Visite d’un architecte urbaniste français en Chine
J'ai découvert la Chine voici six mois et depuis j'ai lentement approfondi mes connaissances.
L'étonnement m'a saisi d'abord après les à priori que nous avons tous entendu concernant ce pays.
Je suis architecte urbaniste et enseignant en école d'architecture à Montpellier qui se pique d'avoir une politique "Moderne" en ce qui concerne l'Urbanisme et qui en est fait est une vitrine de l'Urbanisme ultra libéral le plus agressif.
J'ai passé deux semaines à Chengdu, une ville patrimoniale qui a détruit l'essentiel de son patrimoine, et est entrain d'en reconstituer des ersatz à grande vitesse et avec un enthousiasme certain des populations qui vont se promener avec plaisir dans ces nouveaux lieux d'une mémoire "kitch" hâtivement reconstruite.
Chengdu est passée de 800 000 habitants à plus de 14 000 000 d’habitants en trente ans, la politique urbaine suivie est particulièrement efficace et peut laisser sans voix et sans réaction un architecte urbaniste qui agit en politique comme je le fais et qui ne voit en France que contradictions successives satisfécits ridicules pour des réalisations le plus souvent inutiles et qui ne sont pas capables d'enrayer la politique ultra libérale et d'engager une participation active d'une population pourtant motivée.
La visite de la structure de présentation des réalisations municipales de la ville m'a profondément étonné, par les dimensions du bâtiment plus de 4000m² d'exposition, son ouverture, sa gratuité pour les écoliers et les étudiants. J'y ai vu que "ce qui est annoncé est fait" et "ce qui est construit a été annoncé" et fait partie d'une structure complexe et d'une réflexion intellectuelle approfondie à l'échelle de la ville de son environnement naturel et de son avenir.
Je pense que la vitesse à laquelle les transformations urbaines ont lieu entraînent des erreurs systémiques, mais la rapidité avec laquelle les changements ont lieu me laissent penser que le véritable atelier de l'urbanisme de l'avenir se trouve ici.
J'ai eu l'occasion d'aller dans les studios de l'école d'architecture pour rencontrer mes jeunes confrères qui enseignent dans des conditions qui sont sans mesure avec le délabrement et les difficultés que nous rencontrons dans l'enseignement de l'architecture et de l'urbanisme en France. Comme pour nos CHU( centre hospitaliers universitaires) dans ces universités chinoises d'architecture, enseignants et étudiants travaillent sur des projets réels. La curiosité des enseignants et des étudiants m'a surpris. Ils sont friands d'entendre d'autres manières d'aborder les problèmes.
Je suis par ailleurs allé donner une conférence à l'université de l'administration qui forme en permanence plus de 40 000 personnes par an, le public est composé des responsables politiques, administratifs et techniques des collectivités locales de la province du Sitchuan. Cette école est sous l'emprise directe du Parti Communiste Chinois. Je suis intervenu sur les problèmes que pose le développement urbain durable, entre discours incantatoire, réalité de terrain et plateforme propagandiste de l'ultralibéralisme pour découvrir de nouveaux consommables "durables" à donner en pâture à nos consommateurs français de la ville. Je ne me suis pas embarrassé des contradictions que je pouvais soulever ici en Chine comme en France avec la façon d'aborder le problème de la ville durable, développant essentiellement celui d'une ville à concevoir autrement avec les habitants.
J'ai été assailli par des étudiants qui avaient la quarantaine et exerçaient des responsabilités importantes dans l'administration qui m'ont posé une série de questions libres et montrant les réactions immédiates aux problèmes soulevés.
J'ai par la suite fait une conférence plus philosophique sur la ville de l'avenir devant un parterre d'universitaire, à l'université de Droit de Pékin. Le contact a été le même qu'à Chengdu, direct, enthousiaste, passionné, ouvert. Cela va en le disant, les contenus de nos conférences n'ont jamais été connu avant le débat devant les étudiants. Pour répondre à notre étonnement l'un des étudiants, qui avait passé trois ans au Québec et qui parlait un français impeccable, nous a dit: «nos enseignants sont plus critiques que vous"!
Le soir nous avons mangé avec le maire d'une petite ville de 400 000 habitants qui était un responsable du ministère du logement. Il avait assisté à la conférence et voulait parler avec nous de "démocratie participative", pour savoir "comment faisions nous participer les habitants à l'élaboration des politiques urbaines sans que cela soit du seul ressort du parti communiste chinois"?.
Depuis j'ai participé à un enseignement sur les "Eco cités" à Montpellier, enseignement pour des fonctionnaires de Chengdu en visite dans notre ville, ils m'ont demandé de publier mon exposé dans le journal de leur université.
Je ne m'attendais pas à cet accueil, j'ai été profondément intéressé à essayer de comprendre comment les chinois arrivaient à intégrer aussi facilement et rapidement des enseignements et des expériences que nous n'osons même plus produire tant elles sont à contre courant chez nous dans ce développement débridé du capitalisme financier!
Je reste à leur disposition pour développer mes réflexions, stupéfait de ne jamais avoir vraiment entendu parler des expériences qu'ils sont entrain de mener sur ces domaines de la qualité de la vie, des formes urbaines, des proximités de quartier, de déplacements, de mixité sociale et fonctionnelles en œuvre.
Par ailleurs ils restent très fortement influencés par la pensée mondialiste internationale de l'étalement des fonctions urbaines et des mobilités infernales que cela entraîne. Mais ils font et n'hésitent pas à refaire en fonction de nouvelles hypothèses de travail.
J'ai été encore marqué par la révélation du nombre de chinois propriétaires de leur logement qui représentent prés de 80% de la population, et des problèmes que la gestion de ces copropriétés engendrent sous l'angle "d'une autogestion dynamique et primitive" qui nécessite pour eux de se renseigner sur nos modes de gestions des copropriétés privées par exemple.
En un mot le pragmatisme et le dynamisme que j'ai rencontré dans la fabrication d'un nouveau cadre de vie me laisse augurer des changements de rapports sociaux et politiques qui dialectiquement vont nécessairement s'établir dans la pratique sociale sur la gestion au quotidien de ces nouveaux établissements humains.
Le 2 02 2014