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Billet de blog 10 juin 2024

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Passé la stupeur… Lutter pour vivre

Je suis né en 2002, année fatidique : la France voyait arriver Jean-Marie Le Pen au second tour au scrutin le plus important de la Ve République. Depuis, l'extrême droite s'est toujours renforcée jusqu'à culminer. Engagé à gauche, l’effroi m’a envahi ce dimanche 9 juin 2024. Mais ne leur offrons pas la victoire.

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On ne connaîtra pas le sentiment qui a mué le Président de la République lorsqu’il a constaté la déroute de son parti, tout dévoué à sa figure et à son entreprise politique. On ne connaîtra pas, je pense, avant longtemps, l’émotion qu’il a ressenti lorsqu’il a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale, cœur battant – sous contrainte – de notre démocratie.

Cette dissolution, je la craignais déjà lorsque La France insoumise (LFI) se disait prête à l’affronter fin 2022. Le Front national – refusons de lui donner ce privilège de changement de façade – séduisait déjà une trop forte proportion d’électeurs, les jeunes notamment, les ouvriers et les employés. Il a été grave et irresponsable de souhaiter la dissolution. Comme il a été plus que dangereux pour nos institutions de l’acter ce dimanche, alors que les derniers dépouillements n’étaient pas encore terminés, et que, semble t-il, la Présidente de l’Assemblée nationale n’était pas enthousiasmée à cette idée. Il faudra faire la lumière sur ce dernier cas. Mais si Yaël Braun-Pivet a effectivement mis son veto, ou que ses critiques n’ont pas été entendues, nous aurons alors une autre démonstration du présidentialisme irrespectueux et unilatéral que nous connaissons que trop sous la Ve République.

Au lendemain de ces annonces, j’espère que l’effroi nous a toutes et tous stupéfaits, que l’on soit membre du PCF, de LFI, du PS, voire qu’on ait été un électeur satisfait d’Emmanuel Macron et de son groupe. J’espère que personne ne s’est réjoui, ne s’est dit « voilà l’occasion pour fermer l’expérience Macron ». A gauche, et notamment chez la gauche populiste, Macron a été dépeint comme un homme de la pire espèce, jumeau du FN, cependant que ce dernier prospérait. On l’a accusé de dictateur, d’homme à la solde des Américains ou de la Commission européenne, de pantin… Sans vouloir défendre un président coupable de ses compromissions, qui, méthodiquement à vidé la gauche et a phagocyté les thèmes des nationalistes et appliqué un style autoritaire du pouvoir, nous ne pouvons confondre un Macron avec le clan Le Pen. Ces confusions ont pu, je pense, aiguiller le choix des électeurs. Pour le pire.

La campagne éclair qui s’annonce sera difficile. Les résultats d’hier qui font du FN le premier parti de France, vont libérer encore plus les attitudes, les discours et les actes haineux. Le clan Le Pen, même en voulant se montrer des plus respectables, condense de multiples traditions des plus racistes, et que je considère comme étant anti-républicaines puisqu’anti-universalistes et en rupture avec l'histoire de la République sociale. Marine Le Pen et Jordan Bardella-Le Pen (nommons-le ainsi, lui, parent des Le Pen) ne sont que la vitrine modérée des plus radicaux, comme l’était déjà Jean-Marie Le Pen, personnage déjà dégoulinant de haine antisémite, homophobe, anti-arabe et négrophobe. Le FN est traversé par des courants multiples qui vont des nationalistes révolutionnaires antisémites aux catholiques traditionalistes anti-musulmans. Nous devons craindre une hausse des violences, verbales, physiques et des discours xénophobes, racistes, anti-LGBT, voire complotistes.

N’oublions pas que le FN sait attiser l’intérêt chez les abstentionnistes, qu’importe leur religion ou l’origine de leurs parents. A coup de références complotistes et nationalistes contre les "mondialistes" qui orchestreraient les migrations et les exils malheureux. Ou en relayant des théories mensongères sur les personnes transgenres et les LGBT+. Et si le FN se dit défendre un groupe plus qu’un autre, rappelons-nous qu’ils ne sont que des ethno-différentialistes qui, certes, n’utilisent plus le vocable de la « race » pour classer et dominer les autres, mais celle de la « culture ». Il ne faut pas s’étonner que ceux que l’on considère à gauche comme les plus dominés ou discriminés puissent être séduits par le FN. Les ouvriers et les employés sont aussi mués par des affects racistes, que conservateurs (sinon, comment expliquer la proportion des votes pour l’extrême-droite dans ces catégories sociales, en dépit de la nullité des candidats?).

Instrumentaliser les luttes des homosexuels et des lesbiennes pour rejeter les Français d'origine maghrébine et ayant un lien avec la religion musulmane est une de leurs stratégies. De même, il existe une extrême-droite musulmane, juive et chrétienne – en somme religieuse et parfois antagoniste. Toutes n’ont pas les mêmes intérêts, mais des aspects rassemblent ces extrêmes-droites : traditionalisme, conservatisme social, mise en avant d’une morale et d’une hiérarchie religieuses plus ou moins strictes, et surtout, xénophobie, vision de décadence du pays et racisme. Il faut voir les appels de Marine Le Pen aux musulmans lors du débat avec Gérald Darmanin en 2021: elle en appelait aux musulmans conservateurs.

La haine du FN pour les LGBT+ brosse ces conservateurs religieux dans le sens du poil. C’est aussi ainsi qu’il faut lire les aspirations du FN à devenir le « bouclier des juifs » : elle en appelait aux Juifs conservateurs contre les "Arabes" et la gauche (n’oublions pas qu’il y a toujours eu une composante d’extrême-droite favorable au départ des Juifs vers Israël, par différentialisme). C’est dans la même lignée qu’elle défend une pseudo-laïcité qui consacrerait le catholicisme dans l'espace public. En clair : différentialisme, rejet de l’universalité de nos institutions. Stratégie populiste différenciée et dissociation des citoyens. A nous maintenant de (re-)diffuser une morale de l'universel.

La campagne sera d’autant plus rude qu’une vague confusionniste a déferlé à gauche, sous les auspices d’un chef qui se rêve maxime, et qui, à coup de billets de blog acides et de discours violents, encourage les militants de la FI à insulter voire à harceler d’autres militants de gauche. Ce confusionnisme, qui a laminé l'unité, et la lutte contre l’antisémitisme, et notamment la lutte contre l’antisémitisme à gauche est une honte pour le mouvement social. Les médias sociaux, déjà rendus irrespirables par la propagande d’extrême-droite deviennent étouffants.

Un député que j’admire pour sa constance, et son combat en faveur de la paix au Moyen-Orient, Jérôme Guedj, en a fait plus d’une fois les frais. D’autres organisations antiracistes de gauche aussi. Si la FI persiste avec sa stratégie de coups d’éclat constants et répétés, l’assimilation qui est faite « gauche égale danger » persistera. Tout comme l’assimilation « gauche égale antisémitisme » (et accuser les « médias » et les journalistes déjà bien attaqués, de fomenter tout ça n’aide pas non plus). Comment, dans une Ve République fondée sur la personnalité des élus et le scrutin uninominal, pouvons-nous espérer remporter les élections sans accumuler les voix du centre-gauche, qui a été horrifié par la stratégie mélenchonniste des derniers mois et des dernières années – « moi ou la traîtrise » – et de l’évolution toujours vers la droite du macronisme ? Il y a quelques années j’aurais déclaré qu’on peut mettre à la poubelle les voix des « traîtres ». Mais sans examen de conscience, pas d’avancée : sur la stratégie populiste, sur l’antisémitisme, sur le fonctionnement interne, sur la stratégie gouvernementale.

Mais sans examen de conscience, pas d’avancée : sur la stratégie populiste, sur l’antisémitisme, sur le fonctionnement interne, sur la stratégie gouvernementale.

Il y a deux ans encore, ce que j'écris ici m’aurait révulsé. Mais au vu des résultats d’hier, il semble que le PS soit assez convaincant pour l’électeur moyen, ayant une fibre sociale, pourvu qu’il ne soit pas trop instable dans ses choix électoraux. LFI peut aider, mais Mélenchon doit se taire. Se retirer, ne pas interagir. Ses fidèles les plus proches doivent passer au second plan. C’est, au final, un événement positif pour tous ceux qui, au sein de la FI, n’affectionnent pas la stratégie de celui que les fans appellent « le vieux ». En s’émancipant de sa figure, on pourra reconstruire une gauche honnête et moins sectaire, pluraliste et plus démocratique. Mais qui reste de gauche et qui s’ouvre aux classes populaires. La campagne sera aussi une clarification pour le PS, qui a l'occasion de s’éloigner du libéralisme qu’il a épousé il y a 40 ans, au risque de recréer une confusion avec le centre-droit.

Mais toutes ces clarifications doivent être équilibrées avec l’honnêteté politique. Certains en appellent à un « Front populaire ». Très bien. Mais gardons à l’esprit que le Front populaire, mené par un socialiste convaincu, n’avait pas vocation à préparer ni la révolution, ni la mise en place du socialisme par voie légale. Revenir à la conception « d’occupation du pouvoir » peut être tentante : face à l’extrême-droite, défendre la République sociale et démocratique – ou ce qu’il en reste après sept ans sous Macron – doit être le premier mot d’ordre. On ne peut promettre le socialisme ou l’avènement d’un nouveau régime telle que la VIe République. On peut changer la vie mais pas la révolutionner. Déplorons-le, toujours, mais ne rêvons pas d’une révolution sociale. Au minimum, luttons pour vivre. Collectivement.

Luttons pour vivre. Collectivement.

Moi-même, ancien militant dans des organisations de gauche, j’ai très souvent été hargneux contre les courants qui ne me semblaient pas assez radicaux. Je situe souvent le début de mon engagement à la découverte de la déception de la gauche face au PS et aux partis traditionnels. Aujourd’hui, plutôt proche d’un socialisme de Blum ou de Jaurès, attentif et réfractaire aux glissements populistes et au césarisme, je n’ai pas de maison. Mais je reste socialiste – au sens originel du terme –, antiraciste, écologiste et anti-autoritaire. Je suis un déçu de gauche, déçu d’EE-LV, de LFI, du PS… Pour des raisons multiples : autoritarisme, manque de démocratie, populisme, chez les uns ; faible inclusion des classes populaires, manque de parité sociale, rejet de l’universalisme, et faiblesse de la compréhension de la laïcité chez les autres ; mais surtout postures pompeuses et non positivistes concernant la République, confusionnisme qui paraît être savamment travaillé sur le plan international, attaque permanente et violence verbale, ou à l’inverse rangement dans la politesse la plus plate… Pourtant, et malgré mon inconfort « doctrinal » avec les organisations d’aujourd’hui, je voterai pour le possible rassemblement qui se dessine, qu'importe si la FI n'en fait pas partie. Mon parti sera l'unité à gauche.

Les élections sont difficiles et se faire violence contre ses idéaux aussi. L'électoralisme et le légalisme sont une stratégie qui met chacun face à ses contradictions en permanence.  On peut néanmoins garder sa morale (socialiste, insoumise, écologiste…) tout en participant au rassemblement, qui, j’espère, permettra aux partis souhaitant prendre leurs responsabilités à gauche, former un gouvernement. Mais pour déterminer la morale politique des partenaires, encore faut il être clair. Et là est le défi quand plus de 10 ans de divisions deviennent 10 ans de non-conciliation.

Pour faire vivre l'unité, syndiquons-nous, allons manifester, et investissons les partis pour y peser. Nous n'avons que 20 jours.

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Lucas Peltier-Séné.

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