Il y a quelques jours, sur une boucle de discussion avec des amis, j’avais dit que je serai à la manifestation du 15 juin. Un ami, anciennement « de gauche », qui vote Macron au premier tour depuis 2017, m’avait ironiquement demandé de lui dire « si les antisémites de LFI font toujours autant de bruit ». Je lui avais répondu de commencer par se renseigner « sur les racistes pour qui [il] vote », et s’en était évidemment suivie une énième petite dispute avec tout le groupe. Voici le texto envoyé le lendemain, à froid (avec quelques retouches mineures). Peut-être que certain∙e∙s, dans des situations similaires, voudront s’en servir et en reprendre des passages.
(Notons que depuis, Macron a comparé RN et NFP, et ne les renvoie même plus dos-à-dos, mais préfère l’extrême droite, qui selon lui « propose des choses qui peut-être font plaisir aux gens, mais enfin c’est 100 milliards par ans ». Du côté de la gauche, en revanche « c’est quatre fois pire en terme de coût, et puis il n’y a plus de laïcité, et ils reviennent sur la loi immigration qu’on a faite et qui permet quand même de réguler […], et des choses complètement ubuesques, comme par exemple aller changer de sexe en mairie ». Outre la manifestation de transphobie éclatante dont beaucoup se sont à raison alarmé∙e∙s, Macron, si l’on résume ses propos, explique donc que :
- a) l'extrême droite :
- économiquement : ça ne tient pas
- sur le fond : ça fait plaisir
- b) la gauche :
- économiquement : c’est quatre fois pire
- sur le fond : c’est effrayant.)
Voici maintenant le texte de mon message :
Coucou,
Je veux revenir plus tranquillement sur l’engueulade d’hier, pour vous expliquer pourquoi je suis à cran.
D’abord, pour que vous compreniez comment je ressens les choses depuis quelques années, essayez de vous mettre à ma place. Il y a à peu près le même écart entre mes positions politiques et le macronisme, qu’entre le macronisme et le lepénisme. Donc pour moi, voir mes ami∙e∙s voter ou soutenir les politiques de macron, ça fait sûrement le même effet que si vous aviez des ami∙e∙s qui soutenaient Le Pen (je ne compare pas Macron et Le Pen, mais seulement les écarts). Et quand on me renvoie à l’antisémitisme de Mélenchon – je reconnais très bien qu’il y a un problème – ça doit à peu près me faire le même effet que si des électeurs de Le Pen venaient vous chercher sur l’antisémitisme de Macron qui réhabilitait Pétain et Maurras. Vous auriez envie de dire : d’accord, mais regarde de ton côté déjà.
Et au fond je ne pense pas que les gens parmi vous qui votent Macron soutiennent vraiment ses politiques – en tous cas telles que je les vois.
Par contre, la politique de Macron, pour moi, c’est ça :
Réhabilitation de Pétain et Maurras, et un ministre de l’intérieur qui écrit dans son livre que les juifs causaient des problèmes car ils pratiquaient l’usure, et qui souhaiterait qu’il n’y ait plus de rayons casher dans les supermarchés. Donc très bien de s'inquiéter de l'antisémitisme à gauche, mais ce serait bien de ne pas le voir que quand il est à gauche, et d'en profiter pour oublier tous les autres racismes.
Des politiques racistes : lois immigrations successives, qui détruisent littéralement les vies de personnes étrangères. Rien qu’il y a trois jours, j’étais avec une amie juriste qui racontait l’histoire de quelqu’un qu’elle essaye d’aider : un type de 28 ans, en France depuis ses 8 ans, qui a reçu une obligation de quitter le territoire français (OQTF) alors que toute sa vie est ici. Des situations comme celles-ci sont hyper courantes : j’ai plusieurs amies avocates en droit des étrangers qui voient passer ce genre de cas tous les jours, et à chaque fois c’est à cause de situations kafkaiennes dans lesquelles les administrations ne font pas leur travail ou simplement ne donnent pas de rendez-vous, ce qui empêche les gens de renouveler leurs titres de séjour à temps, et conduit parfois à des OQTF, des enfermements en centres de rétention administrative, et des expulsions. Le gouvernement le sait, et les lois immigrations successives ne font que faciliter les conditions d’enfermement et d’expulsion des étranger∙e∙s.
J’ai vu aussi ce qui se passait à Calais, le harcèlement des exilé∙e∙s par la police, et aussi celui des bénévoles qui leur distribuent de quoi survivre[1]. C’est vraiment du harcèlement, mis en œuvre par les pouvoirs publics, par choix politique de la part du gouvernement.
Et évidemment, il y a l’islamophobie. Par exemple la dissolution du comité contre l’islamophobie en France (CCIF) en 2020. Même Le Monde avait écrit n’avoir trouvé aucun élément qui appuierait les accusations du gouvernement[2].
Il y a, pour parler de ce que je connais[3], l’interdiction de l’abaya et ces filles dont on vérifie la taille de la jupe à l’entrée du lycée parce qu’elles sont considérées comme musulmanes. Mes élèves me parlent de cette stigmatisation incessante. Il y a la loi séparatisme, qui a permis à tout le gouvernement de développer des discours pour faire des musulman∙e∙s des bouc-émissaires, en les suspectant de « séparatisme » – donc ennemi∙e∙s de l’intérieur.
La loi séparatisme est par ailleurs une loi de restriction de la liberté associative, ce qui est un trait des régimes illibéraux. Et d’ailleurs, le gouvernement passe son temps à essayer de dissoudre des associations. Le CCIF, ou plus récemment Les soulèvements de la terre, heureusement annulée par le Conseil d’État pour les seconds.
La politique macroniste, c’est des choix écologiques condamnés par les scientifiques. On est dans l’irrationnalité complète. Et le traitement comme « terroristes » des militant∙e∙s écolo qui demandent qu’on suive l’avis des scientifiques. « Terroristes » puisque le ministre de l’Intérieur les nomme « éco-terroristes », parce qu’on mobilise la SDAT pour les arrêter à 6h du mat’, parce qu’on accepte de potentiellement les tuer comme à Sainte-Soline où le Samu était empêché d’intervenir par la Préfecture[4] (et par G. Darmanin qui dirigeait les opérations[5]).
C’est aussi la mutilation des opposant∙e∙s, des dizaines avoir perdu des yeux ou des mains pendant les Gilets jaunes. J’ai moi-même vu un type avec la main arrachée dans une manif en 2020.
C’est des centaines de gens qui vont crever parce qu’on leur demande de travailler plus longtemps (réforme des retraites, justifiée par des mensonges) ou parce qu’on détruit l’hôpital public et les services publics en général.
Par contre on met de l’argent dans le Service national universel, pour que bientôt tous les jeunes de 15-16 ans apprennent moins de choses à l’école (ça sera deux semaines sur le temps scolaire) mais sachent chanter la marseillaise encadrés par des soldats. Et ça va coûter des milliards.
C’est des arrêtés d’interdiction de manifester qui se succèdent, c’est Macron qui dit que Valeurs actuelles est un bon journal, qui ne voit pas la différence entre l’extrême droite et l’extrême gauche.
Ce ne sont que quelques exemples au hasard, j’en vois un de plus chaque jour, et pour moi, tout ça, ce sont déjà des politiques d’extrême droite. Je ne dis pas que Macron l’est ou que ses électeur∙rice∙s le sont, je m’en fiche. Mais beaucoup des politiques menées le sont, et c’est assez nouveau. Car la réduction des libertés publiques, les attaques contre l’État de droit, et l’oppression des minorités et des plus faibles, c’est exactement la définition des politiques d’extrême droite. Toutes les ONG s’alarment depuis des années. C’est inédit dans l’histoire récente en France.
Et je n’en peux plus d’assister à tout ça. Je vois la société s'enfoncer vers l’extrême droite, à travers les pratiques déjà à l’œuvre. Tout est fait pour que le jour où le RN arrive au pouvoir, tout le monde ait déjà été petit à petit habitué aux politiques d’extrême droite. Il y aura passage de relai et le RN pourra aller encore plus loin. Et pour moi, c’est super dur de voir que mes meilleurs potes, que j’estime, ne voient pas ce qui se passe (tel que je le vois en tous cas), voire votent pour ce genre de politique.
Et en voyant que tant d’universitaires, de grands journalistes, que toutes les grandes ONG, mes potes de philo et mes potes militant∙e∙s voient la même chose que moi, et considèrent tout ça avec la même gravité, je me dis que je ne vois pas n’importe quoi.
En tous cas essayez de comprendre au moins ce que ça implique pour moi de voir les choses comme ça, et d’être parfois le seul parmi mes vieux potes. Donc oui, je réagis un peu à cran parfois, quand un ami qui vote Macron vient me chercher, en ce moment et avec les élections à venir, sur l’antisémitisme à LFI, sur lequel les grands médias s’acharnent, comme si le gouvernement actuel était irréprochable au niveau de l’antisémitisme, du racisme, du sexisme etc... (C’est pour ça que j’ai dit « la paille et la poutre » hier)
Désolé si je vous ai heurtés ce n’était pas du tout le but. C’est juste que parfois j’en peux plus d’assister à tout ça et de me sentir impuissant, et même d’avoir l’impression d’y assister chez mes propres amis.
[1]Voir aussi : https://www.amnesty.org/fr/documents/eur21/0356/2019/fr/ et https://www.laubergedesmigrants.fr/wp-content/uploads/2018/08/Rapport-Calais-le-harc%C3%A8lement-policier-des-b%C3%A9n%C3%A9voles.pdf
[2] « Autant le dire tout de suite, à la lecture des archives du Monde, les raisons d’une telle requête n’apparaissent pas évidentes. Dans le quotidien, le collectif est le plus souvent présenté comme une association de lutte contre le racisme anti-musulman, jamais comme un « propagateur de l’islamisme ». » https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/10/25/ccif-la-premiere-fois-que-le-monde-l-a-ecrit_6057323_4500055.html
[3] J’enseigne la philosophie en lycée.
[4] Pour le détail des événements, notamment sur l'entrave aux secours, voir le rapport des observatoires de la LDH : https://www.ldh-france.org/wp-content/uploads/2023/07/Rapport-final-10.07.23_DEF.pdf
[5] G. Darmanin « dirigeait à distance la manœuvre des 3 200 gendarmes à Sainte-Soline » le 25 mars, (Le Canard enchaîné du 5 avril 2023).