Lucas Peltier-Séné (avatar)

Lucas Peltier-Séné

Doctorant, militant, lecteur

Abonné·e de Mediapart

16 Billets

0 Édition

Billet de blog 11 août 2023

Lucas Peltier-Séné (avatar)

Lucas Peltier-Séné

Doctorant, militant, lecteur

Abonné·e de Mediapart

De la solidarité à la fraternité: perspectives socialistes et universalistes. #0

La France comme d’autres démocraties libérales connait des basculements majeurs. Des valeurs, une éthique et les affects civiques semblent se noyer sous des dichotomies et colères infructueuses. Toutefois, des idées de revivification démocratique et fraternelle sont émises. Retour sur des réflexions actuelles qui donnent matière à penser à gauche, sur la république, l'universel et le socialisme.

Lucas Peltier-Séné (avatar)

Lucas Peltier-Séné

Doctorant, militant, lecteur

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce sont des mots qui font maintenant tiquer à gauche, tant les conservateurs et les réactionnaires les ont utilisés dans leurs joutes verbales pour disqualifier leurs adversaires. On entend un parti proposer des dispositions discriminatoires au nom de la laïcité (tout en annihilant ce qu’elle est fondamentalement) ; on voit à la télé des démonstrations de commentateurs qui avancent que l’universalisme est une doctrine professant que la différence altère l’unicité du genre humain ; on invoque la République pour la confondre avec l’État, surtout pour soutenir sa fuite en avant sécuritaire et attentatoire aux libertés publiques… « Universalisme », « République »… ce sont des mots pourtant lourds qui reflètent des valeurs et une morale civiques que la gauche a historiquement porté. Pourtant, ces mots sont tus voire mis de côté par une partie de la gauche elle-même, sous couvert d'avoir été trop instrumentalisés par les conservateurs pour pouvoir toujours s’en réclamer, ou bien qu’ils ont été invoqués par des élites progressistes et libérales pour justifier les colonisations et marginalisations des longs XIXe et XXe siècles. Néanmoins, ces idées sont toujours porteuses de leur sens originel, et, en les abandonnant aux influenceurs médiatiques et politiques d’extrême droite et de droite, le risque de plus avoir de repère mémoriel structurant peut amener nombre de militantEs et de responsables politiques à ne plus faire le lien entre les luttes sociales, voire de les mettre en concurrence, sinon en discordance. Il est, selon moi, dommageable que le républicanisme ne soit plus qu’une invocation, un titre ou un drapeau brandi. D'ailleurs, on constate aujourd'hui une mystification de la part des conservateurs et des marcheurs de ce qu’être « républicain » signifie ; est-ce être démocrate ? – dans ce cas là les coups de force autoritaires des parlementaires fidèles au président viennent balayer cette hypothèse. Alors, est-ce être du côté de la République et de ses outils et plateformes ? – Là encore la minorité présidentielle peinerait à s’en enorgueillir, tant son entreprise d’éloignement du public de l’État et de ses mécanismes d’allocations de ses moyens est visible (et documentée). Malheureusement, le républicanisme n’est aujourd’hui invoqué dans le champ politique qu’au travers de la fidélité au président, à l’attachement à la Ve République, ou bien pour se prévaloir d’un identitarisme et d’un sécuritarisme qui guideraient la République et son Ordre. Ainsi, l’anathème peut être prononcé à ceux qui proposent une autre voie républicaine, et un groupe parlementaire pourtant attaché à une certaine idée de la République (et en souhaite d’ailleurs une Sixième) se voit être déclaré hors de « l’arc républicain » par la première ministre. Le parti de l’Ordre n’est jamais trop loin, et celui-ci vient confondre raison d’État et République, régularité des processus de vote et démocratie, accaparation par un petit groupe éclairé du pouvoir de décision et représentation politique. Déjà pendant la révolution de 1848 (qui mit un terme à la Monarchie de juillet), la "République" perd son sens et son aura révolutionnaire de la Grande Révolution, et se confond alors avec un arsenal institutionnel qui confère des pouvoirs aux représentants du peuple (Michèle Riot-Sarcey, Sylvie Aprile) - la société se rallie alors à la république, sans majuscule.

Mais ce qui se manifeste aujourd’hui n’est pas nouveau, et cela n’est pas le fruit du président Emmanuel Macron tout seul – tout ne se résume pas à la « Macronie », l'instrumentalisation autoritaire, excluante et concurrentielle de la République ne date pas d'hier.

Illustration 1
Fabien Escalona, Une République à bout de souffle, Ed. Seuil, Collection SeuilLibelle, 60 pages. Clémentine Autain, Les Faussaires de la République, Ed. Seuil, Collection SeuilLibelle, 60 pages.

Dans « une république à bout de souffle » (Fabien Escalona,2023), « les faussaires de la République » (Clémentine Autain,2022) sont coupables. Et tous ceux et celles qui aspirent à l’égalité, à la démocratie politique et économique, et à la justice sociale ont une responsabilité. Les attentistes politiques, ceux et celles ayant des responsabilités politiques mais qui ne disent rien ou laissent faire, participent (malgré elles et eux) à la dégradation de ces valeurs révolutionnaires, égalitaires et profondément humaines.

Des auteurs’rices et des penseur’euses actuel’les ont toutefois réagi et ont souhaité revivifier des notions qui ont pu parfois apparaître dépassées ou pas assez mobilisatrices pour certaines forces de gauche, en France, comme ailleurs. Faisant appel à de hautes valeurs comme la laïcité, l’universalisme ou encore la fraternité, les réflexions des auteurs et autrices que nous allons aborder entendent défaire l’aura conservatrice qui entoure ces mots, et révéler de nouveau le potentiel émancipateur de ces principes politiques et juridiques, et des mécanismes qui leurs sont corrélés.

Dans une série de billets de blog, j'aborderai des réflexions plurielles qui ont vocation à être débattues. Leurs auteur'ices se positionnent tous et toutes à gauche et leur production a presque toujours été motivée par une volonté de remobiliser des principes et des idées qu'ils et elles jugent indispensables pour élaborer une critique socialiste de la société, ainsi que (re)penser l'égale dignité de tous et toutes, dans un cadre politique pluraliste et ouvert au commun pour le commun, la République démocratique et sociale.

Illustration 2

C'est ainsi que cette série est intitulée perspectives socialistes et universalistes: elle a pour objectif de diffuser des perspectives (des idées et leur profondeur), qui ont pour objet la "question sociale", et qui proposent une direction aux luttes pour l'égalité et des traductions politiques aux divers combats menés à gauche. Le mot universaliste tient au fait que ces luttes ont vocation à rassembler dans une communauté large d'égaux tous les individus, dans une perspective antiraciste, collective et accueillante envers les points de vue et le parcours des gens1. Alors on comprend l'équation universalisme/république.

Dans le premier billet de la série (#1), nous aborderons la force des émotions dans les processus électoraux, et comment des "entrepreneurs du dégoûts" annihilent la fraternité, même dans des pays démocratiques et solidaires. Nous nous appuierons sur l'ouvrage de la sociologue Eva Illouz, « Les émotions contre la démocratie » (Ed. Premiers Parallèles, 2022, 330 p.), où elle revient sur la force du populisme (nationaliste) en Israël, et sur sa puissance d’occultation de la réalité et de segmentation chez les électeurs israéliens, qui s'en retrouvent plus éloignés que jamais. On abordera aussi une réflexion sur le populisme de gauche et la politique du ressentiment, d'après Eric Fassin et son petit livre « Populisme : le grand ressentiment » de la collection de la Petite encyclopédie critique des éditions Textuel, où il analyse la stratégie populiste de gauche, ses ressorts et ses difficultés à se rendre hégémonique, face à la droite populiste vorace et au potentiel dominant.


1 Julien Suaudeau, Mame Fatou-Niang, Universalisme, Ed. Anamosa, Coll. Le mot est faible, 2022, 101 pages

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’auteur n’a pas autorisé les commentaires sur ce billet