Nous avons été nombreux·ses à croire que Jean-Luc Mélenchon parviendrait à accéder au second tour de l’élection présidentielle de 2022 afin de (peut-être) défaire Emmanuel Macron grâce aux voix données en sa faveur par les électeur·ices des autres candidat·es de gauche et de centre-gauche. De même, l’élan de la Nouvelle Union Populaire & Sociale (NUPES) a pu donner l’espoir d’une cohabitation rigide qui laisserait le président Macron sur le banc de la politique internationale et européenne pendant que Mélenchon aurait le rôle premier ministre et bloquerait les mesures libérales des droites.
Sans mandat, c’est sur son blog et auprès de ses camarades de l’Assemblée Nationale que Jean-Luc Mélenchon donne un écho à ses idées. Entre l’éditorialiste faiseur de clivages et l’instigateur de débat, Mélenchon reste agrippé aux cercles de la gauche parlementaire.
Le meilleur des social-démocrates.
Mélenchon peut bénéficier d'une postérité positive à gauche. Lors de ses campagnes il a montré son mépris face aux relégations systématiques des habitant·es des territoires pauvres et populaires, il a permis de relayer les alertes écologistes quant à la crise de l’eau et a repris des idées altermondialistes notables comme celles de la règle verte et de la règle bleue, et n’a pas laissé en berne les thématiques antiracistes et décoloniales du champ de sa pensée – tout en ayant un rapport électoraliste avec ces dernières (les banlieues seraient un réservoir de voix, le pétrole des élections).
L’engouement autour de sa personnalité et de ses idées a redonné un souffle à la gauche en perdition depuis de – trop – nombreuses années. Après le quinquennat de François Hollande, Mélenchon a eu l’audace de forcer à la clarification les différents partis de gauche au travers de ses déclarations. Son ton, son éloquence et ses joutes parfois brutales ont amené les éditorialistes et ses adversaires politiques à le classer à gauche de la gauche, dans la gauche dite radicale voire même à l’extrême-gauche. Mais ses idées n’étaient pas radicales : Mélenchon provient de la social-démocratie et a gardé si fortement cet héritage qu’il n’a pas suivi ses collègues dans leur fuite en avant vers le libéralisme – en témoignent son très long parcours au Parti Socialiste, son passage dans un gouvernement de Lionel Jospin, et les mesures de justice sociale qu’inspirait son programme présidentiel. Sur ce dernier point, il est important de constater la linéarité politique de Mélenchon : après le PS, il siège au Parti de Gauche, composante de la fédération du Front de Gauche, puis devient le chef de file de La France Insoumise (tout en restant au PG), et enfin de l’Union Populaire (en restant chef de file de LFI et adhérent du PG). Si à chaque élection présidentielle il instigue un mouvement-fédération souhaitant son arrivée sur le siège présidentiel, il n’en est pas moins qu’il n’infléchit que très peu son programme, sa méthode et sa stratégie verbalei. De 2012 à 2022, malgré des évolutions notables sur la question de l’antiracisme, la laïcité et sur des thèmes écologistes, Mélenchon a gardé le même « logiciel politique » et des grandes lignes programmatiques semblablesii. Sans être révolutionnaire ou anticapitaliste (bien qu’on sente que la tradition socialiste imprègne certaines mesures), les programmes successifs du Front de Gauche, de LFI et de l’UP ont été fondés sur une idée de justice sociale – thème partagé au sein des familles social-démocrates européennes, tant au Parti Communiste Français qu’au Parti Socialiste, mais qui se manifeste différemment et selon des objectifs et des mécaniques différentes. Ainsi, le programme de Mélenchon visait à équilibrer la violence du système de marché avec la protection que devait l’État à l’égard des civil·es, des citoyen·nes et des habitant·es, au travers d’une logique redistributive. C’est ce qu’inspire l’annonce d’une des mesures phare de son programme concernant les grands héritages, qui au-dessus de 12 millions d’euros, seraient taxés à 100 % afin de les redistribuer sous forme d’allocation autonomie aux jeunes étudiant·es et apprenti·es. Il n’était pas ici question d’empêcher la super-accumulation de richesses ou la rente (cette accumulation étant jugée juste jusque 12 millions d’euros) mais de l’utiliser comme mécanisme de redistribution afin d’exercer une justice sociale, arbitrée et orchestrée par l’État. Cette social-démocratie « musclée » (ou vénère) se manifeste en réalité dans son idée de l’État. Même si Mélenchon aime s’inspirer des exigences des démocrates-socialistes de 1848 (une grande référence pour lui) quant à l’idée de « République sociale », ses desseins présidentiels se sont toujours limités à la reconstruction d’un État-providence qui protège et assure ses habitant·es mais qui se restructure avec des défenses améliorées pour reculer le risque d’un nouveau démantèlement. L’État-providence et ses politiques dépendent de sa direction et de ce qu’elle décide: ainsi, le statu quo de la démocratie libérale et représentative reste viable dans cette optique (avec toutefois la possibilité du Référendum d’Initiative Citoyenne), tout comme le fonctionnement du marché, dont le profit peut être en partie socialisé. En clair, c’est le gouvernement et les directions de l’État instiguent la politique sociale du pays, et gèrent les allocations aux systèmes de protection, et non les travailleur·euses qui produisent la richesse– il subsiste une différence dans l’échelle de socialisation voulue par ce programme de remise sur rail de l’État-providence avec l’idéal de sécurité sociale gérée par les producteur·ices de richesse de manière démocratique et décentraliséeiii. De plus, cette idée d’État-providence s’arme de deux composantes intrinsèque à son fonctionnement : il lui faut une police (c’est un État), et un système d’exclusion basé sur la nationalité (c’est un État-Nation). La volonté de Jean-Luc Mélenchon de refonder l’institution policière « de la cave au grenier » sans pour autant réfléchir à une autre méthode de maintien de la paix civile s’inscrit dans la continuité de l’idée d’État en vigueur au XIXe siècle dans les démocraties dites occidentales. Pareillement, si l’État protège ses citoyens et exerce sa violence légitime sur ceux-ci, c’est qu’il doit circonscrire ce corps citoyen. Dès lors, les directions de l’État doivent débattre sur l’appartenance ou non d’individus à la communauté de l’État-providence et effectuer une discrimination légale, qui, dans le contexte de démocratie représentative et d’État-providence peut être rediscutée – d’un gouvernement à un autre, la protection effective des individus discriminés légalement du corps citoyen est donc précaire, et, n’est pas gravée dans le marbre.
Outre ces questions philosophiques nous pouvons nous demander si avec cet attachement à l’héritage social-démocrate et à l’idée d’État-providence Mélenchon ne serait-il pas, en réalité, le meilleur des social-démocrates en France.
Une question de position, une question de personnification.
En coinçant les partis de gauche en face de leurs penchants libéraux, Mélenchon a favorisé leur clarification idéologique. En clair, il posait aux différentes composantes de la gauche la question suivante : « êtes-vous du monde libéral ou du monde social ? » Cependant, ces clarifications reposaient quasiment toutes sur ses desseins (présidentiels et pour le premier ministère), modifiant ainsi sa question initiale : « êtes-vous avec moi, ou contre moi ? ». Dilemme tragique pour des gauches voisines parfois ennemies. Quoique lors des législatives, ces clarifications ont porté leurs fruits et ont accouché de la NUPES, cependant que d’autres formations plutôt proche du centre-gauche s’en allaient avec les Radicaux de Gauche, le PRG et des micro-formations peu connues du grand public. Ces rapprochements se sont produits à la différence des trois précédentes élections présidentielles de 2012, 2017 et 2022 où les formations de gauche (radicale, libérale, social-écologiste) s’étaient fait concurrence, voire s’étaient taclées – notamment au sujet des relations internationales et de l’ambiguïté mélenchonienne à laquelle nous allons revenir.
La NUPES a eu cette audace de tenter de placer Jean-Luc Mélenchon au poste de premier ministre en instituant la cohabitation – permise par une majorité à l’Assemblée opposée au président de la République et son gouvernement – en se fondant sur un programme commun et une stratégie partagée (pas de concurrence entre les forces fédérées de la NUPES, accord programmatique…). Toutefois, même si le programme de la NUPES (consultable ici:https://nupes-2022.fr/le-programme/) se voulait être commun, c’est l’avènement de Mélenchon au poste de premier ministre qui était en premier lieu sa clé de voûte. Dorénavant, au vu des résultats de la NUPES aux législatives, la clé de voûte semble être davantage le programme nupesien et l’entente entre ses forces adhérentes représentées au Parlement (entente rendue possible grâce aux multiples réunions d’intergroupe et les débats sur des désaccords dans les médias ou par déclarations). Mais maintenant, quel avenir de la NUPES, et par extension de La France Insoumise, sans Mélenchon ?
Détricoter la tutelle.

Si La France Insoumise n’est pas un parti mais plutôt une plateforme militante, il n’en est pas moins qu’elle s’institutionnalise progressivement, notamment pour gérer les conflits internes. Toutefois, il n’y existe toujours pas de fonctionnement interne permettant le renouvellement des dirigeant·es ou du moins leur critique. LFI est dans une situation ou sa direction est mandatée à l’extérieur mais se réfère au socle interne : les « têtes » de l’Union Populaire-LFI sont les député·es de ce groupe (représentant·es du peuple-électeur), et le chef de file, avant ses échecs, était Jean-Luc Mélenchon. Aujourd’hui, les chef·fes de file semblent être Mathilde Panot, présidente du groupe La France Insoumise – Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale, et Adrien Quatennens, député du Nord et compagnon de route de Jean-Luc Mélenchon, auquel il a dédié un livre, Génération Mélenchon (Seuil, 2022). La relève insoumise augure donc d’être en continuité de l’héritage de Mélenchon, même si toutefois son absence sur les bancs de l’Assemblée peut prévenir un changement : n’étant plus que membre du Parti de Gauche, il ne fait plus partie de la tête de LFI, sinon historiquement, étant donné qu’il fut leur candidat « naturel » aux élections à la présidence de 2017 et 2022. C’est maintenant à LFI de choisir quelle voie emprunter : la démocratisation du mouvement et le dissensus interne, le rejet de la figure mélenchonienne pour son futur, ou le resserrement de la direction entre les député·es du groupe parlementaire, et donc la continuation de la « méthode Mélenchon » ? Déjà, certaines mutations ont eu lieu au sein des composantes de LFI : le micro-parti Ensemble ! Insoumis·es est devenu La Gauche Ecosocialiste, et souhaite contribuer loyalement à la construction de La France insoumise tout en discutant avec le Nouveau Parti Anticapitaliste (demande envoyée dans la revue l’Anticapitaliste, journal du NPA, en juillet dernieriv).
Quant à la NUPES, celle-ci a réussi à tenir malgré les premières tempêtes parlementaires. La loi sur le pouvoir d’achat a révélé leur union dans l’opposition aux mesures libérales du gouvernement et des droites conservatrice, comme extrême. Des discordes ont pu cependant survenir, notamment à propos de débats restés non-clarifiés à gauche, portant notamment sur l’antisémitisme (sur lequel la gauche n’est pas du tout au clair) et sur les relations internationales (souvent rabaissées au rang debatailles simples découlant de la guerre froide). Citons ici la proposition de résolution condamnant l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien, déposée par le député PCF Jean-Paul Lecoq, ou encore l’affaire quant au soutien de Jean-Luc Mélenchon à l’intimidation par la République Populaire de Chine aux Taïwanais·es lors de la visite de Nancy Pelosi sur l’île, qui est en proie à l’impérialisme chinois (son texte ici https://melenchon.fr/2022/08/03/pelosi-aussi/, et les remerciements de l’Ambassade de la RPC en France là : https://twitter.com/AmbassadeChine/status/1555291880342028288?s=20&t=rv1KmSTanPBUzeocnAT6Ug).
Pour savoir si la NUPES tient le cap, il faudra attendre encore quelques mois, que la direction d’EELV soit renouvelée (d’ici novembre 2022) et qu’elle décide de son rapport avec l’alliance à LFI ; de même, il reste à savoir si le Parti Socialiste reste dans le bateau après son congrès (prévu pour l’automne)v.
Déjà, des volontés d’évolution dans la NUPES ont été envoyées. Ainsi, Benjamin Lucas, ancien président du Mouvement des Jeunes Socialistes, et député Génération·s (groupe Ecologiste – NUPES) a invité dans un communiqué à débattre des questions internationales avec ses camarades de la NUPES : « Voilà ce dont je crois qu’il nous faudra discuter avec calme et exigence lors de nos rentrées respectives et de nos temps d’échanges communs. »vi De plus, les divergences affichées en temps de crise peuvent venir orienter la NUPES vers des positions nouvelles, et déconnectées de la figure de Mélenchon, ce que certain·es espèrent.
Mais détricoter cette tutelle pourrait se révéler être difficile auprès des « militant·es de base » auprès desquel·les la méthode Mélenchon a fait ses preuves. Même défait de tout mandat, il reste soutenu et on fait appel à à lui afin d’argumenter. Se révèle ici un manque de formation militante auprès de ceux et celles qu’on mobilise inlassablement à chaque campagne. Si bien que le travail critique est ignoré et donne lieu à des vagues de cyberharcèlement pilotées par des militant·es insoumis·es venu·es redorer l’image de Jean-Luc Mélenchon ou de ses proches : il aurait prédit la crise institutionnelle dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, et aurait eu remède à nous administrer ; surtout, ses positions en matière de politique internationale seraient toutes déformées par les médias, ou mal comprises ; les affaires de violences sexistes et sexuelles qui touchent un de ses proches seraient une cabale médiatique. C’est ici que la méthode Mélenchon montre ses limites : sans la figure césariste mélenchonienne, les militant·es engagé·es pour sa marche se retrouvent sans sentier politique et ne trouvent pas la direction vers un idéal autre que celui de Jean-Luc Mélenchon et de LFI. Pourtant, ils et elles aurait tout à gagner à décloisonner l’insoumission et partager leurs savoirs-faire militants, tout en recevant de nouvelles pratiques.
La performance et l’héritage.
Il faut toutefois le noter : Jean-Luc Mélenchon a emmené haut la gauche, alors qu’elle paraissait être au plus bas, et rongée par des débats stériles sinon des attaques inutilesvii en temps de grande faiblesse. Il a surtout réalisé un coup de maître en ouvrant de nouveau l’espace social-démocrate qui s’était refermé à la fin des années 1990 sous les auspices du PS. En banalisant des proposition empruntes de justice social, il a permis aux antiennes de la gauche de reprendre racine et de ne pas laisser tomber une partie de la gauche dans l’idéologie du marché total, parvenant même à opérer un revirement du PS ! Certes, il n’est pas anticapitaliste, et n’est pas reconnu pour son attachement à la démocratie interne de son mouvement, mais son « remake » des traditions socialistes du deuxième XXe siècle peut fournir un terreau riche de débats et de propositions à la gauche d’aujourd’hui, qu’elle soit écologiste, écosocialiste ou du centre-gauche. Quant aux dissensus à propos de la politique internationale entre les formations-membres de la NUPES, c’est à LFI d’opérer un revirement vers une analyse plus fine et complexe, qui ne tire pas son origine évidente de la guerre froide – pour cela il ne faut pas que LFI soit isolée, il faudrait plutôt que des ponts soient faits, notamment pour demander une diplomatie écologiste, féministe et sociale, qui ne nie pas l’impérialisme et les nationalismes russe et chinois.
Il subsiste alors des traditions intellectuelles socialistes à adapter et à renouveler, en plus des débats et des constructions à réaliser.
Lucas. P.-S.
iA ce propos, lire l’article de Pauline Graulle et Fabien Escalona Programme présidentiel de Mélenchon : ce qui change, ce qui demeure, paru le 24 novembre 2021 sur Mediapart (URL : https://www.mediapart.fr/journal/france/241121/programme-presidentiel-de-melenchon-ce-qui-change-ce-qui-demeure)
iiSur cette linéarité, regarder la très bonne vidéo de Tzitzimitl – Esprit Critique en partie consacrée à Jean-Luc Mélenchon et ses différents mouvements. « La social-démocratie qui fait peur (LFI, L'Engagement, RS, GRS) - #EspritDeParti 12 » URL : https://www.youtube.com/watch?v=CTEF7jGsOvg
iiiPour aller plus loin : Laurent Mauduit, L’impasse des nationalisations, l’espoir des communs, paru le 18 mars 2022 sur Mediapart. URL : https://www.mediapart.fr/journal/economie/180322/l-impasse-des-nationalisations-l-espoir-des-communs
ivFaisons blocs. (21 juillet 2022). L’Anticapitaliste. https://lanticapitaliste.org/opinions/politique/faisons-blocs
vBloch, M. (2 août 2022). LR, Renaissance, RN, EELV, PS. . . Ces partis vont désigner leur nouveau chef avant la fin 2022. lejdd.fr. https://www.lejdd.fr/Politique/lr-renaissance-rn-eelv-ps-ces-partis-vont-designer-leur-nouveau-chef-avant-la-fin-2022-4126226
viBenjamin Lucas (6 août 2022). Post Facebook. https://www.facebook.com/BenjaminLucasDepute/posts/pfbid02ydNr9gHEtWoFs4uXs8hjFHtHbMQeBM2Nqejo1g2B9G2xPNCfHZ31x71eUY7kqDXgl
viiPensons aux attaques de Yannick Jadot et d’Anne Hidalgo contre Mélenchon lors de sa campagne présidentielle de 2022.