vie perpétuelle, puisque un prochain objectif de cette  mouvance  qui gravite autour de « l’homme augmenté », est de « Tuer la mort », participent évidemment de cette négation de notre finitude.  Et d’en  rajouter  en nous affirmant que l’homme qui va vivre « mille ans » est déjà né, propos intrigants mais  ouvrant, pour certains  avec  une certaine  avidité,  des horizons insoupçonnés.  

Pourtant  cette attitude face aux vieux est-elle imputable à nos choix politiques ou simplement à des évolutions purement et uniquement sociétales ?

Se pose comme toujours la question de la confrontation de la responsabilité collective (donc d’ordre politique) et de la responsabilité individuelle (souvent d’ordre moral). Il est comme toujours à la fois plus aisé et davantage porteur d’espoir  d’imputer cette attitude à l’ordre politique car cela donne à  penser qu’en se mobilisant notre regard sur les choses et  notre  comportement peuvent évoluer.

Vous écrivez :

 «  La pétition intitulée "non à la sortie plus tardive du confinement pour les seniors" a recueilli quelque 86 000 signatures de "Seniors en forme" et a obligé au gouvernement de reculer. »

Je faisais allusion plus haut aux propos de  A. COMTE-SPONVILLE récemment formulés justement, après que l’Etat ait envisagé de poursuivre le confinement des personnes âgées…Certains propos véhéments tenus à l’époque avaient pu paraitre contestables.

Et pourtant , Si le gouvernement nous avait  demandé de  poursuivre cette mesure ,  quatre semaines supplémentaires  dans les mêmes conditions que les huit  premières , sans doute chacun aurait  accepté, sans  trop rechigner, de poursuivre sa reconduction , convaincu de l’efficacité  de la mesure,  et sans doute comme la majorité des « vieux   qui refusent de  se sentir vieux »(il faut bien leur donner un nom)

Lors de la dernière intervention du Président, ce n’est pas tant le fait de prolonger la mesure déjà en place  qui semble avoir posé problème à certains de nos concitoyens , c’est le fait qu’une partie de la population seulement y ait été « invitée » voire  «  potentiellement enjointe »,  selon ce que l’on voulait  comprendre du discours…C’est donc là que le bât a  blessé, puisqu’alors un groupe de « vieux qui refuse d’être vieux »,  a organisé la pétition que vous évoquez.

A chacun donc son mode de discrimination en fonction de ses intérêts personnels.

 Vous écrivez 

  « Vieillir parmi les siens, entouré de ses proches, ne fait plus partie des configurations familiales occidentales, ni même dans une configuration para-familiale envisageable aujourd'hui, soit dans un lieu de vie choisi, avec des amis »

 Cependant le principe d'exclusion du monde des vivants est demeuré intact 

Et de rajouter

 « Dans nos sociétés, la personne âgée de 80 ans et plus est souvent considérée un fardeau pour ses proches qui ne peuvent pas ou ne veulent pas s'en occuper. Quitte à payer le prix fort dans une maison de retraite, de 2 000 € à 5 000€, …, Le sacrifice financier que cela implique souvent pour les proches, voire l'éventuel sentiment de culpabilité semble préférable à la perspective d'accueillir une grand-mère chez soi - car trois quarts des internés sont des femmes. »

Finalement tout n’est-il pas résumé dans ce paragraphe, qui montre bien que les jeunes générations ne veulent pas se charger d’un tel  fardeau et qu’elles préfèrent déléguer la gestion de leurs vieux aux Institutions idoines.

Mais on ne peut évidemment pas gagner sur tous les tableaux.

Si les changements de société , au regard de toutes les agressions que subit notre monde, doivent passer par une forme de décroissance économique , alors on doit  intégrer le fait qu’il nous faudra nous restreindre  dans la consommations de biens et de services et qu’alors  peut-être cette délégation de la gestion des vieux pourrait , elle aussi, se voir  remise en question

Vous soulignez également  le fait que :

« Improductifs (s'ils n'ont pas de quoi investir), leur pouvoir d'achat réduit leur capacité de consommer, donc n'en font que des bouches inutiles à nourrir - où peut-être un jour à euthanasier en masse. »  et que :

«  La vieillesse, comme la mort est un accident de parcours honteux à cacher avec ses premiers cheveux blancs. »

Vous écrivez empreinte d’une forme de regret plus ou moins implicite :

«  Nous vivons ainsi une version dépourvue de dignité de l'antique tradition japonaise montrée dans le film La Ballade de Narayama (1983) du réalisateur Shôhei Imamura : à 70 ans, les villageois allaient mourir volontairement au sommet du mont Narayama, où se rassemblaient les âmes des morts »…

Pensez-vous que cette attitude éminemment vertueuse et qui repose  sur des fondements culturels anciens, puisse être adoptée en France ?...alors que, comme nous l’avons dit , la moindre évocation de la mort suscite la peur et à ce titre  demeure bannie…

Vous attirez l’attention sur le fait que les vieux des EHPAD souffrent d’isolement, laissant entendre que finir ses jours au milieu des siens présente  beaucoup d’avantages. Certes on ne peut qu’adhérer à cette assertion .Pour autant il convient de garder à l’esprit que la fin de vie est forcément et toujours   psychiquement  douloureuse quand elle ne l’est pas physiquement  et que de ce fait elle doit se préparer. Mais pour la préparer encore en faut-il  déjà en accepter l’idée… En tout état de cause il s’agit évidemment d’une expérience unique et strictement  individuelle, même bien  entouré.

Enfin et pour illustrer mon dernier propos, ci-dessous un texte écrit quelques temps avant la disparition d’un couple ,  l’un et l’autre en fin de vie ,   suivi à son  domicile par des  personnes  soignantes et entouré affectueusement de ses proches. Le ressenti  d’un mourant en EHPAD serait-il profondément différent ?

VIEILLIR…LA  BELLE  AFFAIRE…

ELLE, et le crabe qui l’habite,

Le corps rabougri,

Recroquevillée dans son nouveau fauteuil,

Vestige pathétique d’une existence

Mue jadis par une force vitale

Et une autorité flamboyantes.

Les épidermes de deux joues qui se frôlent,

Mais sans plus…

Les muqueuses sèches et figées…

La présence de ce petit tuyau de PVC

Lui servant de sonde,  le long du flanc gauche,

Comme un inutile rempart

A toute improbable tentative d’effusion …

Un rituel qui s’est instauré depuis longtemps déjà,

Mais qui se révèle vide de sens …

Le front baissé, le regard perdu, l’inquiétude

Qui se lit sur ce visage bientôt décharné…

Et soudain,

Dans l’atmosphère pesante de ce lieu chargé de souvenirs,

Devenu une sorte de « mouroir conjugal »,

Comme une réponse à une initiative sans doute mal perçue,

Ces trois mots qui fusent, cinglants:…

« MAIS NON…ENFIN !!!… » ...

Ultime manifestation d’une autorité qui déchoit…

Est-ce le corps qui persiste ou l’esprit qui s’acharne ?…

Lequel devance l’autre?

A moins qu’ils ne fonctionnent de concert

Face au vide qui se dessine, à l’échéance qui s’approche…

Que lui reste-t-il?…

A quoi occupe-t-elle ses pensées? …

La foi dans sa religion ? Un maigre recours,

D’ailleurs s’y réfère-t-elle?…

Y a-t-elle jamais cru?…

A ce faux-semblant, ce paravent,

Palliatif de l’angoisse existentielle

Qui nous accompagne tous à un moment de notre existence…

LUI, et son nouvel ami Alzheimer

 Au sortir du lit,

Hébété par un reste de sommeil,

Dont il ne parvient pas à se déprendre …

L’incapacité physique à se redresser…

L’incompréhension qu’il affiche

Quand il s’agit pour lui de se vêtir de son bas de pyjama,

Avant de se diriger à tâtons vers la cuisine…

Une flaque d’urine sur le carrelage, au pied du montauban…

Autant de signes de ce qu’il faut bien nommer décrépitude …

Avait-il imaginé un jour connaître pareille situation,

Lui qui ne jurait que par la crémation?...

Faire disparaître, le rideau baissé,

Les traces d’un corps dépossédé de la vie

Pour lui éviter cette forme de pourrissement…

La haute considération qu’il avait de lui-même

Du temps de son vivant (n’est-il pas déjà un peu mort ?)

L’aurait-elle autorisé à tenir ce rôle,

Dénué de toute dignité,

Qu’on persiste à vouloir lui faire jouer?…

Mais comme toujours ces choses n’ont jamais été dites,

La question  jamais posée …

N’est-ce pas là l’essentiel, cette quête de sens

Que sans doute chacun poursuit

Mais qu’il répugne à afficher au grand jour?…

Ne soyez pas surpris

Qu’on puisse imaginer vouloir se retirer

De cette situation devenue douloureuse,

Quand elle n’est pas insupportable…

Notre devoir individuel est aussi

De veiller à conserver sa propre intégrité,

Tant physique que psychique.

Face à ses ascendants vieillissants,

La loi exige : de l’assistance …

La morale : de la décence…

Le reste demeure à la discrétion de chacun,

Et ne doit pas prêter à jugement…

C’est bien là que réside l’ambigüité…

Un vieux mythe persiste…

Celui qu’en fin de vie les langues se délient

Et les cœurs se rapprochent….

La réalité nous montre hélas qu’elle est toute autre…

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